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théorie politique

Le communisme des conseils et la domination du « politique » par l’« économique »

Publié le 24 Juillet 2017 par Ph. B. in philosophie politique

►Nous republions ce texte écrit à l’occasion d’un colloque à l’Université de Paris-X-Nanterre (« Penser l’émancipation », février 2014)1. Il a été revu et corrigé. Nous remercions tout particulièrement Inter forum (Espagne)2 pour ses critiques pertinentes qui nous ont permis d’affiner en plusieurs points une analyse parfois sommaire ou contradictoire.◄
Ph. B., 24 juillet 2017.


Le communisme des conseils et la domination du « politique » par l’« économique » dans une période révolutionnaire.


ABOLITION DU «TRAVAIL » ? TEMPS COURT OU TEMPS LONG DU PROCESSUS COMMUNISTE DANS UNE PÉRIODE DE TRANSITION ?


Prologue


Notre propos n’est pas de faire l’histoire d’un mouvement que nous avons tenté d’étudier dans notre thèse de doctorat (1988), parue en anglais chez Brill en 2016. Notre contribution n’a pas pour finalité de nous livrer une fois de plus à une « archéologie » du politique révolutionnaire. Il serait vain de déterrer les vestiges du passé sans une claire problématique, où l’économie de la révolution émancipatrice jouera sans doute le rôle décisif.


En quoi l’étude de ce courant peut-elle répondre aux nombreuses questions posées par ce colloque axé sur l’émancipation du travail ? En particulier à celle posée dans l’ouvrage d’Éric Hazan & Kamo : « comment faire en sorte qu’au lendemain de l’insurrection qui vient, la situation ne se referme pas, que la liberté retrouvée s’étende au lieu de régresser fatalement ». Malgré « le scepticisme ambiant sur l’idée de révolution », est-il souligné, une perspective de liberté existe, car reposant non sur l’utopie, mais le mouvement réel.


Le mouvement des conseils ouvriers nous semble faire partie du mouvement réel pour l’émancipation de l’humanité. Un mouvement qu’il faut analyser aussi de façon critique.


1 http://www.leftcommunism.org/spip.php?article372&lang=fr
https://libcom.org/library/council-communism-political-economic-transformation-initial-revolutionary-measures-%E2%80%93-phi
2 INTER-REV. Internacionalismo – Revolución. Foro político-social internacionalista: http://inter-rev.foroactivo.com/.

 


I. Mouvement et finalité des conseils ouvriers


Le communisme des conseils désigne une théorie ainsi qu’une pratique adoptées et propagées par différents courants marxistes révolutionnaires, en rupture avec la social-démocratie, puis le communisme officiel, depuis le début du XXe siècle.


Ce courant trouve son origine dans le mouvement de grèves de masse, tel qu’il s’est développé depuis le début du XXe siècle, en particulier dans la première révolution russe de 1905. Il eut pour premiers théoriciens deux femmes (ce qui doit être souligné) : Henriette Roland-Holst aux Pays-Bas et Rosa Luxemburg en Allemagne (Grève de masses, parti et syndicats, 1906). Et un astronome socialiste : Anton Pannekoek, dans un ouvrage qui fit sensation : Les divergences tactiques au sein du mouvement ouvrier (1909).


Ces grèves de masse étant par nature politiques et non syndicales n’avaient rien de commun avec la grève générale, de nature syndicale, propagée par les anarcho-syndicalistes ou les syndicalistes-révolutionnaires. Ces grèves posaient, comme l’affirma déjà le principal théoricien du communisme des conseils Anton Pannekoek, la question du pouvoir, de la « dictature du prolétariat », et donc celui de la destruction de l’État de classe. Lénine s’en souvint dans son livre L’État et la Révolution (1917), où il cite d’abondance Pannekoek.
Ce mouvement de grèves de masses a culminé dans le mouvement des conseils ouvriers (« soviets ») qui se sont créés en Russie en 1905 et en 1917, en Allemagne lors de la Révolution de 1918 à 1919, en Italie avec l’expérience des conseils d’usine de Turin (1919-1920), en Hongrie en 1918-1919, puis de nouveau en octobre 1956 (dans le contexte défavorable de la Guerre froide).


