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théorie politique

BUCHENWALD, C’EST LE CAPITALISME ! (Il programma comunista, 1960)

Publié le 9 Juin 2020 par Programma comunista/Pantopolis.PB

Introduction

Le capitalisme couveuse du fascisme : l’oppression, la bestialité

et la mort de 1960 à 2020

 

Nous  publions en version française cet article du journal Programma comunista, daté de janvier 1960, organe en Italie du Parti communiste international (tendance de Bordiga), intitutlé : « Buchenwald, c’est le capitalisme ».

Depuis l’avènement du nazisme jusqu’en mai 1945, le camp de concentration de Buchenwald était devenu le symbole de l’écrasement des opposants ouvriers au régime nazi, qu’ils soient social-démocrates, staliniens et antistaliniens. Ernst Thälmann, le chef du KPD y avait été détenu en 1933 puis finalement assassiné en 1944. À ce titre, Buchenwald était, au temps de la RDA, le symbole de la « résistance intérieure » du KPD au système nazi. Pour tous les constructeurs de mémoriaux sacrés, qui célébraient la victoire de la « démocratie libérale anglo-saxonne », il était totalement exclu d’écrire en lettres capitales bien visibles, pour les générations présentes et à venir : « Nazisme = racisme = capitalisme génocidaire ».

Sous les plis du drapeau de la « démocratie libérale », mais aussi de sa cousine la « démocratie populaire », se dissimulaient tous les massacres du capitalisme. Depuis les guerres coloniales en Algérie (inaugurées par le massacre de Sétif, avec ses 40.000 victimes assassinées par l’armée française et les colons le 8 mai 1945) et en Indochine, jusqu’aux guerres du capitalisme d’État stalinien contre-révolutionnaire (Hongrie 1956). Toutes ces guerres étaient impérialistes et participaient de la défense des empires capitalistes : l’Empire américain, sous couvert de la Charte des Nations unies, en Corée, et des empires de Sa Majesté la République française ou de Sa Majesté britannique, sous couvert de liberté de circulation des marchandises (Canal de Suez égyptien, 1956).

L’article rappelle à propos que le vice-président du conseil Maurice Thorez (il aurait pu aussi mentionner le ministre communiste de l’aviation Charles Tillon, ancien chef « communiste » des FTP), dans le gouvernement du « grand résistant » De Gaulle, ont trempé dans le crime de Sétif, au nom du « front universel de l’antifascisme », le jour même de la signature de l’Armistice.

L’organisation alors dirigée par Amadeo Bordiga et Bruno Maffi, qui se nomme alors Parti communiste internationaliste, défend l’idée que le nazisme-fascisme s’est perpétué sous une bannière en apparence plus présentable : les « droits de l’homme » incarnés par la Charte des Nations unies (lors de la guerre de Corée, 1950-1953). Les 15 années de l’après-guerre n’ont été en fait que « 15 années de fascisme aggravé ».

Exagération de langage, oui et non. L’on sait que les victimes des guerres impérialistes (sous toutes leurs formes) et de leurs massacres dits « collatéraux » dépassent depuis 1945 de très loin les 60 millions du second conflit mondial.  Les guerres impérialistes américaines qui ont suivi les attentats du 11 septembre ont anéanti environ 6 millions de vies humaines[1].

Cet article tombe aussi à pic pour rappeler que le racisme, dans le mode ordinaire du fonctionnement capitaliste, n’a pas seulement été antisémite – dans le sens antijuif, mais aussi anti-arabe en Algérie – mais aussi anti-noir. L’Afrique du Sud, condominium de politiciens et capitalistes anglo-boers, s’appuyant sur des « petits blancs », bénéficiant de la « préférence nationale » si chère à Marine Le Pen, devint en 1945 membre des Nations unies. Le général Smuts, qui fut un des initiateurs de la SDN participa à la rédaction du préambule de l’Organisation des Nations unies et eut la prudence de ne se mouiller ni avec l’antisémitisme ni avec l’apartheid que la classe politique blanche soutenait.

La « ligne de couleur » (racisme institutionnel) a bien été mise en place aux USA après 1870 et en Afrique du Sud, après 1946. Aux USA mêmes, le racisme institutionnel s’est traduit par d’infâmes pogromes antinoirs dont celui de Tulsa en 1921 est le plus emblématique. Si en 2020, le Noir américain n’est plus l’objet de chasses à l’homme, comme le subirent aussi les juifs d’Europe, il demeure un « citoyen minoris juris », « dernier embauché, premier licencié », carton de choix pour les policiers suprématistes blancs, comme vient de le rappeler récemment l’assassinat de George Floyd.

