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théorie politique

Des alliances avec les Etats capitalistes à l'écrasement des marins de Kronstadt par l'Etat bolchevik

Publié le 11 Avril 2021 par Philippe Bourrinet

Des alliances avec les Etats capitalistes à l'écrasement des marins de Kronstadt par l'Etat bolchevik

Des alliances avec les Etats capitalistes à l'écrasement de la Commune de Kronstadt par l'Etat bolchevik.

La position de la Gauche communiste germano-hollandaise

Le pouvoir soviétique chercha à nouer des alliances avec différents États du monde capitaliste. Par l’intermédiaire de Karl Radek, emprisonné en Allemagne, des contacts furent pris dès l’automne 1919 avec la Reichswehr et ses généraux[1], mais aussi avec le millionnaire Walter Rathenau, dans le but d’étudier les possibilités d’alliance militaire et économique entre l’Allemagne et la Russie. Dès octobre 1919, Radek déclarait crument :

La possibilité d’une paix entre États capitalistes et États prolétariens n’est pas une utopie[2].

Une alliance de fait, dirigée contre le Traité de Versailles et les Alliés, s’établit en 1920, lors la guerre russo-polonaise : l’Allemagne fit une déclaration de ‘neutralité’ qui signifiait l’interdiction du transit des munitions alliées destinées à la Pologne à travers son territoire. Avec les pays alliés, des accords commerciaux furent recherchés et obtenus : un accord commercial fut conclu entre la Grande-Bretagne et la Russie le 16 mars 1921, au moment des événements de Kronstadt. Le modus vivendi entre le monde capitaliste et l’État soviétique, dénoncé auparavant par Pannekoek, devenait progressivement une réalité. Le Traité de Rapallo de 1922 se dessinait.

Mais le plus inquiétant était la soumission progressive de l’Internationale communiste aux buts nationaux de l’État russe. Celui-ci tendait à faire prédominer ses intérêts propres sur les intérêts révolutionnaires de l’Internationale. La Turquie offre un exemple frappant de cet antagonisme. Dès 1919, des contacts avaient été pris à Berlin, toujours par l’intermédiaire de Karl Radek, entre le gouvernement bolchevik et le dirigeant nationaliste turc Ismail Enver Pacha (1881-1922), responsable du massacre des Arméniens en avril 1915, réfugié en Allemagne, après la chute de l’Empire ottoman. Enver Pacha s’était déclaré «ami du bolchevisme», mais il finit par trahir ses «amis» en organisant en 1921-1922 une résistance armée musulmane pour détruire le «communisme», en s’appuyant sur les peuples turcophones de l’Asie centrale[3].

Des relations amicales furent nouées avec Mustafa Kemal[4] à partir de 1920, qui se conclurent par un accord avec la Turquie le 16 mars 1921. Mustafa Kemal non seulement écrasa le mouvement paysan, soutenu par l’I.C., mais fit exécuter toute la direction – formée en Allemagne par les spartakistes et hostile à tout nationalisme – du Parti communiste de Turquie. Le groupe internationaliste formé autour de Mustafa Suphi (1882-1921) fut liquidé au large de Trébizonde, sur la mer Noire, le 28 janvier 1921[5]. Ce massacre délibéré n’entama nullement les bonnes relations entre l’État russe et la Turquie.

Pour la première fois, il était démontré que des gouvernements, entretenant de bonnes relations diplomatiques avec la Russie, pouvaient impunément assassiner et mettre hors la loi des militants révolutionnaires, membres de l’Internationale communiste, sans s’aliéner la faveur de l’État russe, dont la politique était, en principe, subordonnée à celle de l’I.C. Ces événements, qui se déroulèrent en janvier 1921, étaient la conséquence directe de la politique de soutien – avalisée par le IIIe Congrès de juillet 1921 – aux mouvements dits de «libération nationale».

