Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
pantopolis.over-blog.com

théorie politique

Quel mouvement social espérer en pleine pandémie de covid-19?

Publié le 9 Octobre 2020 par G.D. sur Pantopolis

Le nouveau Petit prince : "dessine-moi un mouton!"

Le nouveau Petit prince : "dessine-moi un mouton!"

Commentaire

C'est bien volontiers que nous publions la conclusion de l'article de Gilles Dauvé (https://ddt21.noblogs.org/?page_id=2410, site DDT21... douter de tout) sur les perspectives au temps du coronavirus. Nous souscrivons à sa conclusion très prudente. Il n'y a pas de "grand soir" à espérer, le mode de production capitaliste cherche par tous les moyens en son pouvoir à se renforcer politiquement et socialement :

"En l’absence d’un mouvement social préexistant déjà radical (c’est-à-dire tendant à s’en prendre aux fondements de la société), une catastrophe ne peut favoriser que le déclenchement de contestations partielles, à l’intensité variable, et obliger l’ordre établi à évoluer, donc à se renforcer."

Pantopolis

 

4 / BILAN & PERSPECTIVES

4.1 / Distanciation  

Dans Years and Years, série diffusée au printemps 2019, l’Angleterre de 2029 est dirigée par un gouvernement autoritaire (et même criminel) qui, au milieu d’une épidémie transmise par les singes, boucle les quartiers « sensibles » derrière des barrières contrôlées par la police, et en interdit d’accès la nuit.
Un an après la sortie du film, pour trois milliards de personnes, cette politique-fiction devenait réalité : limitation des déplacements, couvre-feu, omniprésence policière. Mais cette expérience « bio-politique » à l’échelle mondiale (et globalement réussie) a manifesté visiblement ce qui existait déjà essentiellement : EPHAD exceptées, le confinement ne nous a pas plus mis à « distance sociale » les uns des autres qu’avant. Ni moins. Assignés à résidence, nous avons perdu le contrôle sur nos vies : mais lequel avions-nous en février 2020 ? La liberté d’aller travailler, pour peu qu’on nous embauche, et celle d’être bouddhiste ou marxiste, tant que ces convictions restent des opinions sans prise sur les fondements de la société. Un communiste des années 1840 disait des prolétaires qu’ils dépendaient de causes en dehors d’eux. En 2020, l’acceptation massive d’une atomisation forcée a manifesté la désunion qui est le lot quotidien des prolétaires, d’autant plus à une époque de division des luttes et d’identités séparées.
Une épidémie et son traitement étatique ne nous écrasent pas plus que par exemple la déclaration de guerre en août 14 qui paralysa quasiment alors tout le mouvement ouvrier et socialiste.
Au XXIe siècle, contrairement aux années 1840, la très grande majorité de l’humanité n’a d’autre moyen pour vivre que de se salarier – si c’est possible et aux conditions imposées.
Mais ce sort commun n’est pas suffisant pour rassembler et unifier : il faut qu’auparavant les luttes sociales aient commencé à viser une cible commune. Or, s’il y a beaucoup de luttes, sans doute plus qu’on l’imagine, et d’une variété plus large qu’autrefois – conflits du travail, « du genre », écologiques… –, et même si parfois ces luttes sont victorieuses, elles restent fragmentées, incapables d’aller au cœur du problème. Pandémie, arrêt d’une partie de l’économie et confinement ont interrompu des luttes, et en ont aussi provoqué d’autres. Mais simultanéité n’est pas synchronisation, juxtaposition n’est pas confluence, ni jonction n’est synonyme de dépassement. Jusqu’ici, les résistances et les rejets se rejoignent au mieux dans l’exigence de réformes.
La lutte pour le salaire et les conditions de travail touche au rapport salaire/profit, mais ne s’en prend pas automatiquement (et en fait, rarement) au salariat lui-même. De même, refuser de risquer sa santé pour un patron, revendiquer des mesures de protection, ou même exiger d’être payé sans venir travailler tant que le danger persiste, ne suffit pas à remettre en cause la coexistence du bourgeois et du prolétaire. De critique du travail, il y a très peu, et encore moins de critique de l’État en tant qu’État, écrivaient les auteurs de « Quoi qu’il en coûte. L’État, le virus et nous », en avril 2020 : le constat demeure valable.
On peut imaginer un renversement vers la fin de la pandémie, toutes les critiques séparées convergeant pour attaquer la structure fondamentale, celle qui ne crée pas les autres oppressions, mais qui les entretient et reproduit : le rapport capital/travail, bourgeoisie/prolétariat. Les diverses luttes « précipiteraient », comme on dit en chimie quand des éléments hétérogènes jusque-là dispersés se cristallisent en un bloc. La résistance passerait au stade de l’assaut contre les bases de cette société. Les élites dirigeantes seraient d’autant mieux rejetées que leur gestion de la crise les a discréditées et dressé contre elles de larges couches de la population. Profitant de l’arrêt d’une partie des productions, les prolétaires tenteraient de transformer la société, s’insurgeant contre les forces de l’État, attaquant la domination bourgeoise, rompant avec la productivité et l’échange marchand, triant le nuisible de l’utile, entamant une dés-accumulation (décroissance), etc.
Ce n’est pas impossible, mais rien aujourd’hui n’indique que les luttes multiformes prennent cette direction. Les signes visibles montrent plutôt la survivance des divisions catégorielles, identitaires, locales, nationales, religieuses, et parfois l’émergence de nouvelles séparations.
Et il n’y a pas de recette pour y remédier.