L’article souligne aussi que les tortures perpétuées par le système capitaliste, qu’il soit colonial ou non, ne sont pas une simple « marque de fabrique hitlérienne ». Le proconsul en Algérie Robert Lacoste, « socialiste » SFIO, ancêtre du Parti socialiste, a laissé lui aussi sa marque de fabrique, avant que le « grand frère » yankee ne vienne perfectionner ce précieux outil de la plus puissante armée du monde. Le scandale d’Abou Ghraib, survenu en 2003-2004, a révélé que des gradés de l’armée américaine et des agents de la CIA usaient des pires sévices à l’encontre des prisonniers, lors de la guerre en Irak, dans la prison éponyme. Ces derniers étaient physiquement et sexuellement violentés, torturés, violés, sodomisés et exécutés. Le faisaient-ils la main sur le cœur en saluant le précieux drapeau étoilé du capital américain et en récitant tous les amendements de la Constitution américaine ? C’est fort probable. Que de crimes ne sont massivement commis, hier comme aujourd'hui, au nom de la "vertueuse" démocratie et de la "lutte contre la terreur"...

Post-scriptum – L’article de la tendance « bordiguiste » trouve son origine dans la flambée de gestes antisémites, soigneusement planifiés par l’extrême droite dans différents pays, en pleine guerre d’Algérie, où pullulaient des groupuscules proches de l’OAS. Un article du Monde, paru l’an dernier, décrit très bien le phénomène :

  • « Des croix gammées se répandent de façon virale, en France, « dans le Marais, ciblant des magasins appartenant à des Juifs, mais aussi à Bordeaux, Lille, Douai, Lens, Niort, Toulouse, Lyon, Montpellier… sur les synagogues, les écoles israélites, dans les couloirs du métro ».
  • « Il semble  bien, en effet, que l’impulsion soit partie d’Allemagne de l’Ouest. Un « Juden Raus » est venu souiller la synagogue de Cologne, puis d’autres, ailleurs dans la ville. 685 actes de vandalisme antisémite ont été recensés à Bonn entre Noël 1959 et la fin janvier 1960… Les marques outrageantes ont été reprises à travers le monde : croix gammées à New-York, sur une école juive de Brooklyn, « Juden Raus » sur la synagogue de Notting Hill; inscription « less jewish music» sur le Royal Festival Hall à Londres; « Juifs dehors » et « Heil Hitler » à l’entrée du stade de football de Dalymount Park à Dublin; inscription « Quittez la Suède, la Suède aux Suédois» sur une synagogue de Malmö; lettres de menace ornées de croix gammées, adressées à des rabbins à Amsterdam… »[2].

Contrairement à ce que laisse entendre l’article d’Il Programma comunista, ce ne sont pas « les jeunes » qui sont à l’origine de cette épidémie de croix gammées, mais bien le mouvement Jeune Nation, avec le soutien d’une partie de l’appareil d’État gangréné par l’extrême droite «Algérie française». La majorité des «jeunes » était en apparence apolitique, eau dormante qui donnait l’impression de vouloir ignorer l’histoire («Hitler, connais pas », dans le fameux film de Bertrand Blier). Fausse impression comme devait le prouver le gigantesque mouvement prolétarien de mai 1968 !

Cette épidémie de croix gammées disparut aussi vite qu’elle était apparue. Le fait le plus digne d’être retenu fut certainement l’indignation vertueuse dont témoigna le préfet de police Maurice Papon.

Le 7 janvier 1960, ce dernier proclama la main sur le cœur : « Je n’ai pas besoin de vous dire que la police parisienne est extrêmement vigilante, qu’elle multiplie les surveillances et qu’elle s’efforce d’ailleurs de faire disparaître des murs les traces de ces signes ».

On sait quel rôle ce personnage joua, sous l’occupation nazie, dans la déportation de 1.600 juifs de Bordeaux à Drancy, antichambre des camps de la mort. On sait quel rôle il continua à jouer lors de la répression de la manifestation d’Algériens à Paris, le 17 octobre 1961, qui se traduisit par des dizaines d’assassinats légaux.