Les conseils ouvriers, pour le communisme des conseils, ne sont pas de purs organes de revendication syndicale. Ils sont nés d’abord comme organes constitués par les délégués d’usine (en Allemagne, 1918, les Revolutionäre Obleute). C’est progressivement par la lutte de masse qu’ils ont tendu à s’affirmer comme une forme politique de « démocratie prolétarienne directe » rassemblant la majorité des prolétaires, travailleurs et couches non exploiteuses, et posant la question du pouvoir.


La simple transformation de ces conseils en organismes de gestion (organismes de production ou de cogestion avec l’État) – comme en Russie dès 1918 – ou leur élimination politique au profit d’une Assemblée constituante ‘nationale’ – Allemagne en janvier 1919 – marque à la fois leurs limites et leur disparition.


En effet ces conseils étaient nés comme organismes de délégués de fabriques. C'est pourquoi ils encadraient des revendications syndicales et politiques de toute espèce. Seules quelques rares revendications étaient de type révolutionnaire socialiste. Tout le prolétariat était loin d’être représenté, les éléments les plus réformistes (surtout dans les syndicats) étant hostiles à toute transformation socialiste de la société.

Mais de façon très claire, pour le communisme des conseils, les conseils ne peuvent être que « prolétariens » ou se sont rien. Ils représentent certes les majorités exploitées, mais sont la plupart du temps constitués de masses minoritaires agissantes, celles des ouvriers d’usine. Il y eut bien en novembre 1918 en Hongrie des conseils de police et d’étudiants, de fonctionnaires, d’ingénieurs, de ménagères, etc. Mais ceux-ci sont une curiosité historique, où selon un témoin, seul « l’honnête bourgeois reste sans conseil, ne sachant à quel saint se vouer ».


Ce sont donc les conseils d’usine (qui prendront le nom d’Unionen en Allemagne) qui doivent diriger la révolution et prendre le pouvoir au nom de la société toute entière.


Le communisme des conseils s’oppose à tout ‘communisme de parti’, en particulier au ‘léninisme’ (ou à ses dérivés « capitalistes d’État »), selon lequel les conseils sont nécessairement soumis à la seule autorité du parti communiste qui doit s’emparer du pouvoir étatique et ‘construire’, en se substituant à la volonté des masses, la société socialiste, puis communiste au cours d’une interminable « période de transition » qui visera à s’éterniser, comme le capitalisme d’État.


Ayant pour but l’édification d’une société libérée de la dictature du Capital, sans esclavage salarié, sans classes exploiteuses et sans État exploiteur, le communisme des conseils considère que le capitalisme d’État perpétue le pouvoir du Capital global dans le cadre d’un État, qui – sous l’égide d’une bureaucratie ou d’une caste de fonctionnaires ou ‘spécialistes’ – reste le « capitaliste idéal » (Engels, Antidühring) chargé d’assurer une accumulation primitive du capital, dans un cadre national fermé. Ce ‘socialisme national’ n’est donc pas un progrès historique – pouvant être considéré comme une forme de ‘Révolution bourgeoise’ dans une aire géographique arriérée (Bordiga) ou comme un ‘État ouvrier’ – ‘bureaucratiquement dégénéré’ (Trotsky) – cristallisant de prétendus ‘acquis prolétariens’ obtenus par la dictature d’un parti unique.


C’est ce rejet de tout cadre national, devenu vide de sens dans le rapide mouvement de mondialisation des trente dernières années, qui caractérise le mieux le communisme des conseils. Ce dernier ne reconnaît dans le fait national qu’une donnée historique transitoire et dans le processus d’émergence d’une société mondiale. La prise du pouvoir des conseils ouvriers n’a aucun sens sur le terrain de la nation (« socialisme dans un seul pays »), et ne peut prendre racine que si elle englobe simultanément au moins un groupe de pays, sapant d’entrée les bases d’une idéologie de défense de toute ‘patrie socialiste’.


