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théorie politique

Manifeste internationaliste anarchiste de février 1915

Publié le 27 Mars 2022 par texte 1915 contre la guerre/ Pantopolis

Manifeste de l'Internationale anarchiste, février 1915.

Manifeste de l'Internationale anarchiste, février 1915.

http://archivesautonomies.org/spip.php?article2838

http://archivesautonomies.org/spip.php?article2838

Ce Manifeste de l'Internationale anarchiste, février 1915, avait été précédé par un autre manifeste du 14 novembre 1914, contre la guerre.

(http://archivesautonomies.org/spip.php?article2838)

Au prolétariat international – Manifeste communiste-anarchiste de novembre 1914
(Le Réveil communiste-anarchiste n°397 - 14 novembre 1914)

Travailleurs, camarades,

Pendant des dizaines d’années, tous les gouvernements, tout en affirmant hautement leurs intentions pacifiques, ne voyaient de meilleure garantie pour la paix qu’un accroissement formidable d’armements.

"La règle classique autant qu’absurde : "Préparer la guerre, pour avoir la paix" a produit ce qu’elle pouvait donner. On obtient par son procédé, naturellement, ce que l’on prépare, c’est-à-dire la guerre !"
Il convient de remarquer qu’avant la formidable conflagration européenne, les mêmes Etats belligérants avaient porté la guerre à travers le monde entier. Parler de près d’un demi-siècle de paix, c’est mentir effrontément. Le pillage et le carnage ont été l’œuvre ininterrompue des grandes puissances et c’est dans leurs rivalités coloniales mêmes, qu’il faut voir l’une des causes de la catastrophe à laquelle nous assistons.
Celle-ci avait été prévue. Disons mieux, elle n’aurait dû faire de doute pour personne ; mais beaucoup croyaient qu’au dernier moment les Etats s’arrêteraient toujours en face des risques trop grands à courir. D’autre part, il y a des dangers que la raison ne voit que trop réels, mais devant lesquels les hommes se laissent aller à un irrésistible besoin d’illusion, ou à une invincible passivité servile.
Ajoutons, enfin, tous ceux pour qui admettre la guerre, c’était avouer leur impuissance d’abord, leur inconséquence ensuite, en face du problème qui se posait sur l’attitude à prendre, et nous aurons l’explication de l’étonnement presque général que paraît avoir produit un événement, auquel, en réalité, tout le monde avait été préparé depuis longtemps et dont nous allons chercher à préciser les causes.

Les causes de le guerre.

La guerre actuelle est une conséquence de la guerre de 1870.

"Après cette guerre et la victoire remportée sur la France, bientôt l’Allemagne entrant dans une période d’activité juvénile, parvint en effet à doubler, tripler, décupler sa production industrielle, et en ce moment le bourgeois allemand convoite de nouvelles sources d’enrichissement un peu partout : dans les plaines de la Pologne, dans les prairies de la Hongrie, sur les plateaux de l’Afrique et surtout autour de la ligne de Bagdad — dans les riches vallées de l’Asie Mineure — qui offriront aux capitalistes une population laborieuse à exploiter, sous un des plus beaux ciels du monde ; peut-être, un jour, aussi l’Egypte.
C’est donc des ports d’exportation et surtout des ports militaires, dans l’Adriatique méditerranéenne et l’Adriatique de l’Océan Indien — le Golfe Persique — ainsi que sur la côte africaine, à Beira, et, plus tard, dans l’Océan Pacifique, que les brasseurs d’affaires coloniales allemands veulent conquérir. Leur fidèle serviteur, l’Empire germanique, est pour cela à leurs ordres avec ses armées et ses cuirassés.
Mais, partout, ces nouveaux conquérants rencontrent un rival formidable, l’Anglais, qui leur barre le chemin.
La bourgeoisie anglaise veut faire aujourd’hui, avec l’Allemagne, ce qu’elle fit, à deux reprises, pour arrêter, pour cinquante ans ou plus, le développement de la puissance maritime de la Russie : une fois, en 1855, avec l’aide de la Turquie, de la France et du Piémont, et une autre fois, en 1904, en lançant le Japon contre la flotte russe et son port militaire dans le Pacifique.
Tous les Etats, dès que la grande industrie se développe dans la nation, sont amenés à chercher la guerre. Ils y sont poussés par leurs industriels, et même par les travailleurs, pour conquérir de nouveaux marchés, de nouvelles sources de facile enrichissement.
Mais il y a plus. Aujourd’hui il existe dans chaque Etat une classe — une clique plutôt — infiniment plus puissante encore que les entrepreneurs d’industrie et qui, elle aussi, pousse à. la guerre. C’est la haute finance, les gros banquiers qui interviennent dans les rapports internationaux et qui fomentent les guerres.
Là où les naïfs croient découvrir de profondes causes politiques, ou bien des haines nationales, il n’y a que les complots tramés par les flibustiers de la finance. Ceux-ci exploitent tout : rivalités politiques et économiques, inimitiés nationales, traditions diplomatiques et conflits religieux".

