Introduction
Nous publions cette longue et très approfondie étude de l'historien espagnol Agustín Guillamon sur Le groupe franco-espagnol "Les amis de Durruti".
Nous tenons à souligner cette conclusion de l'auteur :
"Il est plus facile à défendre l’unité antifasciste, la participation aux tâches de gouvernement d’un État capitaliste, la militarisation pour se soumettre à une guerre menée par la bourgeoisie républicaine que de s’affronter aux contradictions, et affirmer que la CNT doit prendre le pouvoir, que la guerre ne pouvait seulement être gagnée si c’était le prolétariat qui la dirigeait, qu’il était nécessaire de détruire l’État capitaliste, et surtout qu’il était nécessaire que le prolétariat crée les structures de son propre pouvoir, qu’il utiliserait la force pour réprimer la contre révolution, et qu’il était impossible de faire tout cela sans une direction révolutionnaire. QUE CES CONCLUSIONS FUSSENT OU NON ANARCHISTES, CELA IMPORTAIT PEU A CEUX QUI NE SE DEMANDAIENT PAS SI C’ÉTAIT ANARCHISTE DE SAUVER L’ÉTAT CAPITALISTE.
"L’idéologie anarcho-syndicalisme a été soumise de 1936 à 1939 à une série de tests importants sur sa capacité, sa cohérence et sa validité. La pensée de Balius, et celle du Regroupement des Amis de Durruti, furent les seules tentatives théoriques valables (16) d’un groupe anarchiste espagnol pour résoudre les contradictions et l’abandon des principes qui caractérisaient la CNT et la FAI. Si l’effort théorique de Balius et du Regroupement les a amenés à adopter certains enseignements jugés comme non-anarcho-syndicalistes, peut-être serait-il nécessaire d’accepter l’échec de l’anarchisme comme théorie révolutionnaire du prolétariat ? Balius et le Regroupement n’ont jamais rien dit sur cela, et ils se sont toujours sentis anarchistes, tout en critiquant la défense du collaborationnisme d’État de la CNT. Ils se sont toujours opposés aux tentatives de leur expulsion de la direction cégétiste. Ils éviteront à tout prix de sortir de la CNT."
Reste donc à étayer, tout comme celle du trotskysme, la faillite complète de l'anarchisme espagnol...
Pantopolis, 18 novembre 2024
Le groupe franco-espagnol Les Amis de Durruti
Introduction (1).
Le belge Charles Cortvrint (2) et Charles Carpentier (3), du nord de la France, tous deux militants anarchistes ont traversé la frontière franco-espagnole le 29 juillet 1936. Charles «Ridel» était déjà venu en Espagne pour le congrès de la CNT de Saragosse en Mai 1936, il en a rédigé un rapport, qui a été publié dans La Révolution Prolétarienne. Les jours après le passage de la frontière, ils se réunirent à Barcelone avec Abad de Santillan, qui leur fournit un laissez-passer de journaliste ce qu’ils refusèrent parce qu’ils voulaient se battre sur le front d’Aragon. Ils se joignirent à Louis Berthomieux, ancien capitaine d’artillerie, maintenant à la misère et vivant dans le quartier des cabanes, avec les tziganes. Ce trio, avant l’arrivée de nombreux anarchistes étrangers volontaires pour combattre en Espagne, eut l’idée de se regrouper pour fonder le groupe international de la Colonne Durruti. Ils participèrent à la prise de Pina de Ebro et d’Osera, ainsi qu’à une tentative avortée pour créer une tête de pont sur l’autre rive de l’Èbre. En Septembre 1936, soixante hommes du groupe international, d’une grande expérience militaire, ont participé en qualité de troupes d’élite à l’assaut de Siétamo, qui a fait 37 victimes: tués y compris les blessés.
Le 17 Octobre 1936, le groupe international a été décimée à Perdiguero, suite à de violents combats avec la cavalerie marocaine qui avait réussi à les enfermer dans une nasse, et à les isoler du reste du front, parce qu’ils n’avaient pas entendu l’ordre de replis, parce que l’estafette qui devait la communiquer s’était perdue. Berthomieux préféra se faire sauter sur une charge de dynamite plutôt que de tomber entre les mains ennemies. Ridel et Carpentier, qui quelques heures avant étaient aller rechercher de nouvelles armes et munitions, purent seuls participer à la tentative pour briser l’encerclement avant le retrait définitif. 170 miliciens moururent sur un total de 240 que comprenait le groupe international, qui pratiquement disparut comme tel. Après cette catastrophe militaire Ridel et Carpentier retournèrent en France.
«Charles Ridel», à la demande de l’Union anarchiste (UA), s’est consacré à faire des conférences afin de recueillir des fonds pour l’organisation de secours aux miliciens combattant au cours de la révolution espagnole. Carpentier retourna en Espagne en décembre 1936 ; il participa à la lutte sur les barricades à Barcelone pendant les journées de Mai 1937, rentrant finalement peu de temps après en France pour éviter la Tcheka stalinienne.
En novembre 1937, «Charles Ridel», Charles Carpentier, Lucien Feuillade («Luc Daurat») et Guyard, manifestèrent contre les accords et les résolutions du congrès de l’Union anarchiste (4). Le congrès eut lieu du 30 octobre au 1er novembre 1937. Il fallut adopter de nouvelles mesures d’organisation pour faire face à la forte croissance du nombre de militants et de la diffusion du Libertaire qui avaient également quadruplés l’année précédente. Mais le thème qui centralisa et envenima le débat du congrès fut celui de la solidarité avec l’Espagne. En réalité, ce fut lorsque les résolutions adoptées au congrès affirmèrent «la totale solidarité de l’Union anarchiste avec l’Espagne», ce qui confirmait la solidarité et l’approbation d’une partie des anarchistes français au collaborationnisme de la CNT et de la FAI avec le gouvernement bourgeois et républicain espagnol.
Ridel commença le débat par la critique des erreurs les plus importantes de l’UA, durant l’année écoulée. Elles sont pour lui les suivantes:
1. - L’anarchisme doit être un secteur du mouvement ouvrier et non une philosophie.
2. - Il faut changer la structure organisationnelle qui met en charge de tout le travail à cinq ou six postes de responsabilité, plutôt qu’à toute l’organisation.
3. - Il est nécessaire d’avoir une plus grande cohérence politique.