Parce que les conseils ouvriers sont édifiés sur une base territoriale, ils ne peuvent avoir d’existence purement nationale. L’institutionnalisation d’une fédération d’États socialistes des conseils est donc exclue. Le pouvoir des conseils ouvriers dans plusieurs pays, un continent, puis plusieurs, ne peut se fonder que sur une libre et égale association de conseils ouvriers territoriaux ou régionaux, basés sur les ensembles de production, faisant éclater par là le fait national (nation et nationalités). Ce sera une lutte longue et difficile, où certains conseils, sinon la majorité, tomberont aux mains de la classe dominante, par le biais de ses partis et ses syndicats.


La fédération de ’Communes territoriales’ conduit à l’instauration d’un État-Commune mondial. Dans sa brochure sur Le devenir de la nouvelle société (juillet 1920), Karl Schröder, le chef du KAPD, affirmait que cette commune mondiale ne serait pas une « fédération de républiques nationales des soviets » – telle que proclamée par Lénine en janvier 1918 puis dans la Constitution de la République socialiste fédérative soviétique de Russie du 10 juillet 1918. Cette Commune élargie au monde entier associerait les conseils ouvriers de tous les continents créés sur une base territoriale et non plus nationale.


II. Un « nouveau mouvement ouvrier » : changement de tactique, la question du but immédiat


Rosa Luxemburg soulignait en décembre 1918, lors du Congrès de fondation du KPD : « Maintenant, il n’y a pour nous ni programme maximum ni programme minimum ; le socialisme est une seule et même chose ; c’est là le minimum qu’il nous faut réaliser aujourd’hui… la réalisation du socialisme est la tâche immédiate dont la lumière doit guider toutes les mesures, toutes les positions que nous prendrons ».


Le communisme des conseils allemand et hollandais (Räte-Kommunismus/ Radencommunisme) surgi en 1918-1919, considère que la première guerre mondiale a montré la vacuité de l’ancien mouvement ouvrier, organisé dans les syndicats et les parlements. Cet ancien mouvement reposait sur des conquêtes progressives et partielles ainsi que la recherche d’alliances avec des ‘fractions progressistes’ de la classe dominante, en vue d’une prise du pouvoir graduelle et légaliste. Considérant (faussement) que le capitalisme traditionnel était entré dans une phase de ‘crise mortelle’ (Todeskrise), le communisme des conseils estimait en conséquence que tout nouveau mouvement ouvrier devait, principiellement :


Rejeter la forme syndicale, officielle, considérée comme l’expression d’un réformisme utopique, dont la seule fonction est de légalement encadrer la force de travail dans un cadre d’une gestion tripartite du capital entre État, patrons et ‘représentants légaux’ du Travail. Selon le communisme des conseils, les nouvelles formes d’organisation, en remplacement des vieux syndicats, seraient les ‘Unions ouvrières’ nées de la lutte révolutionnaire, organismes de lutte politique et économique, les comités d’action, de chômeurs, nés spontanément des besoins de la lutte de classe. Les communistes des conseils furent d’ailleurs d’actifs militants de ces comités tant en Allemagne qu’aux États-Unis.


Rejeter le cadre parlementaire et l’action de ‘tactique électorale’. Le communisme des conseils estime que dans une période de préparation révolutionnaire et de façon générale depuis la première guerre mondiale, la participation aux élections est un piège mortel. Telle l’acceptation de l’Assemblée constituante en Allemagne en janvier 1919, un total suicide politique. De tribune révolutionnaire, le parlement est devenu un cirque électoral, à l’image du Cirque Busch de Berlin, où les conseils se sabordent légalement et donnent « démocratiquement » tout pouvoir à l’Assemblée constituante. La seule validité des élections émane de la base des Conseils ouvriers, lors de la régulière nomination (et de la destitution) de ses délégués. Et encore cela ne peut garantir le maintien d’un pouvoir prolétarien révolutionnaire face à la contre-révolution agissant très rapidement tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des conseils.


Refuser un soutien, même tactique, aux mouvements de ‘libération nationale’, car l’idée nationale s’oppose à la lutte pour la conquête du pouvoir par le seul prolétariat (ouvriers, employés prolétarisés, ouvriers agricoles et paysans pauvres), seule classe porteuse d’un progrès historique.