Voilà les causes réelles, fondamentales de la guerre, telles que Kropotkine les avait dénoncées, il y a deux ans seulement.

Fausses justifications.

Mais, au moment même du déchaînement de la force la plus brutale, il importe de couvrir les buts les plus inavouables avec des justifications d’ordre moral ou soi-disant tel : C’est ainsi que nous avons vu la Russie, après avoir aboli toute liberté dans ses immenses territoires, partir en guerre au nom de l’indépendance de la Serbie ; l’Allemagne, qui a favorisé de tout temps, la pire réaction des Romanoff, se réclamer de la civilisation occidentale contre le despotisme oriental ; la France, qui depuis bientôt un siècle, pratique dans le monde entier la politique la plus caractérisée de conquêtes et de rapines coloniales, se donner pour le champion sans reproche du droit et de la justice ; l’Angleterre, dont les populations assujetties se chiffrent par centaines de millions d’hommes, se faire le défenseur de la neutralité des petits Etats.
Ces raisons de toutes les diplomaties sont également fausses. Et il ne faut pas attacher une valeur plus grande à la soi-disant défense de telle ou telle culture, invoquée dans les manifestes d’étranges intellectuels qui, oublieux de leurs meilleures œuvres, n’ont rien trouvé de mieux que de faire fi de toute intelligence pour pratiquer uniquement le culte du militarisme le plus barbare et le plus sanglant.
Nous repoussons enfin comme erronés tous les arguments que des hommes d’avant-garde ont aussi voulu nous présenter pour se solidariser, ne fût-ce que momentanément, avec les gouvernants de leur pays d’origine, car il ne s’agit le plus souvent que d’une adaptation nouvelle des motifs trompeurs, invoqués de tout temps par les classes nanties pour justifier leur exploitation et leur domination.

Signification réelle de la guerre.

Et, en effet, ces classes se sont tout de suite servies du douloureux spectacle donné par les partis socialistes et les organisations ouvrières changeant de principes et d’attitude dans les pays en guerre aussitôt celle-ci déclarée, pour proclamer la faillite de nos idées d’émancipation, d’internationalisme, de paix, de fraternité et de justice.
Que les classes travailleuses n’aient pas été à la hauteur de leur grand rôle, nul ne saurait le contester, mais il serait ridicule de parler de faillite d’une organisation sociale qui n’a pas même reçu un commencement d’application.
La guerre ne peut donc signifier que la faillite, disons mieux, la banqueroute sanglante de la "civilisation bourgeoise". Jamais une classe n’avait magnifié davantage son œuvre que la bourgeoisie. C’était au point de prétendre, à l’encontre de siècles d’histoire, que désormais toute révolution devenait inutile. Ses institutions aux bases immuables étaient néanmoins susceptibles des plus merveilleux progrès. Des socialistes même prétendaient que sa constitution politique, basée sur le suffrage universel, suffisait à assurer le développement pacifique des sociétés humaines.
La réalité était toute autre. La bourgeoisie ayant proclamé l’égalité de droit avait maintenu l’inégalité de fait avec le privilège de la propriété privée, qui devait faire revivre sous des formes à peine modifiées, tous les privilèges de l’ancien régime. Dans sa proclamation des droits, elle ne reconnaissait pas même à l’homme le droit de disposer de sa vie. Grâce à la conscription, l’existence de tous les citoyens appartenait à l’Etat, qui pouvait les forcer à tuer ou à se faire tuer.
Les résultats sont connus. Le développement même de l’économie bourgeoise, basée sur un machinisme à outrance, sur une oligarchie financière toute puissante et sur des Etats de plus en plus militarisés et toujours irrésistiblement poussés à de nouvelles conquêtes, ont abouti à cette monstrueuse conflagration qui a sa répercussion dans le monde entier.
Le système capitaliste, considéré comme le plus apte à la création de nouvelles richesses, nous en donne au contraire la plus effroyable destruction ; le système étatiste vanté comme le plus sûr garant de l’ordre pacifique et le frein le plus efficace à toute violence, a déchaîné parmi les hommes la férocité la plus bestiale et la plus inouïe.
La guerre nous fournit la preuve que le Capital et l’Etat font courir les dangers les plus terribles aux sociétés humaines, qui doivent se hâter de se constituer sur de nouvelles bases.
Voilà le point de vue révolutionnaire auquel nous entendons envisager la guerre, refusant toute compromission avec n’importe quel groupement de capitalistes ou de gouvernants.