Lorsque l’article de Programma comunista écrit avec justesse que l’appareil d’État capitaliste peut « crier haro sur le juif, tout en détournant l’indignation des masses exploitées contre l’anti-juif » (= antisémite), il ignorait sans doute que Maurice Papon incarnait à la perfection cette ignoble politique de duplicité de l’État capitaliste et de ses hommes de main. Antisémite en 1942, Papon fut antinazi en janvier 1960, dénonçant la campagne de croix gammées, et de nouveau antisémite (= anti-arabe algérien) en octobre 1961 et bien après.

Ce « grand commis » de l’État républicain manifesta une belle «continuité », celle de valet zélé du capitalisme sous toutes ses formes, un système qui reste identique à lui-même, de sa naissance à aujourd’hui : « l’oppression, la bestialité et la mort ».

Pantopolis/PB

 

[1] https://www.les-crises.fr/combien-de-millions-de-personnes-ont-ete-tuees-dans-les-guerres-americaines-qui-ont-suivi-les-attentats-du-11-septembre-2001-partie-3-libye-syrie-somalie-et-yemen-par-nicolas-j-s-davies/

[2] Emmanuel Debono, « Des croix gammées et des questions », Le Monde, 13 février 2019,

 

 

Buchenwald, c’est le capitalisme !*

 

Les flambées de délinquance raciste et de voyoucratie antisémite, l’épidémie de croix gammées et autres joyeusetés du même type semblent arriver juste à temps pour redonner du peps et du prestige à la ‘vertueuse’ démocratie progressiste, et justifier cette mise en garde : péril nazi, horreurs des camps de concentration, violence bestiale contre les faibles, c’est bien le retour ! Unissons-nous pour conserver intacte la pureté de l’antifascisme ! Et pourquoi pas, reformons un front populaire pour la défense des droits de l’homme !

La démocratie serait-elle un rempart contre la réapparition de la bête triomphante ? Il n’y aurait donc plus de Buchenwald et de Mauthausen le jour où la virginité démocratique aurait été préservée de la menace d’une résurrection du fascisme à croix gammée ? C’est bien commode,  mais ce n’est pas le cas. Buchenwald n’a pas besoin de ressusciter pour voir resurgir des «remugles de fascisme» : Buchenwald est déjà là, ô grands seigneurs de la démocratie universelle; Buchenwald est là depuis ce jour même où le fascisme a été finalement vaincu sur le terrain militaire et l’a donné scrupuleusement en héritage au vainqueur démocratique. Qu’ont été ces quinze années de domination parfaite de la démocratie à l’échelle mondiale, sinon quinze années de fascisme aggravé ? Craignez-vous la résurgence des génocides, ou bien des intellectuels nostalgiques de fronts démocratiques ? Eh bien, qu’est-ce qu’un massacre de 40.000 Algériens (le 8 mai) 1945 – alors que régnait le front universel de l’antifascisme bourgeois, du grand résistant De Gaulle jusqu’à Thorez son vice-premier ministre –, sinon un classique exemple de génocide dans le pur style croix gammée ? Qu’est-ce donc cette suite ininterrompue de guerres localisées, ici en Corée, là en Algérie, ici en Indochine, là en Hongrie, ici en Égypte, etc., si ce n’est une répétition – sans croix gammée, on est bien d’accord ! – de la vieille rengaine hitlérienne ?

L’Afrique du Sud ultra-raciste – qui, à l’égard des Noirs, n’est certainement pas en reste par rapport au modèle hitlérien – fait partie des Nations unies d’estampillage ultra-démocratique, mais personne n’a jamais pensé et ne pense à l’expulser ou à la clouer au pilori de la «conscience universelle». La «ligne de couleur»[1] fait traditionnellement partie de la politique d’un des piliers de la démocratie universelle, la Grande-Bretagne. La France et la Belgique coloniales ont les mains rougies de sang noir ou sémite blanc[2], et la première sera l’un des piliers de la détente et de la coexistence pacifique couvées lors de prochaines réunions «au sommet». La Croix-Rouge internationale a lancé un timide cri d’indignation sur les tortures pratiquées en Algérie, bien avant De Gaulle, sous le proconsul socialiste (Robert) Lacoste, et allègrement poursuivies et perfectionnées par leurs successeurs. Ce ne sont pas des tortures made in Hitler, mais cela reste des tortures. Peu se risquent à protester : au contraire, tout le monde doit courtiser les tortionnaires au nom de la «liberté par la peur». Aux États-Unis, le racisme officiel et à visage découvert régresse, mais le Noir continue d’être, en fait, un citoyen de seconde zone (minoris juris). Quant aux «génocides», le Kremlin a – dans la longue histoire de la contre-révolution et de sa diplomatie, tantôt pro-hitlérienne, tantôt pro-occidentale, mais toujours réactionnaire – beaucoup à nous apprendre. Non, le fascisme n’est pas mort, parce que le capitalisme n’est pas mort !

