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théorie politique

COMMUNISME DE PARTI ET COMMUNISME DE CONSEILS. L’EXEMPLE DE LA RÉPUBLIQUE DE WEIMAR

Publié le 9 Mars 2024 par pantopolis

Lettre ouverte de Gorter au camarade Lénine, en hollandais, 1921

Lettre ouverte de Gorter au camarade Lénine, en hollandais, 1921

Avant propos 

Nous republions cet article très ancien (1976) de Richard Gombin sur communisme de conseils et communisme de parti.

2024  est le moment phare où se déversent des flots boueux de sanctification mortifère du léninisme, à l’occasion du centenaire de la mort du « chef génial », celui qui a écrasé les marins et ouvriers de Kronstadt, et les courants de la gauche communiste internationaliste de 1919 à 1922.

Ces flots boueux émanent aussi bien des groupuscules trotskystes que de prétendus descendants de la « gauche communiste internationale ». Face à ces tentatives de plonger dans l'oubli total l’apport de la vraie gauche communiste, il est plus que jamais nécessaire d'en rappeler les apports essentiels. Cette gauche communiste incarnée dans les années 1920-1940 par le KAPD allemand et le GIC hollandais reste toujours vivante dans son apport essentiel, toujours valide pour la révolution de demain : sans une  totale autonomie ouvrière, sans l’organisation par elle-même de la classe ouvrière internationale, sans sa prise de conscience révolutionnaire, sans sa constitution en conseils ouvriers révolutionnaires, montant à l'assaut du ciel pour former une seule et même Commune mondiale,  il n’est pas d’émancipation de l’humanité possible, une humanité enfin libérée du capitalisme et de son cortège sans fin de guerres destructrices.

Pantopolis, 8 mars 2024

Gombin Richard, « Communisme de Parti et communisme de Conseils : l’exemple de la République de Weimar », Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 23 n° 1, janvier-mars 1976, p. 32 à 43.