1.1 Les événements de Kronstadt (mars 1921)

Plus qu’en politique extérieure, les événements de Kronstadt vont démontrer l’antagonisme entre l’État russe et le prolétariat[6]. Des grèves avaient en effet éclaté en février 1921 dans les usines de Petrograd, qui avait toujours été le cœur de la Révolution russe. Elles étaient autant dirigées contre le rationnement alimentaire que contre l’État et le Parti bolchevik. En dépit des allégations que les grèves auraient été «fomentées» par les mencheviks, les socialistes-révolutionnaires ou les anarchistes – la plupart de ceux-ci étaient en prison –, le mouvement était spontanée sans chefs ni organisation. Il s’était étendu à toutes les grandes usines, y compris les usines Poutilov, le principal bastion de la Révolution en 1917. Face à cela, Zinoviev et les bolcheviks de Petrograd répondent par des mesures répressives : dispersion par le corps des Cadets (koursantis) des manifestations; lock-out des usines en grève; privation des cartes de ravitaillement pour les grévistes; instauration de la loi martiale; arrestations massives; exécution immédiate en cas de rassemblement; surveillance par des troupes de bolcheviks armés des ouvriers à l’intérieur des usines.

Ces mesures eurent pour effet de cristalliser le mécontentement latent des ouvriers depuis plusieurs mois et de le politiser. Les revendications politiques: abolition de la loi martiale; libération de tous les emprisonnés; les libertés de réunion, de presse, de parole pour les ouvriers; des élections libres aux comités d’usine, aux soviets, toutes ces revendications dirigées contre «la dictature de parti» et la Tchéka montraient l’antagonisme entre prolétariat et État, dans lequel s’étaient fondus les bolcheviks. Elles étaient un appel à la démocratie ouvrière et la revitalisation des soviets, absorbés par l’État et le parti bolchevik.

Mis au courant de la situation, les marins et les ouvriers des ateliers de Kronstadt envoyèrent des délégations dans les usines de Pétrograd. Le résultat fut que les marins et ouvriers de Kronstadt reprirent à leur compte celles des ouvriers de Petrograd et les élargirent : réélection des soviets au scrutin secret; organisation en dehors du parti bolchevik d’une conférence des ouvriers, soldats, marins de la province; liberté de presse et d’organisation pour anarchistes et socialistes de gauche. L’envoi de Kalinine et de Kouzmine à Kronstadt, qui ont une attitude arrogante et provocatrice, ne fit que précipiter les choses. Le résultat fut la formation d’un Comité révolutionnaire provisoire (C.R.P.) représentant toute la population de l’île. Cela au moment même où les ouvriers de Pétrograd reprenaient le travail, sous l’effet de la terreur.

L’affrontement armé entre les bolcheviks et les marins et ouvriers de Kronstadt devenait inévitable. Ceux-ci étaient traités de contre-révolutionnaires «gardes blancs», à la solde «des capitalistes français»[7]; leurs familles à Pétrograd étaient prises en otages; eux-mêmes étaient menacés d’être «descendus comme des perdrix». Enfin Trotsky – que les insurgés appelaient le «Junker Trotsky», «le sanguinaire Trotsky»[8], donna le 7 mars l’ordre d’écrasement de Kronstadt, ne laissant aucun espoir de survie aux marins et ouvriers :

Je donne à l’instant même l’ordre de préparer l’écrasement de la révolte. Les insurgés seront passés par les armes[9].

Avec le mot d’ordre «vaincre ou mourir», les marins et les ouvriers, qui tous avaient été armés, se battirent avec l’énergie du désespoir. Le gouvernement avait mobilisé des milliers de soldats, dont une bonne partie venait d’Asie centrale – et donc plus malléables à la propagande officielle –, auxquels s’adjoignirent des membres du Parti bolchevik, dont ceux de l’opposition ouvrière[10]; derrière eux se trouvaient les tchékas, qui fusillaient les nombreux déserteurs ou tiraient sur les troupes passant dans les rangs de Kronstadt. Les troupes de Toukhatchevsky[11] vinrent à bout de l’insurrection; des milliers de marins et ouvriers furent fusillés, les survivants envoyés en prison ou dans des camps où ils périrent. Des 8.000 qui purent se réfugier en Finlande, beaucoup revinrent, sous promesse d’amnistie : ils furent soit exécutés soit disparurent dans les camps de travail[12].