Combattre toutes les idéologies qui dévient la classe travailleuse du but suprême : la suppression irréversible du système capitaliste, quelle qu’en soit la forme : libérale, terroriste fasciste ou capitaliste d’État, sous quelque forme stalinienne que ce soit. Le communisme des conseils, comme le font aussi (très partiellement) Hazan et Kamo, considérait que l’antifascisme était un « leurre » tendant à revigorer le fascisme « en donnant l’impression de soutenir l’ordre démocratique existant ».

III. Les premières mesures de la révolution : domination du « politique » par une économie aux mains du prolétariat et suppression de l’exploitation capitaliste


Ces refus de toute l’ancienne tactique n’avait aucun sens en dehors du processus de fondation d’une société nouvelle d’émancipation, processus qui devait être irréversible pour être réel ; mais aussi une société où se renverse la perspective : non le politique des sociétés traditionnelles dominant l’économie, mais l’économie aux mains des producteurs et des consommateurs soumettant le politique, celui de l’État, pour mieux en assurer l’extinction en tant qu’organe de classe.


Ces mesures sont exposées dans les deux textes fondamentaux : les Principes fondamentaux de la production et de la répartition communiste (Berlin, 1930, Amsterdam, 1950) et les Conseils ouvriers (1941-1947) de Pannekoek.


Dans le premier texte, écrit par un dirigeant ouvrier du KAPD, Jan Appel, délégué au 3e congrès du Komintern, la question de la socialisation ou de la communisation était posée sur un plan économique : « Ce que les ouvriers ont à conduire est la domination du politique par l’économie ».
Par « économie », il faut entendre l’association des producteurs libres et égaux sur leur lieu de travail, ignorant toute instance étatique et domination de parti. Une telle association est un objectif, non un point de départ. Le grand problème reste celui de la répartition égalitaire de la consommation décidée non par une instance étatique centralisée mais par la base organisée en conseils d’entreprise. Il s’agira de calculer le temps social moyen de production de chaque produit pour déterminer justement une distribution égale des réserves sociales de consommation pour chaque producteur-consommateur. Grâce à cette comptabilité sociale, il serait mis fin à la loi de la valeur : les produits seraient démonétisés et circuleraient sur la base de leur seule valeur d’usage sociale. Cette comptabilité sociale – selon le communisme des conseils – élaborée à la base et collectivement permettrait d’échapper au danger de formation rapide d’une bureaucratie parasitaire.

Il s’agirait en fait de créer un rapport nouveau du producteur à son produit, ce qui rejoignait une certaine conception libertaire théorisée en 1921 par Sébastien Faure (Mon communisme), qui est d’ailleurs cité par le communisme des conseils.
Cette vision parut fort simpliste aux principaux théoriciens du communisme des conseils Anton Pannekoek et Paul Mattick.


Pour Pannekoek, dans son livre les Conseils ouvriers, il ne fallait pas perdre de vue que pendant un certain temps (non précisé) il « faudrait relever une économie ruinée… » aussi bien par les crises économiques que par les guerres. Il poursuivait : « Il est très possible que l’on continue à répartir uniformément les denrées alimentaires comme on le fait toujours en temps de guerre ou de famine… les nouveaux principes moraux du travail commun prendront forme d’une manière graduelle ».


Au fameux (et totalement stupide !) mot d’ordre : « ne travaillez jamais ! », propagé par des anarchistes (repris plus tard par Guy Debord), Pannekoek opposait celui d’une éthique, d’une justice égale dans la répartition des biens de consommation. Il reprenait à son compte l’adage populaire, en fait de saint Paul (Lettre aux Thessaloniciens) : « qui ne travaille pas ne mange pas ». D’une part, la consommation nouvelle n’est pas réductible à une égalisation quantitative de coopérateurs autonomes (autogérés) : « une très grande partie du travail doit être consacrée à la propriété commune, doit servir à perfectionner et à élargir l’appareil de production. » Il faudra aussi « allouer une partie du temps de travail global à des activités non productives mais socialement nécessaires : l’administration générale, l’enseignement, les services de santé… » D’autre part, se posera le problème de l’accès aux moyens d'existence de tous ceux qui ne peuvent pas physiquement (mais aussi psychiquement) travailler.