COMMUNISME DE PARTI ET COMMUNISME DE CONSEILS. L’EXEMPLE DE LA RÉPUBLIQUE DE WEIMAR
L’analyse des forces ou des «phénomènes» politiques ne prenait en considération, jusqu’à ces derniers temps, qu’un spectre qui s’arrêtait, à l’extrême-gauche, au Parti Communiste. Dans l’étude du communisme, on englobait tout naturellement ses oppositions internes, ses « déviations», ses fractions. Dans le langage des initiés de la contre-société communiste, on parle d’oppositionnels.
La notion d’oppositionnel implique une reconnaissance de la légitimité du Parti Communiste, cela en fonction d’une axiomatique marxiste­léniniste qui définit très précisément la place d’un « parti du prolétariat » dans l’évolution historique. Les oppositionnels eux-mêmes font partie d’un groupe plus large de militants qui se situent en marge de la ligne du parti : les déviationnistes. Mais là, une division s’opère, importante en pratique. Alors que les oppositionnels stricto sensu demeurent au parti et mènent donc leur opposition (souvent anonyme, voire clandestine par rapport à la légalité partisane) dans le cadre de celui-ci, les diverses déviations (trotskysme, titisme, maoïsme) accomplissent le « travail d’opposition » en dehors - et au grand jour.
Les différences doctrinales entre les uns et les autres sont parfois insignifiantes : le critère de l’extériorité tient  à l’appréciation  que font les instances  dirigeantes  du danger  potentiel            que présente  un  groupe d’opposition naissant. S’il apparaît que la cohésion du parti est susceptible d’être ébranlée par l’existence d’une droite ou d’une gauche, alors les droitiers deviennent des « opportunistes petits-bourgeois», les membres de l’opposition de gauche des «gauchistes », des antimarxistes, etc. Dans tous les cas, un même facteur unit l’ensemble des déviationnistes : une         commune conception de la place stratégique du Parti Communiste dans le processus révolutionnaire.
Les uns et les autres acceptent   les  prémisses théoriques, stratégiques,   programmatiques du marxisme-léninisme.         La querelle porte sur l’interpré-tation du corpus doctrinal et, en fonction de cette interprétation, sur la tactique  suivie par les dirigeants. Ni les uns ni les autres ne remettent en cause la forme partisane du communisme orthodoxe, son caractère de communisme de parti. Mais identifier toute organisation communiste au parti tient à un « oubli » historique, celui de l’expérience des conseils et des conceptions qu’elle avait induites. Cet oubli a plusieurs causes. D’une part, les conseils, là où ils avaient pu jouer un rôle notable dans le processus révolutionnaire - en Russie, en Bavière, en Hongrie pendant et après la Première Guerre mondiale - avaient été incorporés dans la doctrine et la pratique du communisme de parti. C’est-à-dire qu’ils sont devenus des organes d’exécution et d’approbation dans un système où la réalité du pouvoir appartenait au parti. D’autre part, les partisans avérés d’un communisme de conseils ont rarement dépassé la dimension d’une secte : leur épanouissement avait correspondu aux débuts de la Troisième Internationale dont le crédit était encore entier. L’enthousiasme alla tout naturellement à ce qui apparaissait à l’époque comme le cadre d’unification du prolétariat mondial. Enfin, la critique théorique que les « conseillistes » avaient pu formuler à l’encontre du communisme de parti fut longtemps masquée par l’acceptation quasi unanime d’un certain nombre d’axiomes : l’importance du parti révolutionnaire dans la lutte de classe, la place centrale des syndicats dans la radicalisation des masses, le caractère ouvrier de l’État russe puis, plus tard, la théorie des «déformations staliniennes» qui n’entament en rien la pureté et le caractère révolutionnaire du bolchevisme et de la révolution russe.
Avec le temps, l’enthousiasme premier pour la Troisième Internationale (qui devait d’ailleurs être supprimée pendant la Deuxième Guerre mondiale) était retombé et, dans les années 1960, des failles sérieuses entamèrent le crédit qu’on portait aux axiomes susmentionnés. À côté d’une ligne de démarcation traditionnelle (datant elle-même des premières années du Komintern) qui départageait les inconditionnels, les orthodoxes des déviants (bordiguistes, trotskystes, oppositionnels de gauche et de droite, pro-staliniens ou  maoïstes),  une  autre frontière apparut en clair. C’est celle qui oppose à tous les tenants d’un communisme de parti (qu’ils soient dans ou hors du parti) les partisans d’un communisme de conseils.
Ces derniers se situent aujourd’hui résolument dans l’opposition extra-institutionnelle. Mais ils ne se confondent pas avec toute la nouvelle gauche : ils n’en représentent qu’une fraction, celle précisément qui demeure dans le cadre du marxisme, mais d’un marxisme interprété ou réinterprété à la lumière de l’expérience historique des conseils.
Si le courant conseilliste connaît une telle actualité, c’est qu’il a maintes affinités avec l’idéologie de la contestation anti-autoritaire. Ces affinités se retrouvent particulièrement dans la critique de la gauche traditionnelle : sociale-démocrate et communiste.
Les prémisses théoriques de la nouvelle gauche partent de cette critique qui, pour la génération actuelle, fut le plus souvent vécue d’abord concrètement. La conceptualisation d’un refus spontané de la réalité partisane ne vint qu’ensuite. L’expérience de la « contestation en actes », que ce soit dans un campus américain ou en mai 1968 en France, au sein de la gauche antiparlementaire en Allemagne en 1967-1968 ou dans les conflits industriels récents au Piémont, est habituellement suivie d’un temps de réflexion  où le  « mouvement » se pense. L’existence d’organisations puissantes censées représenter les intérêts du prolétariat fut en général ressentie comme le premier obstacle à la radicalisation. Dans les brochures, la presse parallèle, les meetings, on tenta de rationaliser, d’exprimer en concepts logiques ce sentiment d’impuissance et de mépris envers les organisations ouvrières et socialistes.
Or, la critique de ces organisations avait déjà été faite - d’un point de vue proche de celui des contestataires - par les partisans de la théorie des conseils. Leurs écrits connaissent ces dernières années un succès de librairie impensable il y a encore six ou sept ans. Il importe d’évoquer cette critique et son origine - les deux étant étroitement liées - afin de situer les fondements de la nouvelle théorie radicale de la société.
Le communisme de Conseils, compris comme théorie révolutionnaire opposée au communisme de parti, est né pendant la Première Guerre mondiale en Allemagne pour s’épanouir au cours de l’après-guerre. Lorsque la guerre éclate, en août 1914, la social-démocratie sengage, en Allemagne comme en France, puis en Grande-Bretagne, dans une politique d’union sacrée (« paix civile » ou Burgfriede en allemand) avec le gouvernement bourgeois. Parallèlement, les syndicats s’obligent à observer la trêve sur le front social - suspendant sine die tout mouvement de grève ou de revendication professionnelle.
D’emblée, une fraction extrême de la social-démocratie, les radicaux de gauche (Linksradikalen), se désolidarise de ce qu’elle considère comme une trahison des intérêts du prolétariat. Il ne sagit, avant 1917, que d’une mince couche du socialisme allemand, d’une «avant-garde» pour employer la dénomination marxiste. L’opposition aux directions du Parti socialiste allemand et de la confédération syndicale ne devient une opposition de masse quavec les grandes grèves de 1917 et surtout de janvier 1918 2 La lassitude née de la durée de la guerre - tant sur le front qu’à l’arrière - fait mouvoir les masses contre le statu quo. Dans l’armée, ce phénomène s’incarne dans les mutineries et les désertions, le soulèvement le plus exemplaire ayant eu lieu dans la marine de guerre, à l’automne 1918 3. Dans les usines, surtout les usines d’armement, la grève reprend. Mais, fait nouveau, elle va au-delà des revendications longtemps inexprimées. Elle possède, de par sa nature circonstancielle, un contenu politique. Cette politisation obligée tient à deux facteurs :
  • les privations consécutives à la guerre totale (blocus sanitaire, fermeture des frontières, reconversion des usines en vue de la guerre), dressent les grévistes tant contre le patron que contre le gouvernement, voire la classe au pouvoir ;
  • l’attitude des syndicats.