4. - Il déplore le manque de préparation du Congrès.
5. - Il regrette la participation au meeting du vélodrome d’hiver (5), des staliniens Cachin et Jouhaux (6).
6. - il a dit qu’il se permettrait d’exposer dans Le Libertaire les différentes positions politiques des anarchistes espagnols. Dans congrès français la majorité prononça des phrases dignes de figurer dans une anthologie des partisans du collaborationnisme anarchiste avec l’État républicain.
Servant, en réponse aux critiques de Ridel, a dit:
«Si les anarchistes espagnols ont fait une erreur, ce n’est pas d’avoir coopéré avec le gouvernement dans les secteurs politiques, mais celui de ne pas avoir conservé cette collaboration.»
De même, plus laconiquement, se référant à l’abandon des principes par les anarchistes espagnols, Sail Mohamed a dit : «Pour un fusil, j’aurais fait toutes les concessions.»
À la fin de la première séance, le congrès a rejeté la motion «Ridel» appelant à l’existence de groupes d’usine avec la plénitude de droits et approuvant la motion qui estimait ces groupes comme des éléments pour le recrutement mais sans autorité. Cela signifie que l’anarchisme français renonçait fermement à s’organiser dans les usines, et a opté pour une organisation de type local plus appropriée pour cultiver la philosophie que la lutte des classes.
La deuxième session fut exclusivement consacrée au débat sur l’Espagne. A l’argumentation de Fremont, extrêmement compréhensive sur l’abdication des principes anarchistes en faveur de la collaboration avec le gouvernement, Daurat répondit sur la question clé de la prise du pouvoir dans la révolution :
«Je crois que la question devrait se poser sur le terrain politique. Est-il impossible d’établir le communisme libertaire? Entre la prise du pouvoir et participer au gouvernement Negrín ou Caballero, il y a une position [de principe] minimale pour les anarchistes, c’est faire un appel aux organisations syndicales, afin de créer un comité de coordination, qui possède une formule révolutionnaire logique pour la période de transition, et [qui soit en mesure d ‘] organiser la dictature du prolétariat sur un plan démocratique au moyen d’un gouvernement syndical (7). Toutefois, il sera avancé l’idée qu’il existe des partis politiques avec lesquels il est nécessaire de faire une partie du chemin. Je pense qu’il ne faut pas se faire d’illusions et ne pas perdre de vue que l’objectif des partis bourgeois est de faire avorter la révolution.
Par conséquent, il faut cesser cette partie du chemin à un moment donné. Souvenons-nous des événements de Mai et des anarchistes emprisonnés. La situation est-elle si désespérée que nous devrions implorer de Paris et de Londres une paix honorable? Ou bien les anarchistes doivent-ils essayer de réactiver la situation révolutionnaire ? Dans un récent article du Libertaire, Gaston Leval justifie les compromis [collaborationnistes] et déclare qu’il était impossible de concevoir autre chose qu’un gouvernement de compromis (anarchistes, socialistes autoritaires et républicains). Ne serait-il pas mieux d’organiser la paix ? Ou réviser de haut en bas notre doctrine? Il semble qu’on ne devrait pas parler d’anarchisme dans ce qu’on appelle révolution espagnole. Quelles sont en réalité les réalisations espagnoles? La collectivisation en Aragon et en Catalogne? Mais si elles sont soumises au gouvernement bourgeois (Ascaso est en prison) et ne sont pas plus que de simples coopératives. Le principe de la démocratie ouvrière exige qu’après le 19juillet, se constituent des comités ouvriers CNT-UGT. La réponse qui a été donnée est : «Nous sommes opposés à la prise du pouvoir», est insuffisante et l’anarchisme ne devrait pas abandonner la dictature du prolétariat. Nous devons former un gouvernement des syndicats. (8)»
En fin de compte Lucien Feuillade («Luc Daurat») défendit la position anarcho-syndicaliste comme alternative au collaborationnisme gouvernemental.
Guyard également a manifesté son opposition à la position de la majorité du congrès, qui approuvait le collaborationnisme des dirigeants anarchistes espagnols:
«La participation ministérielle de la CNT au pouvoir en Espagne a été néfaste, il y avait, en même temps, des ministres anarchistes et des anarchistes en prison. Il y eut pour partie un manque d’énergie du ministre de la Justice, qui pouvait agir autrement avec le soutien des organisations syndicales. »
L’intervention du délégué de «Paris 14» a été très intéressante après avoir indiqué que la participation des anarchistes au gouvernement a été désastreuse, il a critiqué les positions sur l’Union soviétique et les staliniens défendues par Solidaridad Obrera et Catalunya, a constaté que la FAI s’est convertit en parti politique. Dans ses critiques des diverses organisations et des dirigeants, il excluait expressément les Jeunesses Libertaires et les Amis de Durruti.
Après un long débat confus dans lequel la plupart du congrès rejeta largement leurs arguments, Carpentier et Ridel intervinrent pour résumer les positions rencontrées sur le cas espagnol, qu’ils désiraient mettre en avant. D’abord, le droit de faire des critiques justes et opportunes de la FAI et de la CNT, sans qu’elles soient supposées attaquer ou trahir qui que ce soit. Ils notèrent l’existence d’une opposition au collaborationnisme en Espagne même, incarné par Les Amis de Durruti. En second lieu, ils déclarèrent qu’il était logique de dire à ceux qui ont combattu Franco qu’il fallait se battre jusqu’à la fin, mais aussi qu’il fallait lutter contre le gouvernement républicain. Le discours de la majorité en est venu à dire qu’en Espagne, il n’y avait pas eu de révolution. En dernier lieu ils soulignèrent leurs critiques de la désastreuse tactique de la FAI, qui a accepté le partage des responsabilités gouvernementales sur un pied d’égalité avec les partis politiques en dépit de sa supériorité numérique. Ils constatèrent le manque de préparation de la CNT-FAI et le divorce entre la base et sa direction. En outre, l’existence de ministres anarchistes empêcha les troupes du front d’Aragon de venir à Barcelone en Mai 37, et le manque de coopération des staliniens aboutit au désastre militaire en Aragon.