Pourquoi les travailleurs ont failli à leur rôle

Mais pourquoi l’affirmation, même partielle, d’un ordre nouveau, n’a-t-elle pas correspondu à la banqueroute du régime bourgeois ? Pourquoi la presque totalité des opprimés s’est-elle ralliée à la cause de ses oppresseurs, au point que nos ennemis ont pu prétendre avec une apparence de raison que notre idée même venait de sombrer dans la tourmente ? Disons d’abord, que nul ne connaît encore tous les événements qui se sont déroulés dans les différents pays. Après la guerre seulement, nous connaîtrons ceux des nôtres qui’ ont été passés par les armes ou envoyés pourrir dans des prisons. N’oublions pas non plus que l’accord unanime dont parle la presse gouvernementale de chaque Etat, n’est qu’un accord forcé. Il n’en reste pas moins acquis que les partis socialistes et les organisations ouvrières n’ont déployé aucune action collective contre la guerre ; et d’autre part, aucun acte individuel contre les responsables du carnage européen n’est encore venu à notre connaissance.
Les partis socialistes qui prétendaient par leur action politique exercer déjà une influence considérable sur la marche des nations, n’ont su que jouer le rôle de serviteurs fidèles de leurs gouvernements respectifs. Ceux-ci n’ont pas hésité à les appeler au partage des portefeuilles ministériels ou à les employer comme agents plus ou moins diplomatiques à l’étranger et en pays conquis. La social-démocratie, par son caractère nettement étatiste, devait être forcément amenée à se solidariser avec les différents Etats, auxquels elle associait partout étroitement son existence. Une opposition ne saurait être simplement légale, surtout aux moments les plus tragiques de l’histoire, et les chefs social-démocrates s’étaient toujours nettement refusés à en prévoir une autre. Les délibérations de leurs congrès internationaux le prouvent irréfutablement.
Les organisations ouvrières, à leur tour, ou avaient de tout temps abdiqué dans les mains des partis socialistes la défense de leurs intérêts les plus élevés, en attribuant faussement à ces derniers un caractère essentiellement politique, ou, après avoir fait preuve d’un certain idéalisme révolutionnaire au début, s’étaient assagies eu grandissant, pour ne voir plus que la défense d’intérêts corporatifs dans le cadre de la société bourgeoise, et renoncer à en concevoir pratiquement une autre. La force de se révolter contre ce qui est, vient surtout de la conception nette de ce qu’on pourrait lui opposer et lui substituer. Le syndicalisme recherchant toujours et quand même ses résultats pratiques dans le régime capitaliste, devait se sentir fatalement poussé à en prendre la défense en vue d’accroître l’exploitation nationale d’une exploitation internationale, les améliorations ouvrières étant facilitées par l’augmentation de commandes industrielles.
Enfin, les groupements révolutionnaires et anarchistes ont été ces dernières années travaillés par une crise interne, due à la corruption même de la société toute entière, et ils n’ont pas été à la hauteur d’une tâche, déjà honnie de la façon la plus véhémente, mais dont nombreux sont ceux qui en reconnaissent aujourd’hui la haute portée.