 

 

1. H. M. BOCK, Syndikalismus und Linkskommunismus von 1918-1923, Meisenheim-am-Glan, 1969, pp. 80-82.

  1. Sur les grèves de 1917 et de 1918, cf. P. BROUÉ,  Révolution en Allemagne  (1917-1923), Paris,  1971, chap. VI : « Montée révolutionnaire ».
  2. Les origines  de  la mutinerie  remontent  à juin  1917, lorsquune ligue  de soldats  et marins est constituée, ibid., p. 107 et suiv.

 

Richard GOMBIN

Liés par un pacte de non-agression envers le patronat et l’État, les syndicats vont jusqu’à collaborer avec les autorités militaires pour empêcher une grève ou la faire cesser. Les «hommes de confiance», ces délégués nommés par en haut qui sont l’œil de la direction syndicale dans l’atelier, sont ressentis comme les alliés du patron, les ennemis des ouvriers. Ce qui explique que toute grève de quelque importance mette en place ses propres organes : délégués d’atelier élus par  l’ensemble des ouvriers, comités d’usine rassemblant les délégués d’atelier. Ces nouvelles structures de représentation ouvrière balaient l’ancienne organisation syndicale dans l’usine de par leur existence même 4. L’organisation d’usine (Betriebsorganisation), comme elle va bientôt s’appeler, possède un caractère incontestablement politique : elle est l’expression spontanée de la base ouvrière dressée tant contre le pouvoir patronal et gouvernemental que contre l’autorité syndicale. On trouve là, à l’état d’embryon, l’origine des conseils ouvriers.

 

Cest durant lautomne et l’hiver 1918 que sopère la convergence entre le mouvement réel - la propagation des Conseils (formés depuis novembre 1918 aussi sur le plan local, chaque ville et chaque région ayant son Conseil) - et le mouvement théorique issu des écrits des radicaux de gauche.

Ceux-ci, au fur et à mesure que l’opposition aux anciennes structures militantes se faisait plus vive, devaient perdre leur façade d’unanimité. Le différend qui divise les deux ailes des radicaux de gauche est important parce qu’il anticipe sur la bataille que devaient se livrer par la suite communistes de conseils et communistes de parti.

Du point de vue organisationnel, on trouve d’un côté le groupe Spartakus dont les dirigeants sont connus et appréciés : Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht, Paul Levi, Clara Zetkin, Leo Jogiches. À côté de ce groupe relativement bien organisé, il y a plusieurs organisations :

- en général des anciennes sections locales du S.P.D. - qui se regrouperont sous l’étiquette de Socialistes Internationaux d’Allemagne (I.S.D.) 6 Ces groupes sont totalement indépendants les uns des autres ; ils sont unis par des affinités idéologiques. Ainsi des groupes de Brême, Hambourg, Francfort, Dresde, Berlin. Chacun a son organisation et, surtout, son journal. La presse d’extrême-gauche circule avec une relative facilité (c’est le bénéfice de la paix sociale) et atteint de nombreux militants, jusque sur le front7.

Très tôt (dès 1915-1916), les I.S.D. se séparent des spartakistes sur le problème  des  rapports  avec la  social-démocratie ; ils exigent  une

 

  1. Bock, op. cit., p. 83. Les plus connus parmi les nouveaux délégués d’atelier furent les Obleute de Berlin, cf. P. VON OERTZEN, Betriebsträte in der Novemberrevolution, Dusseldorf , 1973, pp. 71 sqq.
  2. Sur la convergence entre idéologie des conseils et mouvement réel, cf. E. Kolb, Die Arbeiterräte  in der deutschen lnnenpolitik 1918-1919, Düsseldorf, 1962, pp. 56 sqq.
  3. La division des radicaux de gauche en deux ailes opposées est retracée par BOCK, op. cit., p. 66.
  4. Comme en témoigne un ancien militant de Brême, J. MILLER : «Zur Geschichte der linken Sozialdemokraten in Bremen (1906-1918) », in Zeitschrift für Geschichtwissenschaft, Sonderheft, 1958, pp. 202-217.

 

rupture totale, tant sur le plan de l’idéologie que de l’organisation. Les chefs spartakistes (plus modérés que la masse des militants) ne veulent pas sortir du parti afin de ne pas se couper des masses. En avril 1917, ils suivent l’opposition pacifiste pour fonder le parti social-démocrate indépendant (U.S.P.D.), alors que les Internationaux demandent  qu’on se désolidarise d’avec toutes les formes de la social-démocratie et qu’on crée un nouveau type d’organisation d’où auraient disparu les anciennes méthodes bureaucratiques, le culte du chef, la hiérarchie, le réformisme congénital 9. Le deuxième point de désaccord, et il découle du premier, a trait à la reconstruction d’une nouvelle Internationale. Les I.S.D. rejoignent le courant zimmerwaldien de gauche qui proclame la nécessité d’une Troisième Internationale alors que Spartakus hésite à quitter la Seconde 10.