Ridel fit une très dure critique du mouvement anarchiste espagnol:
«Nous devons faire la critique du mouvement [anarchiste] espagnol, car il fait ressortir les défauts de tout le mouvement anarchiste: absence de planification économique, absence de programme. La collaboration de classes et gouvernementale a été impuissante, il aurait fallu appliquer la menace de Durruti: «prendre l’argent de la Banque d’Espagne.»
Ridel a manifesté son accord avec Daurat se définissant non comme antifasciste, mais comme anticapitaliste. Dans son discours Ridel rejeta autant les puristes que les collaborationnistes. Selon lui, la CNT pouvait se joindre dans la lutte à d’autres partis politiques, mais jamais avec les partis bourgeois ni dans un gouvernement bourgeois. Et enfin il affirma que:
«S’il est impossible que la classe ouvrière fasse seule la révolution alors la révolution est impossible».
La réunion se termina par plusieurs interventions de la majorité mettant en lumière les arguments suivants en faveur de la politique collaborationniste de l’anarchisme espagnol :
1. - Nous ne pouvons ni ne devons pas constituer un tribunal jugeant les camarades espagnols.
2. - Le manque d’armes et le poids des circonstances imposèrent la nécessité de collaborer avec d’autres partis et avec le gouvernement bourgeois dans la lutte contre le fascisme.
3. - Si en Mai 37 avait été proclamé le communisme libertaire, les anarchistes auraient été écrasés par les autres organisations et le gouvernement républicain.
4. - Il n’y a pas eu abandon des principes de la part de la CNT, il n’y a pas eu trahison de la part des ministres anarchistes, c’était la seule chose que l’on pouvait faire.
5. - Le repli adopté par l’anarchisme espagnol était préférable à son écrasement, il a permis la collectivisation des entreprises ce qui témoigna de la valeur des conceptions révolutionnaires anarchistes.
Au cours de la troisième session du congrès, l’action du Comité pour la liberté de l’Espagne a été examinée, il a été créé par l’UA en vue d’étendre et de renforcer la solidarité internationale antifasciste. Ridel et Guyard approuvèrent les travaux du Comité, objectant qu’il ne sanctionnait pas le nouvel organisme prévue (Solidarité Internationale Antifasciste (SIA)) et regrettant que les meetings du Vélodrome d’hiver se firent sans consigne commune. Le débat prit fin avec l’approbation de la création de la SIA.
Dans l’après-midi, il a été débattu de l’organisation de l’UA. Frémont fut chargé de l’ouverture du débat. Dans son discours, il a cherché à calmer les critiques de l’opposition en faisant valoir que l’organisation a toujours eu raison et que les désaccords sur certains aspects partiels devaient disparaître en face de l’adversaire:
«Même en cas de désaccord, la solidarité et l’esprit d’organisation nous amène à justifier publiquement les positions de la FAI.»
Le congrès prit fin par la victoire absolue des thèses défendues par la majorité, marquée cependant par une forte défense des dissidents Ridel, Daurat, Guyard et Carpentier et des critiques de la dérive du mouvement anarchiste espagnol, consignées alors par le congrès français de l’UA.
Au moins en France la critique ouverte de la position idéologique de l’anarchisme d’État a été possible, et a mis en lumière l’existence d’une opposition libertaire contre l’abandon des principes anarchistes et du collaborationnisme de la CNT-FAI. Cela n’a pas été possible en Espagne, où les comités dirigeants ont tenté d’expulser des Amis de Durruti, et en tout état de cause, ont abouti à leur ostracisme et à la clandestinité. En France, le débat fut seulement possible une fois que les anarchistes furent déchargés (comme l’a constaté Ridel au cours du congrès) des tâches gouvernementales.
Mais en tout cas le résultat fut similaire que ce soit en Espagne et en France: l’absolue marginalisation des dissidents par la majorité partisane du collaborationnisme avec les partis bourgeois, même au sein d’un gouvernement capitaliste.
En Février 1938, «Charles Ridel» (Charles Cortvrint) fonde avec «Luc Daurat» (Lucien Feuillade), la revue Révision. Dans cette revue anarchiste de théorie et d’analyse sont présentées et défendues les positions des Amis de Durruti, les dissidents du congrès purent développer leurs analyses sur la situation internationale, ainsi que sur des sujets intéressants la théorie politique, principalement sur la question de État.
Dans le premier numéro a été publié un manifeste signé par Maire-Louise Berneri, Suzan Broad, «Luc Daurat» (Lucien Feuillade), René Dumont (9), Greta Jumin, Marester, Jean Meier, Jean Rabaud, «Charles Ridel» (Charles Cortvrint) et Sejourne qui expliquaient les raisons qui rendaient nécessaire l’émergence de cette nouvelle revue. La revue fut considérée comme la plate-forme commune de jeunes révolutionnaires, ayant différentes convictions politiques, que ce soit des marxistes ou des anarchistes, d’accord sur la nécessité d’examiner et de critiquer les positions obsolètes, que ce soit le caractère opportuniste ou le puriste étroitement associé au mouvement anarchiste, que ce soit le sectarisme socialiste ou stalinien ou que ce soit l’hypercritique des différentes oppositions communistes. La revue, bien que se déclarant libertaire, était indépendante de toute organisation ou parti et fut considérée non seulement comme ouverte à la critique et à l’analyse de la réalité existante, mais aussi à la théorisation des expériences de la révolution russe et espagnole, ainsi qu’au phénomène fasciste en Italie et en Allemagne.
Le numéro 3 de la revue, daté d’avril 1938, a publié en monographie une étude collective des problèmes relatifs à l’État et à la révolution. Il s’agit d’une étude rigoureuse et très intéressant de la question de l’État et des problèmes posés par la révolution prolétarienne, en faisant une présentation critique des thèses socialistes, staliniennes et anarchistes. L’étude prit fin au numéro 4 de la revue. Comme partie à part de l’étude sur l’État et la Révolution est exposé le programme des Amis de Durruti qui, du fait de son intérêt exceptionnel, est reproduit dans son intégralité :
«Enfin, l’expérience espagnole mit à l’épreuve de la pratique l’ensemble de la doctrine anarchiste, elle a permis à l’organisation catalane: Les Amis de Durruti, la mise en place d’un programme simple et précis où l’on posait la question de savoir quels organes doivent répondre aux besoins de la guerre civile. Ce programme est très proche de la conception syndicaliste, d’autre part, il fait apparaître, pour la première fois, dans l’idéologie libertaire le concept concret d’un organe centralisé devant s’affronter aux dangers les plus urgents. »
Reproduit ci-après, comme Les Amis de Durruti l’ont publié (10):
«I - Constitution d’une Junte révolutionnaire ou d’un Conseil National de Défense. Cet organe sera composé comme suit: Les membres du Conseil révolutionnaire seront élus démocratiquement dans les organisations syndicales. Il prendra en compte le nombre de camarades au front qui doivent avoir nécessairement une représentation. La Junte ne s’immiscera pas dans les questions économiques, qui concernent exclusivement les syndicats.