Le programme des insurgés de Kronstadt n’était pas suffisamment clair pour qu’il retînt l’attention des communistes de gauche. Il rejetait certes toute idée de Constituante et de retour au passé; il souhaitait simplement – de façon confuse – une dictature des conseils, sans les partis quels qu’ils soient, et non une dictature étatique exercée par un seul parti. Cette idée d’une «dictature de classe», opposée à la «dictature de parti» fut néanmoins – à la fin de l’année 1921 – développée par les communistes de gauche hollandais et allemands, surtout par le KAPD. Par contre, l’appel à «une troisième révolution» de la part des ‘Kronstadiens’ restait très vague et ne laissait entrevoir d’autre perspective que la fin du pouvoir bolchevik. L’idée, par ailleurs, «de donner aux paysans une liberté d’action complète sur leur terre» – mais «sans utiliser le travail des salariés»[13] – ne pouvait que rencontrer l’hostilité de Gorter et du KAPD. Ceux-ci étaient hostiles à toute concession à la paysannerie, qu’ils assimilaient aux koulaks.

De fait, au départ, le KAPD soutint la thèse officielle d’un complot contre la Russie soviétique. Soutenant que des bateaux français étaient déjà à Reval pour soutenir l’insurrection en Russie – ce qui était faux –, le KAPD affirmait :

Les émigrants contre-révolutionnaires russes retournent en Russie, et le comte Wrangel se prépare en Hongrie dans le but d’un soutien militaire.

L’action des insurgés, précisait le KAPD, était bel et bien anticommuniste et contre-révolutionnaire :

Les connaissances exactes des conditions russes permirent aux contre-révolutionnaires de provoquer une insurrection, qui dans sa première phase était de la même espèce qu’une troisième révolution.

Au cours de la lutte – par l’exigence d’une Constituante se dessine clairement l’empreinte d’un soulèvement dirigé contre le communisme[14].

Néanmoins l’organe du KAP donnait le contexte exact de l’insurrection : la faim et le «mécontentement contre la dictature du parti et la bureaucratie soviétique»[15].

Il fallut le rapport circonstancié des délégués du KAPD à Moscou, et en particulier d’Arthur Goldstein[16] qui représentait le parti à l’Exécutif de l’I.C., pour que changeât l’attitude des communistes de gauche. Arthur Goldstein donnait une appréciation plus perspicace de l’insurrection de Kronstadt :

L’antagonisme entre prolétariat et gouvernement soviétique se fit encore plus aigu lors de l’éclatement des émeutes alimentaires de Moscou et Pétrograd : le gouvernement soviétique prit des mesures très sévères qui sont à peine différentes de celles adoptées par un État capitaliste. J’ajouterai que le soulèvement de Kronstadt doit être considéré comme un symptôme, celui de l’antagonisme entre prolétariat et gouvernement soviétique. L’histoire de l’insurrection de Kronstadt n’est pas encore close aujourd’hui et nous ne voulons aujourd’hui encore ne porter aucun jugement définitif sur ce point. Il est certain que dans l’insurrection de Kronstadt ce n’est pas seulement le capital étranger qui joua comme facteur contre le gouvernement soviétique, mais le fait que de grosses parties du prolétariat russe se plaçaient du fond du cœur au côté des insurgés de Kronstadt[17].

Cette attitude du délégué du KAPD à Moscou était beaucoup mieux fondée que celle adoptée par Gorter lui-même. Néanmoins, celui-ci fut accusé au IIIe Congrès du Komintern par Radek et Zinoviev de «soutenir Kronstadt»[18]. Ce qui est rigoureusement faux.

Tout en marquant que le prolétariat russe s’était insurgé contre le parti communiste et qu’il valait mieux avoir «une dictature de classe à la place d’une dictature de parti», Gorter trouvait «justifiées» les mesures prises par les bolcheviks à l’égard de Kronstadt. Ceux-ci avaient bel et bien écrasé «la contre-révolution», et Gorter implicitement envisageait que les communistes de gauche seraient amenés à prendre de telles mesures en Occident, si la ‘contre-révolution’ s’insinuait dans une fraction du prolétariat :

Chez vous, vous pouviez – lorsqu’une partie du prolétariat se dressa contre vous à Kronstadt et Pétersbourg – encore réprimer la contre-révolution. Parce que chez vous elle est faible. Mais chez nous, elle triompherait, si une partie du prolétariat s’élevait contre nous. Car chez nous la contre-révolution est très puissante[19].