L’effervescence révolutionnaire, au lendemain de la proclamation de la république (novembre 1918), conduit lensemble de lextrême-gauche à se réunifier au sein d’un même parti : le Parti Communiste d’Allemagne (K.P.D.). Les pressions de la part des Bolcheviques sont fortes dans ce sens et Karl Radek, militant russe et allemand à la fois, joue un rôle important d’intermédiaire d’autant plus influent qu’il fait figure d’extrémiste 11. En réalité, le congrès constitutif du 31 décembre 1918 ne résout aucun problème ; il ne fait qu’aggraver les ambiguïtés qui, à présent, sont nombreuses. La discussion, lors de ce congrès, révèle deux tempéraments politiques bien distincts 12 : pour les uns, il faut construire un parti de masse sur le modèle bolchevique, c’est-à-dire fortement hiérarchisé et discipliné. Pour réaliser ce projet, il faut une tactique souple devant conduire à participer aux syndicats réformistes et aux institutions électives de la république bourgeoise.

 

À l’autre pôle, on trouve ceux qu’on appellera bientôt les « communistes de gauche ». Ils reprochent à l’aile droite de pérenniser l’esprit de la social-démocratie, de reproduire les mêmes errements. Ils veulent rénover entièrement et réclament que le nouveau parti soit constitué sur une base décentralisée (autonomie des sections). Par ailleurs, ils s’opposent à l’entrée dans les syndicats et à la participation à toutes les élections, à commencer par celles, proches, prévues pour élire une Assemblée constituante 13.

 

  1. Cf. pour les conceptions organisationnelles et idéologiques des socialistes internationaux, Arbeiter politik (organe du groupe l.S.D. de Brême), n° 7, du 17 février 1917 : « Zur Frage der Einheitschule ».

9. La décision des spartakistes de demeurer dans le nouveau parti est violemment critiquée par les extrémistes : Arbeiterpolitik, 15, du 14 avril 1917.

10. Cf. H. M. BOCK, « Zur Geschichte und Theorie der holländischen marxistischen Schule, in A. Pannekoek et H. Gorter, Organisation und Taktik der proletarischen Revolution, Francfort, 1969, p. 24.

11. Sur la personnalité et le rôle de Karl Radek dans la naissance du K.P.D., on se reportera au chapitre qui lui est consacré par P. Broué dans sa thèse précitée.

  1. Le  congrès  de  fondation  et  les  divergences  qui  y  éclatent  sont  analysés   par O. K. FLECHTHEIM, Le parti communiste allemand sous la République de Weimar, trad. franç., Paris, 1972, chap. II : «  Le K.P.D. dans la période révolutionnaire transitoire ».
  2. Les chefs spartakistes sont en net désaccord avec la masse des congressistes hostiles à la participation aux élections. Cf. l’intervention de Rosa Luxemburg au congrès de fondation du K.P.D., trad. franç. dans A. et D. PRUDHOMMEAUX, Spartacus et la Commune de Berlin, s.d., pp. 47 et suiv.

 

Les communistes de gauche obtiennent la majorité, une bonne partie des spartakistes s’étant désolidarisée des chefs historiques. Ils sont cependant élus à la direction qui restera, après l’assassinat de Liebknecht, Jogiches et Luxemburg, aux mains des « droitiers ». Au printemps 1919, c’est un disciple de cette dernière, Paul Levi, qui prend la direction effective du parti et qui utilise lappareil dans le sens des thèses qui avaient été défaites au congrès de fondation. Au congrès doctobre 1919, Levi parvient à exclure la majorité des adhérents et il reste un parti exsangue mais homogène14. La séparation entre communistes de parti et partisans des conseils est alors consommée et définitive.

Les communistes de gauche (Linkskommunisten) vont alors fonder une nouvelle organisation révolutionnaire : le Parti Ouvrier Communiste d’Allemagne (K.A.P.D.)15. Parmi ses fondateurs, on trouve des théoriciens des conseils comme Schröder, Gorter, Rühle. Pannekoek est alors très proche de ce parti. Mais le K.A.P.D. n’incarne pas tout le communisme de conseils, ni dans le domaine de l’organisation, ni dans celui de l’idéologie. Le communisme de gauche, à l’origine aile « conseilliste » du mouvement communiste naissant, n’est qu’un des éléments qui vont féconder le communisme de conseils.

Entre 1918 et 1922, on rencontre en Allemagne une multitude d’organisations susceptibles de se réclamer de la conception des conseils. Ainsi du F.A.U.D. (Union générale libre d’Allemagne qui très vite rejoint l’anarcho-syndicalisme), de l’A.A.U.D. (Union générale ouvrière d’Allemagne, fondée en février 1920), puis de l’A.A.U.D.-E. (l’Union unitaire, issue de la précédente). Il y eut de nombreuses scissions, des fractions indépendantes et des partis minuscules (le K.A.P.D. lui-même sétant scindé en deux organisations complètement indépendantes mais portant le même nom). Les avatars organisationnels sur la gauche du K.P.D. sont d’une complexité rare. Mais ces quatre années de troubles révolutionnaires constituent un sol particulièrement fertile pour l’éclosion d’idées et d’organisations  révolutionnaires.

Si l’on s’attache à dégager les linéaments d’une théorie des conseils comme antagoniste de l’idéologie de la Troisième Internationale, il importe de distinguer deux étapes.