Les fonctions du Conseil révolutionnaire sont les suivantes:
a) Diriger la guerre;
b) Assurer l’ordre révolutionnaire;
c) Relations internationales;
d) Propagande révolutionnaire.
Les tâches seront renouvelées périodiquement pour assurer que personne ne s’attache à celles-ci. Les assemblées syndicales exerceront un contrôle sur les activités de la Junte.
II - Tout le pouvoir économique aux syndicats. Les syndicats ont montré depuis juillet leur grand pouvoir constructif. S’ils n’avaient pas été relégués à un rôle secondaire, ils auraient eu un excellent bilan. Les syndicats construiront l’économie prolétarienne. Prenant en compte les modalités des syndicats d’industrie et des fédérations d’industries, mais ils pourront aussi créer un Conseil de l’économie avec l’objectif de mieux coordonner les activités économiques.
III - Municipalités libres. (...) Les municipalités sont responsables des fonctions sociales qui sont au-delà de l’orbite des syndicats. Et comment pouvons-nous construire une société purement de producteurs ? Ce seront les syndicats elles-mêmes qui nourriront les centres municipaux. Et comme il n’y aura pas d’intérêts divergents les antagonismes n’existeront pas.
Les municipalités se constitueront en fédérations locales, régionales et péninsulaire. Les syndicats et les municipalités établiront des relations au niveau local, régional et national.»
Les Amis de Durruti préconisent également une série de mesures telles que : la lutte contre la bureaucratie et les salaires anormaux ; pour la création d’un salaire familial; la socialisation de la distribution et le rationnement, le contrôle syndical des milices, l’organisation de la police par les syndicats; la socialisation agricole, une politique internationale basée sur les centres ouvriers à l’étranger et pour leur action : l’alliance entre les syndicats ouvriers des différentes tendances ; l’exclusion des bureaucrates, des arrivistes et la suppression des charges syndicales pour les partis politiques; le refus de collaborer avec les forces de la bourgeoisie et de l’État, et celui de renforcer de quelque façon que ce soit ces derniers.
Nous pensons qu’il s’agit du premier programme concret défendu publiquement par une tendance anarchiste, appliqué à une situation réelle et avec des slogans précis.»
En particulier, «Charles Ridel» a souligné le caractère syndical, ou si l’on veut anarcho-syndicaliste, du programme des Amis de Durruti. En outre lorsque Ridel fait allusion aux alliances syndicales aussi bien dans ses interventions au congrès de l’UA, que dans Révision, il semble faire référence à l’UGT. Et en cela, il fait une interprétation erronée de Balius, parce que Les Amis de Durruti, après Mai 37, savaient que l’UGT en Catalogne était une organisation syndicale stalinisée avec laquelle aucune alliance n’était possible. Lorsque Les Amis de Durruti parlent de syndicats, ils font normalement référence aux différents syndicats de branche (métallurgie, textile, alimentation, etc.) de la CNT et non à l’UGT.
Dans ce même numéro 4 de Révision apparaît une convocation pour le mercredi 6 avril 1938 à une conférence de Ridel à Paris sur «la position et le programme des Amis de Durruti». Nous pouvons affirmer alors, que «Charles Ridel», après le congrès de l’UA de novembre 1937, est devenu un propagandiste et un défenseur des positions et du programme des Amis de Durruti en France.
Le numéro 5 de Révision fut publié en juin-juillet 1938 et ne paraîtra plus pendant une année, en raison de la flambée des prix de l’impression, du reflux du mouvement ouvrier français et de la faiblesse du groupe éditeur.
Le 26 janvier, Barcelone tombe aux mains des troupes de Franco. En février, on assista au passage de la frontière française par des centaines de milliers d’exilés espagnols. Parmi eux, il y eut Jaime Balius qui, dans son évasion du camp de concentration de la Tour de Carol, a perdu une valise pleine de documents.
En août 1939, le numéro 6 de Révision publie des textes signés du Groupe franco-espagnol des Amis de Durruti. Le groupe était soutenu par les dissidents du congrès de l’UA et les éditeurs de la revue Révision, qui sympathisaient avec les positions des Amis de Durruti, tout en développant de très vives critiques au mouvement anarchiste officiel. Les militants les plus actifs et importants du groupe dissident étaient Lucien Feuillade et Charles Cortvrint qui comptaient également sur l’appui et la solidarité d’André Prudhommeaux, directeur de L’Espagne nouvelle.
Le numéro 6 de Révision parut avec le surtitre « courrier des camps de concentration « et publia des communiqués signés par le Groupe franco-espagnol des Amis de Durruti. En réalité tout le numéro était consacré à l’Espagne, aux conditions de vie des espagnols exilés dans des camps de concentration et à la manifestation de solidarité et de soutien du groupe éditeur à la défense du programme défendu pendant la guerre par les Amis de Durruti.
La revue se fait l’écho des discriminations du SIA contre les membres des Amis de Durruti, parce qu’ils avaient osé publier dans Le Réveil Syndicaliste un article critique contre les dirigeants anarchistes espagnols.
Les documents signés par le Groupe franco-espagnol (ou aussi : Regroupement franco-espagnol) des Amis de Durruti, sont les suivants:
1.- «L’évolution de la démocratie française» (en français).
2.- «Une nouvelle étape. Nous sommes ceux de toujours» (en espagnol).
3.- «La tragédie espagnole» (en espagnol).
A également été publié dans ce numéro, un «Document provisoire que la Commission des relations des camps de concentration envoya à la Représentation permanente des ex-Cortes républicaines espagnoles», publié en espagnol, qui donne son adhésion au Regroupement des Amis de Durruti ainsi qu’une série de lettres contenant de brèves nouvelles et d’articles rédigés en espagnol, qui apparaissent sans aucune signature.