Cette conception insolite de la part d’un militant se réclamant d’une «dictature de classe» sous la forme des conseils – revendication qui avait été en partie mise en avant à Kronstadt s’explique surtout par la mise en place de la NEP (Nouvelle politique économique) le 15 mars, au moment où l’assaut était donné contre Kronstadt. Celle-ci constituait, comme le soulignait Riazanov, un véritable «Brest-Litovsk paysan». La liberté accordée aux paysans de disposer de leur surplus, la liberté de commerce étaient autant de reculs devant les forces petites-bourgeoises. Si cette politique de concessions était dans l’esprit de Lénine une retraite momentanée, elle annonçait néanmoins le fameux «enrichissez-vous» adressé par la suite par Boukharine aux koulaks. Il est symptomatique que ces mesures désamorcèrent, plus que la répression, toute tentative d’insurrection des soldats en faveur des mutinés de Kronstadt.

Gorter, à la grande différence du KAPD qui commençait à nouer d’étroites relations avec les communistes de gauche russes et était mieux informé[20], voyait dans Kronstadt et la NEP le triomphe de la contre-révolution paysanne. Selon lui, «une petite action d’un groupe de paysans – on dit que les équipages des navires de guerre étaient pour la plupart formés de fils de paysans – fut «suffisante» pour que «le communisme s’écroulât au moindre souffle». Le parti bolchevik apparaissait alors comme le parti de la paysannerie et «le prolétariat fut mis au service de la paysannerie»[21]

Cependant, tous les communistes de gauche, les Hollandais et le KAPD étaient d’accord pour dénoncer la signification contre-révolutionnaire des mesures prises autant dans le domaine économique que dans le domaine politique. Dès avril 1921, le KAPD – par la bouche de ses délégués à Moscou (en particulier Adolf Dethmann) – dénonçait «les formes actuelles qui semblent se rapprocher fortement d’une sorte de capitalisme d’État». D’autre part, après le Xe congrès du parti russe interdisant l’opposition ouvrière, comme fraction organisée, et toute fraction en général, la démocratie ouvrière dans le parti bolchevik était morte :

Après le dernier congrès de la République russe des soviets, on ne peut plus douter qu’en Russie, il existe non une dictature de classe mais une dictature de parti[22].

Cette position de Gorter, partagée par le KAPD, était annonciatrice d’une rupture avec l’I.C. La question russe, et donc celle du sort de l’I.C. passait au premier plan au sein de la Gauche communiste hollandaise et allemande.

P.B.

[1] Carr 1952.

[2] Radek 1919, p. 11-12. Plus tard, Radek se déclara partisan d’un «modus vivendi avec les États capitalistes». Voir aussi : Fayet 2004, p. 253-315.

[3] Enver Pacha (Ismail Enver Bey) avait été envoyé par les bolcheviks au Turkestan (actuel Tadjikistan) pour mater la révolte des basmadji. À peine arrivé à Boukhara, il se rallia aux rebelles musulmans : il se met à porter le turban blanc, s’abime en prières et envoie partout des émissaires pour rallier à son turban blanc tous les musulmans d’Asie centrale. Il est tué le 4 août 1922, près de Baldzuhan (Baljuvon), lors d’une bataille contre un escadron arménien de l’Armée rouge commandé par Hagop Malkoumian, alias Yakov Melkoumov. Rapatriés en Turquie le 4 août 1996, les restes d’Enver sont enterrés sur la colline de la Liberté, à Istanbul, au côté de «grands héros» de la turcité, comme Talât Paşa (1874-1921), responsable majeur du génocide arménien de 1915.

[4] À partir d’août 1920, le gouvernement soviétique livre 400 kilos d’or à Mustafa Kemal; les armes suivront. Pour apparaître radical, le gouvernement de Kemal avait fondé un P.C. «officiel», composé de toute une brochette de généraux, ministres et hauts fonctionnaires (Dumont 1983).

[5] Paul Dumont, «Bolchevisme et Orient. Le Parti communiste turc de Mustafa Suphi. 1918-1921», in Cahiers du monde russe et soviétique, vol. 18, n° 4, oct.-déc. 1977, p. 377-409. Voir aussi Goldner 2011.