Dans un premier temps (1918-1922), on assiste aux tentatives de construction d’un mouvement fondé sur des conceptions nouvelles. La mobilisation permanente des masses, les grèves, les révoltes, voire les amorces d’une guerre civile (comme dans l’Allemagne centrale et dans la Ruhr) permettent à ces conceptions de rencontrer un écho certain. On estime jusqu’à trois cent mille l’ensemble des adhérents à une organisation conseilliste. Puis, après l’échec de l’ « action » de mars 1921, cest le déclin numérique vertigineux. En 1922, les conseillistes

 

  1. Ce tour de passe-passe est rendu possible par les manœuvres de Levi qui convoque le congrès en pleine période d’illégalité. Cf. Fl.ECHTHEIM, op. cit., pp. 85 sq., et BROUE, op. cit., pp. 309-310.
  2. On trouvera un historique du K.A.P.D., dans BOCK, Syndikalismus und Linkskommunismus, op. cit., pp. 225 sq. et dans l’introduction de F. KOOL à Die Linke gegen die Parteiherrschaft, Freiburg-im-Brisgau, 1970.

ne sont plus que vingt mille, à la fin des années 20, quelques centaines16. Au cours de cette première étape, la théorie a de la peine à se dégager encore totalement des conceptions léninistes. Le modèle reste le parti bolchevique russe, mais celui d’avant octobre 1917. Autrement dit, on conserve le schéma parti - syndicats - masses dans lequel une avant-garde de communistes conscients est individualisée organisa-tionnellement. Le syndicat est devenu l’union ouvrière qui en diffère par son articulation sur l’entreprise (Betriebsorganisation). Pour les uns, l’Union doit être entièrement indépendante, le K.A.P. ne traçant que les lignes générales, le programme à long terme. Pour les autres, l’allégeance de l’Union par rapport au parti doit être effective 11. Enfin, certains encouragent l’Union à participer aux luttes salariales, d’autres à ne s’immiscer que dans les conflits politiques. Chez les « unitaristes », action politique et action économique se confondent ; c’est pourquoi leur organisation (l’Union unitaire) est censée impulser l’une et l’autre à la fois18.

Tous les conseillistes, cependant, s’accordent à ne voir dans le parti (si parti il y a) qu’une organisation de communistes conscients, alors que le K.P.D. (et l’Internationale Communiste) cherchent à construire le parti de masse. Ils sont unanimes aussi à rejeter toute collaboration avec les syndicats existants et même toute reconstitution du modèle syndical. L’Union ouvrière est censée figurer une forme nouvelle d’organisation, articulée sur l’usine et non plus sur la localité, et indépendante de toute hiérarchie. Ils condamnent en conséquence le mot d’ordre d’ « entrisme » dans les syndicats existants lancé par la Centrale (direction ) Levi. Enfin, la plupart des communistes de gauche rejettent en théorie (en pratique la question se présente différemment) les anciennes habitudes de la social-démocratie que le K.P.D. a reprises à son compte : le culte du chef, l’existence d’une direction toute-puissante qui décide en pleine indépendance de la base, appuyée sur un corps de permanents rémunérés par le parti 19.

Ce sont, grosso modo, ces trois facteurs qui opposent le K.P.D. aux groupes et groupuscules de communistes de gauche. Très vite, Lénine, puis l’Exécutif de la Troisième Internationale,  entrent  publiquement dans la querelle.

Les communistes de gauche hésitent cependant à rompre avec le Komintern ; d’une part, parce que le prestige de la révolution russe demeure intact ; d’autre part, parce que certains, tel Herman Gorter, espèrent pouvoir lutter contre l’« opportunisme » du K.P.D. à l’intérieur de la nouvelle Internationale. En 1921, ces espoirs sont déçus, l’Exécutif du Komintern somme le K.A.P.D. de revenir sur ses erreurs et de se fondre dans le K.P.D. 20. C’est la rupture totale qui débouche même sur la tentative  de construction  d’une Quatrième  Internationale 21.

H. M. Bock, op. cil ., p. 209, et F. KooL, p. 145 de l’introduction citée.

  1. Cf . le programme de 1920 du KAP, in Die Linke gegen die Parteilierrschaft , pp. 315-327. Un deuxième programme est rédigé en 1924 par la tendance d’ « Essen »·
  2. Sur la théorie « unitariste » cf. les écrits d’O. HLE : Die Revolution ist keine Parteisache !, Berlin, 1920, et Von der bürgerlichen zur proletarischen  Revolution,  Berlin, 1970 (le texte date de 1924).
  3. Cf. la critique des conceptions du K.P.D. dans le journal du K.A.P.D., Proletarier, n° 1 d’octobre 1920 : « Einigung der kommunistischen Parteien Deutschlands·

La période postérieure à 1922 est paradoxalement celle qui est la plus fertile du point de vue de la théorie des conseils. Le K.P.D. est «bolchevisé » et ses oppositions internes se situent dans l’aire du communisme de parti 22. Le communisme de gauche poursuit une voie propre tracée d’après des principes organisationnels et programmatiques entièrement différents. Son déclin en tant que mouvement coïncide avec un enrichissement de la théorie qui est élaborée, tant en Allemagne qu’en Hollande, au sein de petits groupes de travail théorique. Détachée de la lutte quotidienne, la pensée conseilliste est en mesure de tirer toutes les conclusions tant du cheminement du communisme orthodoxe que des avatars politiques des organisations conseillistes. Au cours de ces années, le communisme de gauche se mue définitivement en communisme de conseils.