Et si, du sein d’une société qui proclame avoir instauré les quatre libertés[3] et avoir éduqué les nouvelles générations dans leur respect – hormis la mode très récente du blue-jean et le barbouillage des murs avec la croix gammée – de quel enseignement auprès des jeunes peut se targuer cette société, si ce n’est ce que nous avons évoqué plus haut ? Ou peut-être que la société démocratique s’indigne parce que les jeunes prétendent lui retirer le monopole maléfique de la terreur et de la persécution raciale ? Ce qui advient est le signe de la pourriture que la société mercantile, la société des boutiquiers et des marchands de produits, de «services» et de chair humaine, secrète par elle-même : cette pourriture n’est pas un phénomène pathologique dont la démocratie devrait ou pourrait se débarrasser; c’est sa propre lymphe, corrompue et corruptrice. Cette méthode de «recherche du coupable» est propre au capitalisme : si les choses empirent, on crie haro sur le juif, tout en détournant l’indignation des masses exploitées contre l’anti-juif.

Seule une société organisée par les prolétaires – sur une base qui ne soit pas celle de l’homme et de son travail considérés comme une marchandise sujette à l’offre et à la demande sur le marché, le travail humain étant valorisé comme moyen non de préserver et reproduire l’espèce, mais de préserver et reproduire le capital à l’infini – pourra éliminer de la surface de la terre non seulement les croix gammées barbouillées sur les murs, mais la violence bestiale exercée avec mille drapeaux et symboles différents, et sous le bouclier hypocrite des moralistes. Seule la lutte du prolétariat mondial de toutes les «races» et de tous les États permettra d’enterrer le monstre raciste et chauvin.

La puante vague raciste amène les prolétaires à la conscience que le capitalisme, quelle que soit sa forme, c’est l’oppression, la bestialité et la mort.

 

* Disponible en ligne, en italien : www.internationalcommunistparty.org. Nous avons traduit le texte de l’italien (PB).

[1] Allusion à la ségrégation raciale, présente tant aux USA qu’en Afrique du Sud. Le terme de color line («ligne de couleur») apparaît dans le titre d’un article signé et publié en juin 1881 dans The North American Review  par le leader noir, et ancien esclave, Frederick Douglass (1817-1895). Il dénonçait la ségrégation raciale, apparue aux États-Unis en 1877 après la fin de la Guerre de Sécession et l’abolition officielle de l’esclavage (note de l’éditeur).

[2] Le terme de sémite blanc englobe, en Afrique, les Juifs, les Arabes ou les Berbères islamisés et arabisés. On peut se référer à la définition donnée en 1880 par le dictionnaire d’Émile Littré : « Nom de peuples asiatiques ou africains qu’on rattache, d’après la Bible, à Sem, comme à leur auteur. Les Sémites comprennent les peuples qui parlèrent ou qui parlent babylonien, chaldéen, phénicien, hébreu, samaritain, syriaque, arabe et éthiopien » (note de l’éditeur).

[3] Les « quatre libertés » sont : la liberté d'expression; la liberté de religion; la liberté de vivre à l'abri du besoin; la liberté de vivre à l'abri de la peur. Celles-ci furent proclamées par Franklin Roosevelt lors de son discours sur l’état de l’Union du 6 janvier 1941. Les « quatre libertés » ont inspiré un drapeau non officiel de l'ONU à ses débuts, avant l'adoption du drapeau définitif (une carte du monde figuré en projection azimutale équidistante; le pôle nord servant de centre; autour de la carte, une couronne de branches d’olivier stylisées et croisées). Les «quatre libertés» initiales étaient représentées par quatre bandes verticales de couleur rouge, verte ou bleue, séparées par des bandes blanches (note de l’éditeur).

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