Introduction de Pantopolis

Nous publions cette mise au point du camarade Henry sur la distinction à faire entre les deux manifestes anarchistes, celui des 35,de février 1915, internationaliste et révolutionnaire, et celui de 1916 (Manifeste des 16, signé par Kropotkine et Jean Grave).

Malgré la non précision de la date (1915) dans la traduction faite dans la version française - précision qui est FAITE DANS LA VERSION ESPAGNOLE - on peut affirmer sans se tromper que les camarades du KRAS se réfèrent très explicitement au Manifeste de février 1915, souscrit entre autres par Malatesta, Emma Goldman, Domela Nieuwenhuis, etc.

Pantopolis, dimanche 27 mars 2022.

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Mise au point du camarade Henry Cinnamon (26 mars 2022)

Il me semble qu'il puisse y avoir eu une erreur de la part de Pantopolis sur le manifeste anarchiste contre la guerre de 1914-18 auquel le KRAS fait référence.

Dans le texte en Espagnol le KRAS parle d'un tel manifeste datant de 1915. Selon Pantopolis par contre, il s'agissait du manifeste de 1916 “des seize" (signataires, dont Kropotkine).

Une rapide recherche sur marxists.org relève qu'il y avaient eu, bien-sur, deux manifestes anarchistes très différents et contradictoires a propos de la guerre de 1914.

 

En anglais:

1. an Anti-War Manifesto by “the Anarchist International” published on February 15, 1915, cosigned by, among others, Berkman, Goldman, Malatesta, Rijnders and Domela Nieuwenhuis;

 

2. the Manifesto of the Sixteen, published on February 28, 1916, cosigned by, among others, Cornelissen, Grave, Tcherkesoff and Kropotkine.

 

Il me semble que le KRAS, bien que sans détail ou spécification, se réfère au premier, au manifeste anti-guerre de 1915, qui certes doit être qualifié d'internationaliste, et pas à celui des “16” (personnalités), de fait prenant partie pour "l'entente" (et donc aussi pour la Russie) contre les "pouvoirs de l'axe" (Allemagne et l'Autriche-Hongrie) en 1916.

H. C.

Extraits du manifeste de l'Internationale anarchiste contre la guerre, février 1915

Il n’y a pas de distinction possible entre les guerres offensives et les guerres défensives. Dans le conflit actuel, les gouvernements de Berlin et de Vienne se sont justifiés avec des documents non moins authentiques que les gouvernements de Paris, de Londres et de Pétrograd. C’est à qui de ceux-ci et de ceux-là produira les documents les plus indiscutables et les plus décisifs pour établir sa bonne foi et se présenter comme l’immaculé défenseur du droit et de la liberté, le champion de la civilisation.

La civilisation ? Qui donc la représente en ce moment ? Est-ce l’État Allemand avec son militarisme formidable et si puissant qu’il a étouffé toute velléité de révolte ? Est-ce l’État Russe dont le knout, le gibet et la Sibérie sont les seuls moyens de persuasion ? Est-ce l’État Français, avec Biribi, les sanglantes conquêtes du Tonkin, de Madagascar, du Maroc, avec, le recrutement forcé des troupes noires ; la France qui retient dans ses prisons. depuis des années, des camarades coupables seulement d’avoir écrit et parlé contre la guerre ? Est-ce l’Angleterre qui exploite, divise, affame et opprime les populations de son immense empire colonial ?

Non. Aucun des belligérants n’a le droit de se réclamer de la civilisation, comme aucun n’a le droit de se déclarer en état de légitime défense.

La vérité, c’est que la cause des guerres, de celle -qui ensanglante actuellement les plaines de l’Europe, comme de toutes celles qui l’ont précédée, réside uniquement dans l’existence de l’État, qui est la forme politique du privilège.

Nous devons profiter de tous les mouvements de révolte, de tous les mécontentements, pour fomenter l’insurrection, pour organiser la révolution de laquelle nous attendons la fin de toutes les iniquités sociales. Pas de découragement — même devant une calamité comme la guerre actuelle !