En premier lieu, les communistes de conseils commencent à se dégager de la fascination (qui avait tant paralysé les communistes de gauche) pour la révolution russe. Entre 1920 et 1940, ils affinent une conception selon laquelle celle-ci ne fut pas une révolution prolétarienne mais bourgeoise 23. Étant donné l’absence d’une bourgeoisie solide et nombreuse, la tâche de faire sortir la Russie de la féodalité devait revenir à une mince couche d’intellectuels petits-bourgeois et d’ouvriers devenus révolutionnaires professionnels. S’étant substitués à la bourgeoisie, les Bolcheviques se sont trouvés en présence d’un prolétariat faible et d’une immense masse de paysans assoiffés de terres. Voilà qui explique (mais ne justifie pas) une dictature de parti sans commune mesure avec la dictature de classe24. Les partis communistes étrangers, loin de poursuivre un but révolutionnaire, ne peuvent que servir l’essor d’un  capitalisme  d’État en Union soviétique.

Pour les plus extrêmes des partisans des conseils, la forme-parti témoigne d’un cadre de lutte et de préoccupations capitalistes. Cette forme appartient à un passé révolu où le prolétariat n’était pas encore individualisé  et  ne  pouvait  rien  par  lui-même 25Anton  Pannekoek.

 

  1. Voir les critiques  du  communisme  de gauche  par  la  Troisième  Internationale  dans Manifestes, thèses et résolutions des quatre premiers congrès mondiaux de l’Internationale communiste, Paris, 1934 (réimpression  en fac-similé  chez  F. Maspéro,  Paris,  1970), pp.  47 et 49.
  2. Cf . dans le numéro spécial de Proletarier publié par Gorter à Amsterdam (en 1922) larticle : « Die kommunistische  Arbeiter-Internationale ».
  3. Sur  les oppositions  de  gauche  à  l’intérieur  du  K.P.D., on consultera S. BAH NE : «Zwischen Luxemburgismus und Stalinismus. Die ultralinke Opposition in der K.P.D. », Vierteljahrshefte fiir Zeitgeschichte, 1961, pp. 359 sq.
  4. La première réaction dans ce sens vient d’Otto Rühle. Voir son «Bericht über Moskau »,  in Die Aktion (Berlin), 39/40, 2 sept. 1920.
  5. H. GORTER, Réponse à Lénine sur « La maladie infantile du communisme ,. (le texte allemand date de 1920), Paris, s.d. [1930] ; «Ostlicher und westlicher Kommunismus », Proletarier, n° 1, octobre 1920 ; [A. PA NNEKOEK] : „Sowjetrussland und der westeuropäische Kommunismus“, Proletarier, n° 6, juin 1921. Cf . aussi le numéro de Rätekorrespondenz organe du groupe conseilliste hollandais, le G.I.C.) intitulé : “Thesen über den Bolschewismus ... n° 3, d’août 1934.
  6. Pour la conception extrême du parti, voir O. RüHLE, Von der bürgerlichen ..., op. cit., p. 32.

 

l’approfondissement de la théorie conseilliste, voit une opposition absolue entre le développement de la conscience de classe et les anciennes formes organisationnelles. Or le facteur spirituel, dans le processus révolutionnaire, lui paraît fondamental : seul un prolétariat conscient de sa tâche et de son avenir peut faire la révolution. Aucun parti n’est en mesure de lui apporter cette conscience de l’extérieur. Il aboutit ainsi à des conclusions radicalement opposées à celles que Lénine avait énoncées naguère dans son Que faire ? (1902). La conscience de classe ouvrière ne peut lui venir que des conditions matérielles de la production et des conditions sociales de son existence. Par un processus dialectique continu, la lutte quotidienne dans l’entreprise moule la conscience du prolétaire, laquelle, à son tour, influe sur son comportement futur. Dans la mesure où il conserve une fonction de commandement, la direction politique, où il participe aux institutions parlementaires, le Parti  Communiste  reste dans le cadre institutionnel de la démocratie bourgeoise. La lutte quotidienne (économique et politique) se déroule chaque jour dans les entreprises : dans les moments de radicalisation, les ouvriers se dotent spontanément d’organisations adéquates à leurs buts 21

Mais, pour déterminée qu’elle soit par le mode de production, la conscience du prolétariat ne suit qu’avec un décalage les modifications dans les structures matérielles. Pendant  un  temps  qui  peut  être  long, elle demeure  prisonnière  de  l’idéologie  ambiante  car, s’il est  vrai  que le prolétariat est maître de la  société par  son nombre  et  sa fonction de production, il est encore freiné par la force spirituelle de la bourgeoisie : les us et coutumes,  les  préjugés,  l’éducation,  bref, l’ensemble de la production culturelles qui, elle, est aux mains de la classe dominante.

C’est dans le domaine spirituel que Pannekoek voit une possibilité de travail militant. Aux communistes, à ceux qui ont une vision nette de l’évolution sociale, incombe la tâche de clarification et de discussion théorique. Ils se rassemblent dans des organisations que Pannekoek appelle indifféremment partis ou groupes de travail. Aucune condition formelle d’appartenance, aucun organe de direction, aucune bureaucratie spécialisée. Il ne s’agit surtout pas de prendre la tête des luttes mais seulement d’accomplir un travail théorique qui profitera aux prolétaires pour la claire vision de leurs tâches 29.