Le fait le plus important de ce numéro de Révision, daté d’août 1939, est précisément la preuve de la formation du Groupe franco-espagnol des Amis de Durruti, en exil en France, bien que la déclaration de guerre de l’Allemagne, et par conséquent, la mobilisation générale au début du mois de septembre rendit impossible la continuité du Groupe.
De son côté, André Prudhommeaux décida de publier un numéro triple de L’Espagne nouvelle, avec comme sous-titre «L’Espagne indomptée», en date de juillet-septembre 1939 où apparaissent deux articles de Balius que nous analyserons dans le prochain chapitre. Dans ce numéro de L’Espagne nouvelle certains articles signés par AP (André Prudhommeaux), Ridel, Hem Day, Malander et Ernestan, très proche des positions critiques des Amis de Durruti, sont intéressants.
Est également publié en anglais un article intitulé « The Friends of Durruti accuse» signé du «Groupe franco-espagnol des Amis de Durruti», qui figure dans le numéro de juin-juillet 1939 de Solidarity, organe de l’Anti-Parlamentary Communist Federation (APCF) (11). La publication de l’article des Amis de Durruti est probablement due à Jane Patrick et Ethel MacDonald, qui durant son séjour en Espagne d’octobre 1936 à 1938, a défendu des positions critiques sur le collaborationnisme gouvernemental de la CNT-FAI.
En France et au Royaume-Uni, la guerre d’Espagne a conduit à un renouveau et un développement du mouvement anarchiste, mais également à l’émergence de positions politiques opposées, ils ont évoqué la nécessité de choisir entre le réformisme des collaborationnistes de la direction de la CNT officielle et les critiques révolutionnaires radicales des Amis de Durruti. Nous avons déjà vu qu’en France, cela a signifié l’expulsion du congrès de l’UA du secteur critique formé entre autre par Ridel et Carpentier; au Royaume-Uni, le processus a abouti à la scission du secteur anarchiste au sein APCF et à la formation de la Glasgow Annarchist-Communist Federation.
Dans les deux pays, André Prudhommeaux (12) a agi en tant que garant et diffuseur des analyses critiques des Amis de Durruti. C’est André Prudhommeaux qui a envoyé des copies de l’Amigo del pueblo à «Chazé» (13), qui l’a traduit et publié dans l’organe du groupe de l’Union Communiste, intitulé L’Internationale (il a également publié des textes de Josep Rebull encourageant la position de la gauche du POUM). C’est probablement, André Prudhommeaux qui a également envoyé les textes des Amis de Durruti à son amie Ethel MacDonald (14) qui ont été publiés dans Solidarity.
Réflexions de Balius en exil en 1939
Balius publia, en exil, deux articles dans la revue anarchiste française L’Espagne nouvelle (15). Le premier commémore le troisième anniversaire du 19 juillet et le deuxième est consacré à Mai 37.
Les deux articles sont le résultat d’une longue et mûre réflexion de Balius qui les signa en tant que «secrétaire des Amis de Durruti».
Ces deux articles se détachent par l’exactitude des termes utilisés et par l’accent mis sur les problèmes fondamentaux posés par la révolution espagnole. La pensée de Balius sur la question du pouvoir est donc présenté avec une grande clarté, ainsi que le rôle essentiel de la direction révolutionnaire, la nécessité de détruire l’État et de mettre en œuvre à sa place de nouvelles structures (dans ses précédents écrits, il s’agissait d’une junte révolutionnaire) capables de réprimer les forces contre-révolutionnaires.
Dans l’article intitulé «Juillet 1936: signification et portée» il critiquait ceux qui affirmaient que les journées de Juillet furent seulement le résultat de la lutte contre le soulèvement militaire et celui des fascistes, à savoir que «sans rébellion militaire il n’y aurait pas eu de mouvement populaire armé.» Balius, au contraire, fait valoir que cette conception a un caractère frontiste et est le résultat de la subordination de la classe ouvrière à la bourgeoisie républicaine qui fut la principale cause de la défaite du prolétariat. Balius nota le rejet par la bourgeoisie républicaine de l’armement des travailleurs pour lutter contre le soulèvement fasciste :
«A Barcelone même nous avons dû subir l’attaque contre le syndicat des Transports par les sbires de la Generalitat qui, quelques heures avant la bataille décisive, continuait de vouloir nous retirer les armes que nous avions prises à bord du Manuel Arnús, et que nous allions utiliser pour lutter contre les fascistes.»
Selon Balius la victoire sur l’armée se produisit seulement dans des endroits où les travailleurs se sont affrontés de façon décidée les armes à la main contre les fascistes, et sans aucun pacte quel qu’il soit avec la petite bourgeoisie. Là où, comme à Saragosse, les travailleurs hésitèrent ou pactisèrent, ce fut le triomphe des fascistes.
Le problème le plus important qui se posa en juillet 36 n’a pas été, d’après Balius, le triomphe des forces militaires dans certaines régions d’Espagne. Le problème le plus important s’est posé dans la zone républicaine : Qui prend le pouvoir, qui dirige la guerre? Il y avait seulement deux réponses : la bourgeoisie républicaine ou le prolétariat:
«Mais le problème le plus important se posait dans notre région. Il s’agissait de décider qui avait vaincu. Étaient-ce les travailleurs? Dans ce cas, la direction du pays nous appartenait. Mais, et la petite bourgeoisie? Voilà l’erreur.»
Balius affirme que la classe ouvrière, malgré tout, aurait dû prendre le pouvoir en juillet 36. C’était la seule garantie et la seule chance pour gagner la guerre :
«En Catalogne, la CNT et la FAI qui ont été l’âme du mouvement, auraient pu donner aux journées de juillet leur vraie couleur. Qui aurait pu résister? Au lieu de cela, nous avons permis au parti communiste (PSUC) de regrouper autour des opportunistes, la droite bourgeoise, etc. ... sur le terrain de la contre-révolution.