Manifeste de l’Internationale Anarchiste contre la guerre

(Février 1915)

 

Source : https://www.panarchy.org/

Panarchy - Panarchie - Panarchia - Panarquia - Παναρχία - 汎統治主義
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L’Europe en feu, une dizaine de millions d’hommes aux prises dans la plus effroyable boucherie qu’ait jamais enregistré l’histoire, des millions de femmes et d’enfants en larmes, la vie économique, intellectuelle et morale de sept grands peuples brutalement suspendue, la menace chaque jour plus grave de complications militaires nouvelles, — tel est, depuis sept mois, le pénible, angoissant et odieux spectacle que nous offre le monde civilisé.

Mais spectacle attendu, au moins par les anarchistes. Car pour eux il n’a jamais fait et il ne fait aucun doute — les terribles évènements d’aujourd’hui fortifient cette assurance — que la guerre est en permanente gestation dans l’organisme social actuel et que le conflit armé, restreint ou généralisé, colonial ou européen, est la conséquence naturelle et l’aboutissant nécessaire et fatal d’un régime qui a pour base l’inégalité économique des citoyens, repose sur l’antagonisme sauvage des intérêts, et place le monde du travail sous l’étroite et douloureuse dépendance d’une minorité de parasites, détenteurs à la fois du pouvoir politique et de la puissance économique.

La guerre était inévitable : d’où qu’elle vint, elle devait éclater. Ce n’est pas en vain que depuis un demi-siècle, on prépare fiévreusement les plus formidables armements et que l’on accroît tous les jours davantage les budgets de la mort. À perfectionner constamment le matériel de guerre, à tendre continûment tous les esprits et toutes les volontés vers la meilleure organisation de la machine militaire, on ne travaille pas à la paix.

Aussi est-il naïf et puéril, après avoir multiplié les causes et les occasions de conflits, de chercher à établir les responsabilités à tel ou tel gouvernement. Il n’y a pas de distinction possible entre les guerres offensives et les guerres défensives. Dans le conflit actuel, les gouvernements de Berlin et de Vienne se sont justifiés avec des documents non moins authentiques que les gouvernements de Paris, de Londres et de Pétrograd. C’est à qui de ceux-ci et de ceux-là produira les documents les plus indiscutables et les plus décisifs pour établir sa bonne foi et se présenter comme l’immaculé défenseur du droit et de la liberté, le champion de la civilisation.

La civilisation ? Qui donc la représente en ce moment ? Est-ce l’État Allemand avec son militarisme formidable et si puissant qu’il a étouffé toute velléité de révolte ? Est-ce l’État Russe dont le knout, le gibet et la Sibérie sont les seuls moyens de persuasion ? Est-ce l’État Français, avec Biribi, les sanglantes conquêtes du Tonkin, de Madagascar, du Maroc, avec, le recrutement forcé des troupes noires ; la France qui retient dans ses prisons. depuis des années, des camarades coupables seulement d’avoir écrit et parlé contre la guerre ? Est-ce l’Angleterre qui exploite, divise, affame et opprime les populations de son immense empire colonial ?

Non. Aucun des belligérants n’a le droit de se réclamer de la civilisation, comme aucun n’a le droit de se déclarer en état de légitime défense.

La vérité, c’est que la cause des guerres, de celle -qui ensanglante actuellement les plaines de l’Europe, comme de toutes celles qui l’ont précédée, réside uniquement dans l’existence de l’État, qui est la forme politique du privilège.

L’État est né de la force militaire ; il s’est développé en se servant de la force militaire ; et c’est encore sur la force militaire qu’il doit logiquement s’appuyer pour maintenir sa toute-puissance. Quelle que soit la forme qu’il revête, l’État n’est que l’oppression organisée au profit d’une minorité de privilégiés. Le conflit actuel illustre ceci de façon frappante : toutes les formes de l’État se trouvent engagées dans la guerre présente : l’absolutisme avec la Russie, l’absolutisme mitigé de parlementarisme avec l’Allemagne, l’État régnant sur des peuples de races bien différentes avec l’Autriche, le régime démocratique constitutionnel avec l’Angleterre et le régime démocratique républicain avec la France.