 

De même que le Parti Socialiste (ou Communiste) du type classique

 

 

  1. [A. PANNEKOEK] : « Der historische Matcrialismus, Riitekorres pondenz, 2, juillet 1934. Trad. française : « Le matérialisme historique », in Cahiers du communisme de Conseils, 1, octobre 1968.
  2. J. H. [A. PANNEKOEK] : « The Workers’ Councils », in International Council Corres­ pondence (organe du groupe conseilliste américain), 5, 1936.
  3. A. PANNEKOEK : « Marxismus und ldealismus, Proletarier, 4, février-mars 1921.
  4. Sur la conception du parti chez PANNEKOEK, voir, entre autres, « Partei und Arbeiterklasse, Rätekorres pondenz, 15, mars 1936, et l’échange de correspondance à ce sujet avec Pierre Chaulieu, collaborateur de Socialisme ou Barbarie : première lettre à Pierre Chaulieu, reproduite dans Socialisme ou Barbarie, 14, avril-juin 1954, et deuxième lettre reproduite dans Cahiers du communisme de conseils, 8, mai 1971.

 

est parfaitement inséré dans le cadre de l’État capitaliste, les conseillistes considèrent que les syndicats ouvriers font partie intégrante du système. Et si, à l’origine, leur rôle fut d’arracher aux patrons des concessions pour améliorer la situation matérielle des travailleurs, les directions syndicales se sont érigées en corps autonomes, poursuivant leurs intérêts propres et remplissant un rôle, indispensable pour l’économie capitaliste, d’intermédiaires      entre  employeurs   et employés. De ce fait, ils sont devenus, comme les partis, des obstacles à la lutte révolutionnaire 30.

Il est vrai que cette critique des syndicats avait été amorcée avant la Première Guerre mondiale par les radicaux de gauche, dont les marxistes hollandais faisaient d’ailleurs partie. Mais  toute  utilité  ne leur avait pas encore été déniée. C’est la guerre et l’apparition des conseils qui sont cause de la nouvelle intransigeance. Dans la mesure où le conseil ouvrier apparaît comme l’instrument de lutte révolutionnaire que le prolétariat s’est forgé lui-même, les communistes de conseils l’investissent de la revendication à la fois politique et économique 31.

Le conseil ouvrier, dans cette conception, figure la pièce centrale. Dans le cadre d’un capitalisme qui évolue vers les grandes unités et qui sinternationalise, le prolétariat ne cherche plus sa propre unification dans un parti et la défense de ses intérêts matériels par les syndicats. Il veut abolir l’État lui-même et le salariat. À cette fin, il s’est doté d’une forme organisationnelle qui exprime sa spontanéité révolutionnaire : ni chefs,  ni  hiérarchie ni intervention d’une avant-garde extérieure. Le conseil est le prolétariat en lutte, sa forme d’action est l’action directe 32. Les conseillistes voient dans  le conseil  l’instrument de lutte par excellence. Mais certains vont plus loin en en faisant la cellule de base de la société future. Dans la société communiste, les conseils seraient les organes de la dictature de classe (le parti n’étant que celui de la dictature d’un parti, voire de quelques chefs). Pannekoek  trace même un parallèle  entre la fonction  du parlement dans l’État bourgeois  et celle des conseils dans une société sans classes 33.

Il est vrai que les communistes de conseils avaient procédé à un développement théorique hardi à partir d’une réalité historique bien limitée. Car nulle part les conseils ne furent cette forme pure de la spontanéité révolutionnaire des masses qu’on trouve dans l’idéal-type théorique. Si l’apparition des conseils fut assez souvent spontanée et dépourvue de toute immixtion partisane, bien vite s’institua le contrôle

 

  1. Pour la conception des syndicats « organes du capital », voir A. PANNEKOEK, Workers’ Councils, Melbourne, 1950, p. 65 (en cours de traduction française) et son article « Trade Unions », in International Council Correspondence, 2, janvier 1936, ainsi qu’Otto RÜHLE, Von der bürgerlichen ..., op. cit., pp. 38-43.
  2. Le Conseil a été appréhendé très tôt comme la nouvelle forme d’organisation du prolétariat par l’aile révolutionnaire des radicaux de gauche, dès 1917. Par la suite, ce thème est inlassablement repris par les communistes de gauche puis les communistes de Conseils.
  3. Cf . la brochure de K. SCHRÖDER (un des dirigeants du K.A.P.D.), Vom Werden der neuen Gesellschaft, Berlin, s.d. (1920].
  4. Workers’ Councils, p. 47. Mais la comparaison entre Conseils et Parlement dans des régimes sociaux différents est ancienne, cf. par exemple l’article intitulé : « Der Parlamentarismus in der proletarischen Revolution », Proletarier, 3, décembre 1920.