[6] Voir : Avrich 1970, Berkman 1982, Mett 1993, Vinogradov et Kozlov (éd.) 1999, ainsi que (Jean-Jacques) Marie 2005.

[7] Cette assertion que les insurgés de Kronstadt étaient dirigés par des «gardes blancs» reposait sur la présence d’un ancien général tsariste, qui servait dans la Flotte. Mais Toukhatchevsky était aussi un ancien officier tsariste. Fin 1919, les chiffres officiels donnaient l’intégration de 100.000 officiers tsaristes sur 500.000 dans l’Armée rouge. Les insurgés de Kronstadt refusèrent de suivre les conseils militaires de l’ancien général tsariste Aleksandr Kozlovski (1864-1940) qui commandait officiellement l’artillerie comme «spécialiste militaire». Il est certain que les Blancs ne restèrent pas inactifs; ils tentèrent en vain de proposer leurs «services» en envoyant des émissaires. Les insurgés mirent à l’écart les officiers au cours de la révolte. Les dirigeants bolcheviks étaient loin de partager les assertions de Trotsky. Ainsi Boukharine, au IIIe Congrès de l’I.C. : «Qui dit que Kronstadt était blanche? Non. Pour nos idées, pour la tâche qui est la nôtre, nous avons été contraints de réprimer la révolte de nos frères égarés. Nous ne pouvons pas considérer les matelots de Kronstadt comme nos ennemis.’ Nous les aimons comme des frères véritables, notre chair et notre sang». Voir Avrich 1970, p. 132.

[8] lzvestia de Kronstadt n° 5, 7 mars 1921, traduction Bélibaste, Paris, 1969. Les Kronstadiens faisaient une très nette différence entre Lénine et Trotsky. Ils croyaient que Lénine, malade, était tombé sous la coupe de Zinoviev et Trotsky. Mais le numéro 12, du 14 mars, laissa transparaitre leur déception de Lénine, lorsque celui-ci eut affirmé au VIlle congrès du Parti communiste russe que «le mouvement était pour les soviets mais contre la dictature des bolcheviks», que c’était «une contre-révolution d’un nouveau genre». Ils pensaient, comme les travailleurs russes, que «Lénine était différent de Trotsky et Zinoviev». «Ils avaient encore confiance en lui» (n° 12, 14 mars). Ils en concluaient que Lénine était sincère, mais en proie «à la confusion».

[9] Ce message radio de Trotsky est donné tel quel dans la traduction Bélibaste de 1969 [lzvestia n° 5, du 7 mars]. La traduction d’Ida Mett (La Commune de Cronstadt, Cahiers Spartacus, Paris, (p. 47-48), plus exacte, ne laisse pas entendre que les insurgés «seront passés par les armes» mais «écrasés par la force des armes». Voici notre traduction à partir du russe : «Je donne en même temps l’ordre de préparer toutes mesures nécessaires à l’écrasement de la révolte et des séditieux par la force des armes. La responsabilité des malheurs qui s’abattront sur la population civile retombera entièrement sur la tête des insurgés gardes-blancs» [Правда о Кронштадте: очерк героическои борбы кронштадттсев против диктатуры Коммунистическои партии, с картои Кронштадта, его фортов и Финского залива, imprimerie ‘Volia Rosii’, Prague, 1921, p. 73]. S’il y a un «distinguo» à faire entre «passer par les armes» et «écraser par la force des armes», c’est un ‘distinguo’ bien léger, qui n’enlève rien à la responsabilité morale de Trotsky dans la répression des insurgés de Kronstadt. On sait que le résultat de la répression fut la fusillade immédiate d’une grande partie des révoltés. Plus tard, Trotsky se lava les mains de ses responsabilités, lorsqu’il fut accusé dans les années trente d’avoir été le principal responsable de la répression. Trotsky affirma en 1938 qu’il «n’avait pas pris la plus petite part personnelle à la pacification du soulèvement de Kronstadt ou à la répression qui suivit» [The New International, août 1938, p. 249-250]. Précisons qu’à cette époque Trotsky menait une politique d’alliance avec les anarchistes espagnols, et le rappel de ce passé par Victor Serge, fin avril 1938, fui causa quelques désagréments.