Paul Mattick, dans les années 50, affina le problème. Malgré l’expérience de la grande crise de 1929, à laquelle se compare la crise actuelle, il ne s’agissait pas de constituer des armées du travail, fût-il social et d’intérêt général. Le calcul de la participation de chacun au processus de production, devient sans objet, car « il sera facile de produire un tel excès de biens de consommation que tout calcul de la participation individuelle deviendra inutile ». Mais cette approche de Mattick – qui tint compte plus tard de l’équation écologique (« Kapitalismus und Ökologie », 1976) –, devrait nécessairement être corrigée à la sombre lumière d’un monde capitaliste ravagé par la crise, les guerres, et les famines créées par les ravages destructeurs du cadre naturel par le capital mondial.


La seconde critique était que la répartition communiste ne pouvait se calquer sur l’ancien monde des ateliers, puis celui du fordisme. En premier lieu, « la productivité du travail a atteint un point tel que les travailleurs effectivement actifs dans la production constituent une minorité dans l’ensemble de la classe ouvrière, tandis que les travailleurs employés dans la circulation ou autre part deviennent la majorité ».


En deuxième lieu, le travail avait acquis une qualité nouvelle, universelle, où il était impensable de séparer le travail manuel du travail intellectuel. La combinaison de la science et de la production fait qu’il est impossible de distinguer travail simple et travail complexe. Paul Mattick notait qu’« on peut considérer les universités en partie comme des ‘usines’, car les forces productives issues de la science tendent à supplanter celles liées au travail direct ».


En troisième lieu, la crise mondiale – selon Mattick – uniformise les conditions d’une répartition communiste : « la paupérisation liée à la crise frappe tous les travailleurs, lesquels – même s’ils sont à l’extérieur de la production directe – « n’en font pas moins partie de la classe ouvrière ».


Surtout, Mattick insiste sur le fait qu’il ne s’agissait ni d’autogérer ni de rendre « égalitaire » une misère sociale exacerbée par la misère d’un travail inhumain. Il reprenait en fait la conception de Marx où la seule philosophie du travail devait être son abolition : « Le „travail” est par nature l’activité asservie, inhumaine, asociale, déterminée par la propriété privée et créatrice de la propriété privée. Par conséquent l’abolition de la propriété privée ne devient une réalité que si on la conçoit comme abolition du ‚travail‘ (Karl Marx, À propos de Friedrich List, „le Système national de l’économie politique“, 1845).


On notera ici les guillemets utilisés par Marx, qui ne par le pas ici d’une négation abstraite du travail, mais d’une société où la classe dominante tire profit d’un certain type de travail totalement asservi à ses intérêts de classe. Pour Marx le travail cède la place à une activité libre, où « le domaine de la liberté ne commence que lorsque cesse le travail déterminé par le besoin et l’utilité extérieure ».


Pour Mattick, le seul bon principe était donc non d’ordre quantitatif, mais qualitatif : un « principe d’économie de la classe ouvrière n’est rien d’autre que la suppression de l’exploitation », tant que le « travail » reste une torture, labor, soumis au capital privé et/ou étatisé, et non une activité libre, où le critère est de créer le plus de temps libre possible pour le développement personnel de tout un chacun dans un cadre social de plus en plus harmonieux.
C’est pourquoi, l’exigence d’une « comptabilité » exacte du travail social moyen pour la consommation ne pourrait être satisfaite. D’une part, en raison des « variations constantes du travail social moyen », d’autre part parce qu’il s’agit constamment d’« adapter production et distribution aux besoins de la société ». Cette société est une société mondiale, caractérisée par d’abyssaux écarts à combler avant de parvenir à une certaine équité dans la distribution.
Pendant longtemps, surtout dans une période de transition dominée par les guerres civiles et le chaos de toute espèce (destruction de la nature, réchauffement climatique), désastreux héritage de la période de domination capitaliste, la comptabilité sera une nécessité. Il faudra assumer des inégalités dans la distribution des moyens de subsistance tenant compte prioritairement des besoins des couches les plus pauvres de la société.