 

par un parti ou une coalition de partis. Cela est particulièrement vrai de la Russie de 1917 où les bolcheviques n’adoptèrent le mot dordre « tout le pouvoir aux soviets » que le jour où ils furent assurés de conquérir la majorité en leur sein, alors qu’auparavant ils les avaient dénigrés 34. En Allemagne et en Autriche, la social-démocratie (sous sa forme conservatrice ou modérée) contrôle très vite les conseils après la révolution de novembre 1918 ; plus, elle prit l’initiative d’en consti tuer dans les villes et régions où les conseils n’existaient pas encore. Ceux qui avaient échappé à son emprise furent dirigés par des spartakistes ou des futurs communistes de gauche 35.

 

En Bavière et en Hongrie, enfin, où les conseils étaient censés revêtir une forme constitutionnelle, être à la source du pouvoir, la réalité fut aussi bien différente. Alors qu’en Bavière, durant les quelques mois de « république soviétique », le conseil fut l’arrière-plan sur le fond duquel se poursuivait la joute entre socialistes indépendants, communistes et anarchisants, en Hongrie, le conseil ouvrier de Budapest reflétait fidèlement le rapport de forces entre les socialistes et les syndicats d’une part, les partisans de Béla Kun de l’autre. À aucun moment il n’exprima autre chose que les décisions respectives des états-majors des partis 36.

Dans la mesure où le communisme de conseils n’exprimait pas une réalité mais l’idée que ses propagandistes se faisaient des conseils, il fut une idéologie dans le sens de Karl Korsch. Les groupes conseillistes qui continuèrent à fonctionner de par le monde défendaient, surtout par la plume, une doctrine qui avait fini par devenir suffisamment homogène pour se muer en système, voire en dogme. L’interprétation de la réalité foisonnante ne manquait pas d’être faite en regard des axiomes théoriques : c’est ainsi que, dès les années 1940, les conseillistes hollandais prédisaient l’importance des grèves sauvages et des occupations d’usines dans les luttes sociales à venir. Aussi bien finirent-ils par miser sur l’extension de la grève, de proche en proche, à l’ensemble de la production 37. On comprend que la grève généralisée de mai-juin 1968 fût considérée par certains comme la confirmation des thèses conseillistes.

Outre l’intérêt qu’on montre pour la littérature conseilliste (en

 

  1. Les bolcheviques furent hostiles aux. soviets lors de leur apparition. Ils les considéraient comme des « mannequins sans pouvoir réel ». Arme essentiellement tactique pour Lénine, les Conseils seront « réhabilités » fin septembre 1917 et le slogan bolchevique deviendra : « Tout  le pouvoir  aux. soviets ».  O. ANWEILER,  Die  Rätebewegung  in Russland ( 1905-1921), Leyden, 1958, pp. 202, 213 et 218, traduction française : Les soviets en Russie, 1972. Marcel LIEBMAN, pourtant  favorable à Lénine, reconnaît que celui-ci « nélabora jamais une  véritable  théorie  de  l’institution  soviétique »  et  que  les  dirigeants  bolcheviques  furent franchement hostiles au Soviet de Pétrograd ( Le léninisme sous Lénine, Paris, 1973, t. I. pp. 112 et 110-111).
  2. E. KOLB, op. cit., pp. 88-92.
  3. Cf . R. GRÜNBERGER,  Red Rising  in Bavaria, Londres,  1973, passim,  et R. L. TOKÉS,

Béla Kun and the Hungarian Soviet Republic, New York,  1967, pp. 158-161.

  1. Dans une brochure parue à Amsterdam en 1947 en anglais (The New World) les communistes de conseils hollandais prophétisent que la grève sauvage et l’occupation d’usines deviendront les « nouvelles formes de lutte ». Sur la nécessité d’extension de la grève, voir A. PANNEKOEK : « The Failure of the Working Class », Politics, III, 8, sept. 1946, cité par S. BRICIANER, Pannekoek et les Conseils ouvriers, Paris, 1969, p. 294, qui en donne la traduction   française.

France, notamment, pour les écrits du groupe « Socialisme et Barbarie » qui avait fait paraître une revue du même nom jusqu’en 1965), il nest pas inutile de souligner pour l’histoire du mouvement et les origines de la théorie, la place que l’idée des conseils occupe par rapport au communisme orthodoxe ou de parti. Historiquement, le conseillisme fut la négation de celui-ci, à partir de prémisses du matérialisme historique. Ses arguments furent repris même à l’intérieur du mouvement communiste, ne serait-ce que pour critiquer le stalinisme. Les thèses concernant le caractère capitaliste d’État de l’économie soviétique furent largement utilisées ; de même que l’exaltation de l’action directe et le rejet du parlementarisme.

Mais l’importance fondamentale pour l’analyse politique tient à ce que les conseillistes ont remis en question un dogme du mouvement ouvrier et socialiste : celui de la place d’un parti révolutionnaire dans le processus historique qui mène à la révolution. Dans la mesure où le parti est associé à une étape historique dépassée et où on lui oppose le conseil qui, lui, ne rentre dans aucun cadre institutionnel connu, une réalité nouvelle s’impose à l’observateur qu’il faudra bien un jour conceptualiser. L’intérêt que les contestataires ne cessent de montrer pour les conseils et, plus généralement, pour toutes les manifestations de la « spontanéité révolutionnaire», ne manque pas de conférer à cette tâche une incontestable actualité.

 

Richard GOMBIN