Dans de tels moments, c’est la tâche d’une organisation de prendre le pouvoir. Une seule pouvait le faire: la nôtre. [...] Si les travailleurs avaient réussi à être maîtres de l’Espagne antifasciste, la guerre était gagnée, et la révolution n’aurait pas subi, depuis le début, autant de déviations. Nous aurions pu gagner. Mais comment pouvions nous gagner avec quatre pistolets, nous avons perdu lorsque nous avions les arsenaux remplis d’armes. Il faut chercher les responsables de la défaite au-delà des assassins à la solde du stalinisme, au-delà des voleurs du type de Prieto, au-delà de canailles comme Negrín, et au-delà des réformistes habituels, nous sommes nous-mêmes les coupables pour ne pas avoir su éliminer toute cette racaille [...] Mais si nous sommes tous solidairement responsables, certains individus portent un fardeau particulièrement lourd. Ce sont les dirigeants de la CNT-FAI du fait de leur attitude réformiste en Juillet, et surtout, par leur intervention contre-révolutionnaire en Mai 37, ils ont barré la route à la classe ouvrière et donné un coup fatal à la révolution. »
Balius résolut de cette manière les milles doutes et les objections qui furent soulevées par les dirigeants anarchosyndicalisme en juillet 36 : sur la présence minoritaires des anarchistes en dehors de la Catalogne, sur la nécessité de maintenir l’unité antifasciste et sur les démissions constantes que la guerre imposait à la révolution. Balius a fait valoir que la victoire des anarchistes en Catalogne aurait pu conduire à un rapide écrasement du soulèvement fasciste dans toute l’Espagne, si le prolétariat avait pris le pouvoir. Selon Balius, l’erreur a été commise en juillet 1936 : ne pas prendre le pouvoir. Et de cette erreur est née la rapide dégénérescence et les difficultés de la révolution. La montée de la contrerévolution a été rendue possible en raison de cette erreur, qui fut le principal architecte du stalinisme. Mais Balius notait qu’il ne s’agissait pas de charger la responsabilité des staliniens et de la bourgeoisie républicaine, mais aussi celle des dirigeants anarchistes qui ont renoncé à la révolution prolétarienne en faveur de l’unité antifasciste, c’est-à-dire la collaboration avec la bourgeoisie, l’État et les institutions capitalistes.
Dans l’article consacré aux événements de Mai à Barcelone, intitulée «Mai 1937; date historique pour le prolétariat», Balius a qualifié les deux années consécutives à Mai 37 comme simple conséquence des journées révolutionnaires.
Selon Balius, Mai 37 n’était pas une protestation, mais une insurrection révolutionnaire et consciente du prolétariat catalan, qui avait remporté une victoire militaire et un échec politique.
L’échec est dû à la trahison des dirigeants anarchistes. Là encore, nous trouvons l’accusation de trahison, qui fut lancé à l’époque de Mai 37 par Les Amis de Durruti, bien que plus tard cette accusation sur L’ami du peuple fut retirée :
«Mais ici s’est manifestée la trahison de l’aile réformiste de la CNT-FAI. Répétant les négligences faites au cours des journées de Juillet, elle se trouve à nouveau aux côtés des démocrates bourgeois dans l’ordre de cessez-le-feu. Le prolétariat hésita à suivre ses consignes et fut indigné et, passant par-dessus l’ordre des dirigeants timorés, il continua de défendre ses positions. »
Balius présenta de façon suivante le rôle joué en Mai par Les Amis de Durruti:
«Nous, Les Amis de Durruti, qui nous battions à l’avant-garde, nous voulions éviter la catastrophe qui n’aurait pas manqué de s’abattre sur le peuple, s’il avait déposé les armes. Nous avons lancé le slogan de reprendre le combat et de ne pas interrompre la lutte sans conditions. Malheureusement, l’esprit offensif avait déjà été atteint et la lutte fut liquidée sans avoir atteint ses objectifs révolutionnaires. »
Balius, avec une grande force expressive, a mis en évidence le paradoxe de la victoire militaire du prolétariat et de sa déroute politique:
«Dans l’histoire de toutes les luttes sociales se fut la première fois que les vainqueurs se rendirent aux vaincus. Et sans même posséder la moindre garantie que serait respectée l’avant-garde du prolétariat, il procéda à la démolition les barricades ; la ville de Barcelone retrouva son aspect habituel comme si rien ne s’était passé.»
Balius, a déjà abandonné la phase d’insulte des dirigeants traîtres, qui n’expliquait rien, il analysa les journées de Mai comme le carrefour entre deux voies: soit la renonciation définitive à la révolution soit la prise du pouvoir. Et il expliqua le recul régulier des anarchistes, depuis Juillet, à la désastreuse politique de front populaire et d’alliance avec la bourgeoisie républicaine. Et aussi, comme conséquence du divorce existant au sein de la CNT entre la direction contre-révolutionnaire et sa base révolutionnaire. Mai 37 a échoué parce que les travailleurs n’ont pas trouvé de direction révolutionnaire :
«Le prolétariat se trouvait à un carrefour décisif. Il pouvait seulement choisir entre deux voies: soit se soumettre à la contre-révolution, ou s’apprêter à imposer son propre pouvoir, le pouvoir prolétarien.
Le drame de la classe ouvrière espagnole se caractérisa par le divorce le plus absolu entre la base et ses dirigeants. La direction a toujours été contre révolutionnaire. En revanche, les travailleurs espagnols se sont toujours situés très [...] en avant de ses dirigeants en ce qui concerne la vision des événements et de leur interprétation. Si ces héroïques travailleurs avaient trouvé une direction révolutionnaire, ils auraient écrits devant le monde entier une des plus importantes pages de leur histoire. »
Selon Balius en Mai de 37 le prolétariat catalan, AVAIT NOTIFIE A LA CNT DE PRENDRE LE POUVOIR :
«Le principal aspect des événements de Mai réside dans la décision inébranlable du prolétariat de chercher une direction à la tête de la lutte armée, de l’économie et pour l’existence tout entière du pays ce qui veut dire pour tous les anarchistes qui n’ont pas peur des mots, que le prolétariat a lutté pour le pouvoir en détruisant les organes de la vieille bourgeoise et en édifiant à sa place de nouvelles structures fondée sur les comités surgis en Juillet, et bientôt éliminés par la réaction et les réformistes. »
Dans ces deux articles Balius a soulevé la question fondamentale de la révolution et de la guerre civile espagnole, sans laquelle il est impossible de comprendre ce qui s’est passé: la question du pouvoir. Et en outre, il nommait les organes qui devaient incarner ce pouvoir et, par-dessus tout, il reconnaissait la nécessité de détruire l’appareil de l’État capitaliste pour reconstruire un pouvoir prolétarien à sa place. En outre, Balius indiquait comme échec de la révolution espagnole l’absence de direction révolutionnaire.