 

Conclusion : actualité du communisme des conseils aujourd’hui ?


En faisant des conseils ouvriers la forme enfin trouvée de la domination du politique par l’économique et donc de la dissolution de l’État du capital, le communisme des conseils donne quelques pistes pour trouver des solutions concrètes aux interrogations actuelles : chômage massif et destruction périodique de la force de travail. Seulement quelques pistes, car selon le communisme des conseils, la révolution ferait « l’économie » du « politique », celui du surgissement de partis communistes internationalistes, agents décisifs du processus du développement de la conscience de classe à l’échelle mondiale…


Certes, mais comment peut renaître l’espoir d’une transformation de la société qui soit rapide et irréversible, en passant topiquement du local au mondial ? Et cela malgré la constatation que le capital en s’autonomisant détruit à toute vitesse non seulement les conditions mêmes de sa perpétuation par la destruction programmée des ressources naturelles, mais aussi celle des forces productives elles-mêmes (chômage massif). Comment peut-on sérieusement envisager une activité communiste internationaliste sans un développement massif de la conscience dans toutes les couches du prolétariat, un prolétariat qui devra s’auto-éduquer économiquement et politiquement ?


Comme le constatent Hazan et Kamo, on ne peut songer à une émancipation irréversible du genre humain en se résignant à « constater l’effondrement de l’édifice social présent. Il nous faut le faire advenir au plus vite » avant que le Capital offre à l’humanité soit une horreur sans fin soit une fin rapide dans l’horreur.


Les conseils ouvriers seront-ils la forme enfin trouvée d’organisation de la société ? Cette « insurrection à venir » (avec des guillemets ici) prédite par des « anonymous »– terme très contestable (Jaime Semprun) – sera-t-elle « antipolitique » ? dans le sens qu’il n’y aurait plus d’« avant-garde », mais seulement des « agents de liaison qui travaillent à éveiller et faire circuler les devenirs révolutionnaire », selon Hazan & Kamo porte-parole de toute une génération échaudée par de récurrents « constructeurs de parti » ?


Ou au contraire, comme l’écrivait Pannekoek, s’agit-il de groupes de travail et d’action ou «partis » qui ont pour mission d’élaborer la « puissance spirituelle » sans laquelle toute forme d’organisation, comme les conseils ouvriers, serait une coquille vide ?


L’émancipation humaine par des organes réunissant des « multitudes » (Toni Negri et Michael Hardt) se pose certes hic et nunc, et non dans les brumes lointaines de l’utopie. Dans une mondialisation bien achevée, les opérations boursières s’opèrent en nanosecondes, nous sommes très loin du temps long braudélien, mais bien jetés dans le temps court, où l’émancipation peut surgir comme une question concrète à résoudre maintenant (« C’est maintenant… »).

Mais il serait périlleux d’affirmer que « la notion de société de transition est désormais caduque et réactionnaire » (Bruno Astarian, 2010). Pour les partisans de cette position, qui se donnent l’étiquette de « communisateurs », le processus de transformation irréversible vers une émancipation sociale globale s’opère désormais dans le temps court.


Plus prudent, Gilles Dauvé note que cette théorie est déjà datée en 2017 : « L’idée de communisation est née de la crise sociale des années 1970, où d’ailleurs cette notion n’a même pas eu la menue influence qui était alors celle des positions anti-bureaucratiques, conseillistes et situationnistes ». Il constate surtout la capacité de récupérabilité d’une telle notion par le système qui secrète ses « intellectuels organiques » : «… la communisation jouit maintenant d’une petite mode des deux côtés de l’Atlantique, et personne ne devra être surpris le jour où le mot sortira de la bouche de Slavoj Žizek »…. Ou d’Alain Badiou, pourrions-nous ajouter.


La théorie de la « communisation » s’affirme surtout comme une pétition de principe qui n’appelle nulle réplique. Elle est une resucée très appauvrie de la pensée utopique du XIXe siècle, qui derechef ne tient nul compte de la réalité économico-sociale d’un capitalisme devenu totalement destructeur. Il faudra non seulement se donner le temps pour soigner les plaies béantes laissées par le capitalisme, et surtout déployer pendant très longtemps des efforts décuplés pour sauver l’organisme même de la société humaine à l’échelle mondiale !