4.2 / Hypothèse

Le virus et son traitement ne changent rien au fond : ils révèlent et accentuent des évolutions. Un événement historique, même de la taille de la pandémie actuelle, ne renverse pas à lui seul le cours de l’histoire. Le covid suspend bien des choses, il n’interrompt ni le capitalisme, ni sa domination, il n’est pas même sûr qu’il modifie ses formes actuelles comme l’ont fait autrefois la Guerre 14-18 ou la crise de 1929.
Nous ne vivons ni la fin du monde ni la fin d’un monde. La pandémie renforce l’ordre existant : comme d’habitude, en tant que classe, les bourgeois font preuve d’assez bonnes défenses immunitaires.
Le capitalisme n’a de (vraie) fragilité que ce sur quoi il repose : le prolétaire. Plus que tout autre système, ce mode de production se nourrit de crises surmontées, même graves, parce qu’il est étonnement impersonnel et plastique, et se contente de son essentiel: la relation capital/travail, l’entreprise, la concurrence… Le rapport social capitaliste  est à la fois « porteur de son propre dépassement ou de sa reproduction à un niveau supérieur » : de tous les rapports « d’exploitation entre classes antagonistes » ayant existé historiquement, il « est le plus contradictoire et donc le plus dynamique. » (Il Lato Cattivo, « Covid-19 et au-delà », mars 2020)
Nous proposerons une « loi historique » (qui comme toute loi admettrait ses exceptions) :
En l’absence d’un mouvement social préexistant déjà radical (c’est-à-dire tendant à s’en prendre aux fondements de la société), une catastrophe ne peut favoriser que le déclenchement de contestations partielles, à l’intensité variable, et obliger l’ordre établi à évoluer, donc à se renforcer.
Du coronavirus, tout le monde sort confirmé. La femme de gauche en conclut qu’il faut de vrais services publics, le néo-libéral que l’État fait la preuve de son incompétence, l’électeur d’extrême-droite qu’il faut fermer les frontières, l’écolo des petits pas qu’il faut les multiplier, l’écologiste de gouvernement qu’il faut rallier toute force politique susceptible d’œuvrer pour le climat, le trans-humaniste qu’il est temps d’aller vers une humanité augmentée, la chercheuse que la recherche a besoin de crédits, l’activiste qu’il est urgent d’impulser les luttes, le résigné que tout nous échappe, le collapsologue qu’il faut s’habituer au pire… Et le prolétaire ? De quoi sort-il confirmé? En tout cas, il pense et pensera ce que ses actes et ses luttes l’amèneront à comprendre.
On ne se pose que les questions (théoriques) pour lesquelles on a déjà commencé à produire des réponses (pratiques). 

G. D. (22 septembre 2020)

Commenter cet article