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théorie politique

Loren Goldner: La question agraire dans la Révolution Russe: un aller-retour de la communauté matérielle au productivisme, 24 octobre 2017

Publié le 24 Octobre 2017 par Loren Goldner in philosophie politique

Ficher pdf de l'étude de 35 pages environ : La question agraire dans la Révolution Russe: un aller-retour de la communauté matérielle au productivisme.

Conclusion

« La multiplication des pouvoirs humains est son propre but. »
Marx, Les formations économiques pré-capitalistes

La question paysanne, presque 25 ans plus tard (1991), est toujours d’actualité à l’échelle mondiale. L’espace n’est pas ici suffisant pour dresser un aperçu des nombreuses formes contemporaines de celle-ci, des insurrections rurales en Inde à l’incapacité du régime chinois à absorber de manière significative ses plusieurs centaines de millions de paysans restants, en les envoyant en Afrique, en Amérique latine, en Asie du Sud Est et au Moyen-Orient. Aujourd’hui, encore plus qu’il y a cent ans, les capacités agricoles combinées des États-Unis, du Canada, de l’Europe de l’Ouest, de l’Australie et de l’Argentine, dans un ordre global qui produirait pour l’utilité sociale, pourraient alimenter plusieurs fois le monde entier. Ce potentiel, bloqué en tant que tel par les relations sociales capitalistes, pèse comme une épée de Damoclès sur les producteurs de subsistance agraire dans la plupart du reste du monde ; des décennies de négociations commerciales mondiales (comme récemment, le dénommé cycle de Doha) ont volé en éclats. Après la conclusion de l’ALENA [152] en 1993, les exportations américaines et canadiennes ont submergé ce qui restait de l’économie paysanne mexicaine. La « forteresse Europe » d’aujourd’hui (l’Union européenne), tout comme « El Norte » (les États-Unis), sont des aimants qui attirent des millions de gens, dont des millions de paysans, en provenance des économies rurales dévastées d’Amérique latine, d’Afrique et du Moyen-Orient, risquant leurs vies pour traverser la Méditerranée ou le désert de Sonora, dans l’espoir de rejoindre les rangs du sous-prolétariat du soi-disant monde développé. Ils fournissent « l’armée de réserve des chômeurs » au capital et, commodément, dans l’affaire, le parfait bouc émissaire au populisme nationaliste/raciste à l’œuvre dans la classe ouvrière indigène.

Dans cette réalité qui émerge des ruines du bloc de l’ex-Union soviétique vu comme l’ancienne alternative au capitalisme, la longue fascination qu’a portée Marx durant une décennie à l’égard de la commune russe paysanne, revient avec tout son caractère d’urgence. Cela, alors que la gauche internationale renoue de plus en plus avec le projet de Marx dans ses dimensions pleines et entières, d’abord supprimées par Engels et perdues durant plus d’un siècle par la confusion entre les tâches de développement de la révolution bourgeoise avec celles de la révolution prolétarienne qu’ont entretenue les Deuxième, Troisième et Quatrième Internationales. Cette dernière révolution ne « construit pas le socialisme » mais «accouche» plutôt d’une forme supérieure d’organisation sociale déjà implicitement présente en tant que « négation déterminée » de l’ordre ancien moribond, le « véritable mouvement se déployant devant nos yeux », comme l’affirme le Manifeste[153].

Pendant quatre décennies, depuis les années 1970, le capitalisme mondial a lutté par à-coups contre la preuve toujours plus évidente de sa caducité, sur le plan d’un véritable développement global humain et pour éviter de plus en plus une apocalypse environnementale. La Chine et l’Inde ont pu, durant ces décades, donner naissance à quelques dizaines de millions de nouveaux riches (sur une population totale combinée de 2,6 milliards de personnes, rappelons-le) d’une classe moyenne s’acharnant à adopter un « mode de vie occidental » de consommation, basé sur l’automobile. Pour autant, l’extrapolation la plus élémentaire des ressources et de la destruction de l’environnement (pollution, dégradation atmosphérique, réduction de l’espérance de vie) inclus dans un tel « mode de vie » aux 7,5 milliards d’individus (9 milliards en 2050) montre que l’existence future de celui-ci s’apparente à une grande « erreur de composition linéaire ». Ce constat nous renvoie au « passé futur » de la vision portée par Marx d’une réappropriation des forces productives du monde, tout en corrigeant, évidemment à un niveau bien plus élevé, le «schisme» fondamental de l’expropriation, qui débuta il y a plus de 500 ans. Il nous ramène aussi au dépassement de la séparation de la ville et de la campagne et, partant, à la répartition plus uniforme de la population mondiale sur la surface de la terre (auxÉtats-Unis, par exemple, 99% de la population vit actuellement sur 1% du territoire)

La révolution à venir n’aura pas pour but d’élaborer un plan quinquennal afin de surpasser le capitalisme dans « l’acier, le ciment et l’électricité », pour revenir à notre citation initiale de Trotsky, (quoiqu’elle puisse le faire, incidemment, dans le cadre de la réalisation de tâches plus fondamentales). Elle va plutôt, pour commencer, démanteler dans le monde entier les centaines de millions d’emplois, des « quants » de Wall Street aux agents de péages, qui n’existent que pour administrer le capitalisme, libérant cette force de travail pour de l’activité d’utilité sociale tout en combinant celle-ci avec les plusieurs milliards de personnes que le capitalisme marginalise, et ce, en vue de réduire radicalement journée de travail pour tous. Avec le démantèlement du complexe voiture-acier-pétrole-caoutchouc encore au centre de la production et de la consommation capitalistes (sans parler de “l’imaginaire” du capitalisme), le temps de travail social perdu dans les trajets quotidiens et les embouteillages, en Amérique du Nord, en Europe et en Asie de l’Est, ce qui est largement un produit des schémas de développement urbain, suburbain et péri-urbain de l’après Seconde Guerre Mondiale, encadrés par des priorités immobilières, sera regagné par la société. Il en sera de même vis-à-vis de l’énorme dépense de carburants fossiles, par la suppression aussi nécessaire que consciente du transit de masse via l’automobile et les industries pétrolières, qu’une visite superficielle de la plupart des villes américaines révélera. Se débarrasser de l’ensemble des coûts sociaux, matériels et énergétiques de l’espace urbain, suburbain et péri-urbain tel qu’il existe actuellement constituera déjà un pas de géant vers la dé-marchandisation totale de la vie humaine. Ou comme Marx l’affirmait il y a 150 ans :

« …Quand l’étroite forme bourgeoise a été balayée, qu’est-ce que la richesse, sinon  l’universalité des besoins, des capacités, des jouissances, des pouvoirs productifs, etc. des individus, produits dans l’échange universel ? Qu’est-ce, sinon le plein développement du contrôle humain sur les forces de la nature – autant celles de sa propre nature que celles de ce qu’on appelle « nature »? Qu’est-ce, sinon l’élaboration absolue de ses dispositions créatives, sans aucune autre condition préalable que l’évolution historique antécédente qui fait de la totalité de cette évolution – c’est-à-dire l’évolution de toutes les puissances humaines en tant que telles, non mesurées par un quelconque critère déjà établi –  une fin en soi ? Qu’est-ce que cela, si ce n’est une situation où l’homme ne se produit pas lui-même sous une forme déterminée, mais produit sa totalité ? Où il ne cherche pas à demeurer quelque chose formé par le passé, mais est dans le mouvement absolu du devenir ? » (Les formations économiques pré-capitalistes).

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