Les coups de baguette magique n’existent que dans les contes pour enfants !


Ph. B.
 


SOURCES ET MATÉRIAUX POUR UNE RÉFLEXION CRITIQUE


Sébastien Faure, Mon Communisme : Le bonheur universel, Imprimerie La Fraternelle, Paris, 1921.

Rosa Luxemburg, Discours au Congrès de fondation du KPD (Spartakusbund), Berlin, 31 déc. 1918, Écrits politiques 1917-1918, Maspéro, Paris, 1969.

Anton Pannekoek, « Les divergences tactiques au sein du mouvement ouvrier » (1909), in S. Bricianer (éd.), Pannekoek et les conseils ouvriers, EDI, Paris, oct. 1969.

Paul Mattick, Préface aux principes fondamentaux de la production et de la distribution communistes (1970), in Fondements de l’économie com-muniste, I.C.O. n° 101, 1er février 1971.

Roland Bardy, 1919. La Commune de Budapest, La tête de Feuilles, Paris, 1973.

Anton Pannekoek, Les Conseils ouvriers (1941-47), Bélibaste, Paris, 1974.

Karl Marx, Critique de l’économie nationale. Sur le livre de Friedrich List « Le Système national de l’économie politique » (1845), Paris, EDI, 1975.

[Dominique Blanc] Un monde sans argent : le communisme, Amis de 4 millions de jeunes travailleurs, vol. 1 à 3, 1976.
„Kapitalismus und Ökologie. Vom Untergang des Kapitals zum Untergang der Welt“, Jahrbuch Arbeiterbewegung 4, Fischer Taschenbuch, Frankfurt am Main, 1976.

Paul Mattick, « Y a-t-il un autre mouvement ouvrier ? » (1975), in Le marxisme hier, aujourd’hui et demain, Spartacus, Paris, 1983.

Gruppe internationaler Kommunisten, Prinzipien kommunistischer Produktion und Verteilung, GIK-AAUD, Berlin, 1930. Traduction en anglais par le Movement for Workers’ Councils, Londres, 1990.

Jaime Semprun et René Riesel, Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2008.

Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale (1993), Les mille et une nuits, Paris, 2009.

Alain Badiou et Slavoj Žižek (dir.), L’Idée de communisme, Nouvelles Éditions Lignes, 2010.

Bruno Astarian, Activité de crise et communisation, 2010, Senovero, Marseille.

Groupe Krisis, Manifeste contre le travail (1993), Osez la République sociale !, Gaël, 2012.

Karl Schröder, Vom Werden der neuen Gesellschaft (Alte und neue Organisationsformen), KAPD, 1920. Reprint 2013.

Claude Bitot, Repenser la révolution, Spartacus, Paris, mai 2013.

Éric Hazan & Kamo, Première mesures révolutionnaires, La fabrique, sept. 2013.

Gilles Dauvé, De la crise à la communisation, entremonde, Genève, juin 2017.
 

ANNEXE

Réflexions d’A. (inter rev foro), juillet 2017, sur les notions de « fédéralisme » et d’ «autonomie»

“El federalismo es una doctrina política que busca que una entidad política u organización esté formada por distintos organismos (Estados, asociaciones, agrupaciones, sindicatos) que se asocian delegando algunas libertades o poderes propios a otro organismo superior, a quien pertenece la soberanía (Estado federal o federación) y que conservan una cierta autonomía, ya que algunas competencias les pertenecen exclusivamente. En otras palabras, es un sistema político en el cual las funciones del gobierno están repartidas entre un grupo de Estados asociados, en primer lugar, que luego delegan competencias a un Estado federal central” (https://es.wikipedia.org/wiki/Federalismo).
“La autonomía de una partes respecto a otras es limitada en el federalismo comunista, y debe primar la unificacion y la coordinación para asegurar los intereses y los recursos comunes, asi como una adecuada relacion entre las partes y los órganos de centralización” (https://es.wikipedia.org/wiki/Federalismo).

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