Le malheur des peuples, qui pourtant étaient tous profondément attachés à la paix, est d’avoir eu confiance en l’État avec ses diplomates intrigants, en la démocratie et partis politiques (même d’opposition comme le socialisme parlementaire), pour éviter la guerre. Cette confiance a été trompée à dessein et elle continue à l’être lorsque les gouvernants, avec l’aide de toute leur presse, persuadent leurs peuples respectifs que cette guerre est une guerre de libération.

Nous sommes résolument contre toute guerre entre peuples et, dans les pays neutres, comme l’Italie, où les gouvernants prétendent jeter encore de nouveaux peuples dans la fournaise guerrière, nos camarades se sont opposés, s’opposent et s’opposeront toujours à la guerre avec la dernière énergie.

Le rôle des anarchistes, quel que soit l’endroit ou la situation dans laquelle ils se trouvent, dans la tragédie actuelle, est de continuer à proclamer qu’il n’y a qu’une seule guerre de libération : celle qui, dans tous les pays, est menée par les opprimés contre les oppresseurs, par les exploités contre les exploiteurs. Notre rôle c’est d’appeler les esclaves à la révolte contre leurs maîtres.

La propagande et l’action anarchistes doivent s’appliquer avec persévérance à affaiblir et à désagréger les divers États, à cultiver l’esprit de révolte et à faire naître le mécontentement dans les peuples et dans les armées.

À tous les soldats de tous les pays qui ont la foi de combattre pour la justice et la liberté, nous devons expliquer que leur héroïsme et leur vaillance ne serviront qu’à perpétuer la haine, la tyrannie et la misère.

Aux ouvriers de l’Usine il faut rappeler que les fusils qu’ils ont maintenant entre les mains ont été employés contre eux dans les jours de grève et de légitime révolte, et qu’ensuite ils serviront encore contre eux pour les obliger à subir l’exploitation patronale.

Aux paysans, leur montrer qu’après la guerre il faudra encore une fois se courber sous le joug, continuer à cultiver la terre de leurs seigneurs et à nourrir les riches.

À tous les parias, qu’ils ne doivent pas lâcher leurs armes avant d’avoir réglé des comptes avec leurs oppresseurs, avant d’avoir pris la terre et l’usine pour eux.

Aux mères, compagnes et filles, victimes d’un surcroît. de Misère et de privations, montrons quels sont les vrais responsables de leurs douleurs et du massacre de leurs pères, fils et maris.

Nous devons profiter de tous les mouvements de révolte, de tous les mécontentements, pour fomenter l’insurrection, pour organiser la révolution de laquelle nous attendons la fin de toutes les iniquités sociales. Pas de découragement — même devant une calamité comme la guerre actuelle !

C’est dans des périodes aussi troublées, où des milliers d’hommes donnent héroïquement leur vie pour une idée, qu’il faut que nous montrions à ces hommes la générosité, la grandeur et la beauté de l’idéal anarchiste ; la justice sociale réalisée par l’organisation libre des producteurs ; la guerre et le militarisme à jamais supprimés, la liberté entière conquise par la destruction totale de l’État et de ses organismes de coercition.

Vive l’Anarchie !

Leonard D. Abbott — Alexander Berkman — L. Bertoni — L. Bersani — G. Bernard — G. Barrett — A. Bernardo — E. Boudot — A. Calzitta — Joseph J. Cohen — Henry Combes — Nestor Ciele van Diepen — F.W. Dunn — Ch. Frigerio — Emma Goldman — V. Garcia —Hippolyte Havel —T.H. Keell — Harry Kelly — J. Lemaire — E. Malatesta — H. Marques — F. Domela Nieuwenhuis — Noel Paravich — E. Recchioni — G. Rijnders — I. Rochtchine — A. Savioli — A. Schapiro — William Shatoff — V.J.C. Schermerhorn — C. Trombetti — P. Vallina — G. Vignati — Lillian G. Woolf — S. Yanovsky.

Londres, février 1915

texte original en français, en format pdf

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