[10] Alexandra Kollontai déclara que les membres de l’Opposition se porteraient les premiers volontaires pour écraser la révolte (Avrich 1970, p. 175).

[11] Le stalinisme accusa par la suite, en 1939, Toukhatchevski d’avoir été responsable de l’insurrection de Kronstadt !

[12] Les insurgés qui avaient emprisonné la minorité de communistes, qui était hostile au soulèvement, n’exercèrent aucune représaille contre elle. Ils ne prirent aucune famille en otage, à la différence du soviet de Petrograd. Toute violence devait être exclue : «La garnison de Kronstadt déclare que les communistes de Kronstadt jouissent d’une totale liberté, d’ailleurs leurs familles n’aspirent ni à obtenir une immunité absolue ni à prendre exemple sur le soviet de Petrograd, de la même manière qu’elle estime qu’une telle (prise d’otages), même provoquée par la rage du désespoir, serait sous tous rapports le plus honteux et le plus lâche des actes. L’histoire n’a pas encore connu de tels procédés» [radiotélégramme, signé Petrotchenko et Kilgast, adressé au soviet de Petrograd, 7 mars 1921 (Правда о Кронштадте, op. cit., p. 72-73)].

[13] «Résolution du navire Petropavlovsk», 28 février 1921; citée par Avrich, op. cit., p. 75-76. Il est certain que le poids de la petite paysannerie se faisait sentir chez les matelots, puisque 2/3 étaient d’origine paysanne, en 1921. Mais cette composition sociale n’était guère différente de celle des marins de Kronstadt en 1918.

[14] KAZ, Berlin, n° 177, 1921.

[15] «Die Offensive gegen Russland beginnt!», KAZ, Berlin, n° 179, 1921.

[16] Arthur Goldstein, bientôt remplacé par Bernhard Reichenbach (1888-1975) [Johannes Seemann], était en contact avec l’Opposition ouvrière de Moscou. C’est lui qui fit passer en Occident le manuscrit du livre L’Opposition ouvrière d’Alexandra Kollontaï par un courrier spécial du KAPD. Il fut traduit en allemand et néerlandais et édité par le KAPD et le KAPN. Pierre Pascal en fit une traduction en français, à partir de la brochure originale [Kollontai 1974].

[17] Intervention au Congrès extraordinaire du KAPD à Berlin, 11-14 sept. 1921. Voir : Klockner (éd.) 1981, p. 58-59.

[18] Komintern 1921a, p. 90 et 342. Alexander Schwab, l’un des délégués du KAPD au IIIe Congrès du Komintern, répliqua : «Gorter ne prend pas parti pour les insurgés de Kronstadt et il en est de même pour le KAPD» (p. 621).

[19] Gorter, Die Klassenkampforganisation des Proletariats, in Gorter et Pannekoek 1969.

[20] Plus qu’avec Alexandra Kollontaï, les délégués du KAPD à Moscou étaient en contact avec le groupe d’Ignatov de Moscou (Cf. KAZ n° 204). Ce groupe demandait le respect de la démocratie ouvrière et la lutte contre la bureaucratie du parti. Il exigeait, enfin, ce qui n’était pas pour déplaire au KAPD, que les organes responsables du parti bolchevik soient composés d’au moins 2/3 d’ouvriers. Il se fondit dans l’opposition ouvrière. Efim Nikitich Ignatov (1890-1938), d’origine paysanne, né près de Tarussa (Kaluga), cuisinier, bolchevik depuis 1912, était député du soviet de Moscou en 1917. Dans les années trente, il était directeur d’enseignement supérieur pour l’édification soviétique près du présidium du Comité exécutif central panrusse. Arrêté en 1937, il est fusillé le 11 janvier 1938 à Moscou. Il fut «réhabilité» en 1956 [Lev G. Protasov, Люди Учредительного собрания: портрет в интерьере эпохи (Les hommes de l’Assemblée constituante. Portraits de toute une époque), Rospen, Moscou, 2008].

[21] Gorter 1972.

[22] Gorter, «Partei, Klasse une Masse», Proletarier, n° 4, Berlin, mars 1922.

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