Certes, après la lecture de ces deux articles, il faut reconnaître que l’évolution de la pensée politique de Balius, basée sur l’analyse des riches expériences développées au cours de la guerre civile, l’a conduit à poser les questions tabous de l’idéologie anarchiste :
1. - nécessité de la prise du pouvoir par le prolétariat;
2. - inévitable destruction de l’appareil d’État capitaliste et la construction d’un autre, prolétarien;
3. - rôle essentiel de la direction révolutionnaire.
Les affirmations antérieures n’excluent pas l’existence d’autres aspects de la pensée Balius, peut-être secondaires, et qui ne sont pas traitées par ces articles, qui restent fidèles à la tradition de l’idéologie anarcho-syndicaliste :
1.- direction de l’économie par les syndicats;
2.- comités : organes du pouvoir prolétarien;
3.- municipalisation de l’administration, et ainsi de suite.
Il ne fait aucun doute que Balius, à partir des fondements idéologiques de l’anarcho-syndicalisme espagnol, a fait un énorme effort pour assimiler les expériences brutales de la guerre civile et de la révolution espagnole. Le mérite du Regroupement réside précisément dans cet effort pour comprendre la réalité et assimiler les expériences vivantes du prolétariat espagnol. Il était plus confortable d’être un ministre anarchiste qu’un anarchiste révolutionnaire. Il était plus facile de renoncer à sa propre idéologie, à savoir renoncer aux principes «à un certain moment» pendant les moments de vérité, pour les reprendre lorsque la défaite et l’histoire rendraient les contradictions irrelevantes. Comme l’ont fait Federica Montseny ou Abad de Santillan, parmi beaucoup d’autres. Il est plus facile à défendre l’unité antifasciste, la participation aux tâches de gouvernement d’un État capitaliste, la militarisation pour se soumettre à une guerre menée par la bourgeoisie républicaine que de s’affronter aux contradictions, et affirmer que la CNT doit prendre le pouvoir, que la guerre ne pouvait seulement être gagnée si c’était le prolétariat qui la dirigeait, qu’il était nécessaire de détruire l’État capitaliste, et surtout qu’il était nécessaire que le prolétariat crée les structures de son propre pouvoir, qu’il utiliserait la force pour réprimer la contre révolution, et qu’il était impossible de faire tout cela sans une direction révolutionnaire. QUE CES CONCLUSIONS FUSSENT OU NON ANARCHISTES, CELA IMPORTAIT PEU A CEUX QUI NE SE DEMANDAIENT PAS SI C’ÉTAIT ANARCHISTE DE SAUVER L’ÉTAT CAPITALISTE.
L’idéologie anarcho-syndicalisme a été soumise de 1936 à 1939 à une série de tests importants sur sa capacité, sa cohérence et sa validité. La pensée de Balius, et celle du Regroupement des Amis de Durruti, furent les seules tentatives théoriques valables (16) d’un groupe anarchiste espagnol pour résoudre les contradictions et l’abandon des principes qui caractérisaient la CNT et la FAI. Si l’effort théorique de Balius et du Regroupement les a amenés à adopter certains enseignements jugés comme non-anarcho-syndicalistes, peut-être serait-il nécessaire d’accepter l’échec de l’anarchisme comme théorie révolutionnaire du prolétariat ? Balius et le Regroupement n’ont jamais rien dit sur cela, et ils se sont toujours sentis anarchistes, tout en critiquant la défense du collaborationnisme d’État de la CNT. Ils se sont toujours opposés aux tentatives de leur expulsion de la direction cénétiste. Ils éviteront à tout prix de sortir de la CNT.
Nous n’osons pas qualifier cette position de cohérente ou contradictoire. La répression stalinienne qui s’abattit sur tous les révolutionnaires, après des journées de Mai, ne tomba pas sur le regroupement en tant que tel, bien que son local social fût fermé par la police et sa presse éditée clandestinement, car elle s’est généralisée à tous les militants cénétistes révolutionnaires (17). Cela permit, sans doute, d’empêcher une meilleure clarification théorique et la rupture organisationnelle, mais de toute façon nous ne croyons pas qu’elle se serait jamais produite.
Toutefois, nous reconnaissons que notre analyse est assez politique, subtile, incommode et problématique; il est beaucoup plus commode, arbitraire, académique et propre à l’historiette ou aux bandes dessinées en usage, de recourir au «deus ex machina » de l’entrisme et de l’influence trotskiste sur Balius et Les Amis de Durruti. Il est également très simple et commode d’accuser les dirigeants de traîtres, et la masse cénétiste de sots et d’incapables de s’opposer à la trahison, «qui explique tout.» Ridel a exposé sa déception dans un article intitulé «Pour repartir» qui résume de façon excellente ses critiques de l’anarchisme officiel et ses positions révolutionnaires, qu’il a publié dans «L’Espagne indomptée», numéro triple de L’ « Espagne Nouvelle » (numéros 67-69, juillet-septembre 1939).
C’était le début d’une réflexion prometteuse et un fructueux bilan des causes de la défaite des révolutionnaires dans la guerre d’Espagne. Comme Ridel l’a noté dans l’article déjà cité, il ne pouvait pas être fait par les dirigeants qui avaient donné la preuve d’avoir abandonné leurs principes, mais par les combattants de la base. La mobilisation militaire qui a suivi la déclaration de guerre, puis quelques mois après l’invasion nazie de la France, a éparpillé dans le monde entier les exilés sans moyens ni ressources nécessaires pour défendre et procéder au bilan de la défaite. Et, les appareils qui l’ont causé, ne le firent jamais.
C’est ainsi que les articles publiés dans Révision ou «L’Espagne indomptée» sont importants que ce soit ceux de Jaime Balius, de «Charles Ridel» ou d’André Prudhommeaux. Ce sont les seules ébauches de bilan de la défaite que les anarchistes révolutionnaires ont essayé de réaliser au cours de ces quelques mois écoulés entre la fin de la guerre civile espagnole et le début du deuxième carnage mondial. Personne n’a encore essayé de faire ce bilan (18).
Agustín Guillamón
(Traduction en français : Michel Roger)
NOTES
1. Cet article a été possible grâce à la précieuse collaboration et à l’extraordinaire courtoisie de Phil Casoar qui a découvert et nous a fourni cette documentation pertinente, ainsi que d’excellentes notes biographiques sur Mercier Véga, Feuillade et Carpentier. Cf. Plusieurs auteurs: Présence de Louis Mercier. Atelier de Création Libertaire, Lyon, 1999, en particulier les chapitres de Phil Casoar: «Avec la Colonne Durruti: Ridel dans la révolution espagnole» et Berry, David: «Charles Ridel et la revue Révision (1938-1939)».
2. Charles Cortvrint, né à Bruxelles en 1914, milite depuis l’âge de16 dans le mouvement anarchiste belge. Installé à Paris, il représente l’UA au congrès d’Orléans en 1933. Ses pseudonymes les plus connus sont Charles Ridel (utilisé en Espagne) et Louis Mercier Véga (qui l’a utilisé en exil au Chili) qui est devenu son surnom le plus connu, avec lequel il a signé plusieurs ouvrages. Il s’est suicidé le 20 novembre 1977 date anniversaire de la mort de Durruti.
3. Né à Reims en 1904, dans une famille ouvrière. Il a passé son enfance dans le Pas de Calais. Déporté avec son père en Allemagne pour dix ans, a terminé la Grande Guerre a travaillé dans le retrait des réservoirs de remplissage et les tranchées, puis dans les usines textiles, à la mine, au déchargement dans le port de Rouen, et ainsi de suite. A Paris dès 1924 il commença à fréquenter les anarchistes du Le Libertaire. Décédé en 1988.
4. Voir Le Libertaire n ° 574 et 575 (4 et 11 novembre 1937).
5. Meeting organisé par l’Union anarchiste le 18 juin 1937 au Vélodrome d’hiver à Paris où Federica Montseny et Juan Garcia Oliver intervinrent. À ce meeting le groupe trotskiste Union communiste a distribué un «manifeste», tract recueilli et mal compris par César Martinez Lorenzo, dans son livre : il en est fait état comme d’un « Manifeste d’Union Communiste» des Amis de Durruti et du POUM ce qui n’a jamais existé.
6. Cachin était un éminent dirigeant du PCF et Jouhaux le secrétaire de la CGT.
7. Il semble vouloir défendre la Junte révolutionnaire proposée par les Amis de Durruti et accepter la mise en place d’une dictature du prolétariat (démocratiques pour les organisations du prolétariat, et ennemis des partis bourgeois et staliniens) ; les comités révolutionnaires qui ont surgi en juillet 1936 ne sont pas pris comme fondement du pouvoir ouvrier, mais d’un gouvernement syndical, conformément à l’idéologie anarcho-syndicalisme.
8. Là encore nous sommes confrontés à une défense serrée des principes anarcho-syndicalisme. L’alternative proposée au collaborationnisme est un gouvernement syndical, une alliance CNT-UGT, sans tenir compte qu’en 1938, et en particulier en Catalogne, l’UGT n’est qu’une organisation stalinienne. Face à l’affirmation initiale d’un discours en faveur de la dictature du prolétariat (qui est la dictature de la classe contre les organisations contre-révolutionnaire, ce qui n’est pas la dictature d’un parti (stalinien) dictatorial, qui est pleinement démocratique en regard des organisations ouvrières révolutionnaires), on établit maintenant un conflit entre la dictature du prolétariat et l’anarchisme.
9. Il n’a rien à voir avec René Dumont, auteur de nombreux ouvrages sur l’économie, la démographie, l’écologie et l’agriculture, parmi lesquels L’Utopie ou la mort!
10. Publiée dans une brochure du regroupement des Amis de Durruti, rédigé par Balius «Vers une nouvelle évolution.» Il s’agit d’un fragment du chapitre intitulé «Notre programme».
11. Voir Class war on the home front ! Une brochure de Wildcat, Manchester, 1986 qui reproduit également l’article cité.
12. Voir la lettre d’André Prudhommeaux à «H. Chazé» [G. Davoust], dans Chazé, Henri : Chroniques de la Révolution espagnole. Union communiste (1933-1939), Spartacus, Paris, 1979, p. 116.
13 Les relations politiques entre André Prudhommeaux et Gaston Davoust, ainsi que l’échange de presse entre leurs groupes respectifs, étaient antérieures au début de la guerre d’Espagne, comme nous l’avons constaté dans la lettre adressée par André Prudhommeaux à Gaston Davoust le 25 mai 1935 et gracieusement mis à notre disposition par Henri Simon.
14 Sur Ethel McDonals on peut consulter la brochure de Hodgart, Rhona M.: Ethel MacDonald. Glasgow Woman Anarchist. Pirate Press/Kate Sharpley Library, s.l., s.d. (dont Paul Sharkey a aimablement bien voulu nous donner quelques photocopies).
15 «L’Espagne indomptée.», L’Espagne nouvelle, an III, numéros 67-69, Juillet-Septembre 1939.
16.- Le collaborationnisme a créé un grand malaise dans l’ensemble du mouvement libertaire. Après mai 1937 sont apparus avec El Amigo del Pueblo, plusieurs journaux libertaires clandestins: Alerta, Anarquía, Libertad y Liberación. En Catalogne, il y a eu séparation de fait des Jeunesses Libertaires en deux organisations distinctes. Les procès-verbaux des réunions de la Fédération locale (de Barcelone) des groupes anarchistes montrent que l’opposition aux dénommés «comités supérieurs» était majoritaire et en rupture absolue, mais il n’y eut jamais de concrétisation.
17. Ernö Gerö a impulsé dans le PSUC une politique de répression sélective qui respectait les cénétistes collaborationnistes, tout en poursuivant les anarchistes critiques et révolutionnaires. Voir le rapport de «Pedro» à Moscou, dans «Le NKVD et le SIM à Barcelone. Quelques informations de Gerö sur la guerre d’Espagne.» Balance. Cuadernos de Historia. Cahiers n ° 22 (2001).
18. Une tentative de bilan se trouve dans Guillamon, Agustin: Barricadas en Barcelona. La CNT de la victoria de Julio de 1936 a la necesaria derrota de Mayo de 1937. E