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théorie politique

La période de transition du capitalisme au communisme vue par le KAPD (1924)

Publié le 25 Novembre 2017 par pantopolis in philosophie politique

Principes fondamentaux de la production et de la distribution communiste, publiés par l'AAU, Berlin, 1930.

Principes fondamentaux de la production et de la distribution communiste, publiés par l'AAU, Berlin, 1930.

Les tâches de la classe ouvrière après s’être emparée du pouvoir politique

 

Pour des raisons tant objectives que subjectives, il est extrêmement important pour la mise en œuvre de la révolution ouvrière de clarifier, autant que faire se peut, les premières tâches que doit accomplir la classe ouvrière victorieuse. Jusqu’à présent, on a négligé dans la partie marxiste de la classe ouvrière combien cette clarté était nécessaire. D’autre part, les syndicalistes révolutionnaires des pays latins et leurs alliés les IWW (Ouvriers industriels du monde) dans la zone anglo-saxonne en donnent des descriptions très étendues, en particulier des mesures économiques, mais sans suffisamment clarifier les relations existantes entre pouvoir politique et faits économiques, surtout sans idées claires sur le cours de la révolution sociale, pour tout dire sur une base utopique.

Le but historiquement nécessaire de la révolution prolétarienne est finalement la réorganisation de la production. Mais les tâches de la classe ouvrière dans la révolution sont avant tout des tâches politiques. Seule la ferme possession du pouvoir politique permet à la classe ouvrière de réorganiser la production et de conduire la société au communisme.

Le pouvoir politique ne peut être conquis qu’en brisant la résistance désespérée des exploiteurs dans une lutte où tous les moyens seront utilisés. Si cette lutte tourne en faveur des ouvriers, l’appareil productif tombera dans les mains de la révolution victorieuse, mais inévitablement dans un sérieux état de désorganisation. Celui qui ne veut faire la révolution qu’en éludant ce problème – en d’autres termes, celui qui veut bien de la révolution mais sans en supporter les coûts –, celui-ci sabote en réalité l’émancipation de la classe ouvrière.

Les forces productives dont héritera le prolétariat, à l’époque historique de sa domination, seront déjà énormément développées. Mais l’appareil technique sera si désorganisé par l’autodestruction du capital sous l’effet de la crise et par la lutte des classes dans son stade suprême d’incandescence, la guerre civile, que la classe ouvrière a besoin de toute une période de transition pour convertir les opportunités, celles offertes par les moyens de production modernes, en réalités productives. Ce n’est qu’après une telle période de transition que la société disposera d’une richesse en produits, permettant de se transformer en une économie du travail solidaire pour la réalisation de ses besoins.

Les souffrances et les privations inévitables de cette période de transition, ainsi que la résistance et les tentatives de rébellion de la classe exploiteuse, créent des difficultés menaçant le prolétariat victorieux. Les souffrances et les difficultés de la période de transition produisent, dans les parties les moins conscientes de la classe ouvrière elle-même et dans toutes les couches idéologiquement rétrogrades de la petite bourgeoisie, des adversaires de la révolution, qui se mettent à la disposition du commandement de la bourgeoisie renversée – sous forme de gardes blancs et de bandits.

Les tâches les plus immédiates de la classe ouvrière victorieuse résideront donc dans le domaine du maintien et de la consolidation du pouvoir nouvellement acquis, le premier devoir de la dictature prolétarienne étant de préserver sa propre existence.

L’auto-préservation de la dictature prolétarienne ne peut se fonder que sur l’organisation des travailleurs révolutionnaires organisés dans les conseils révolutionnaires. Le devoir du KAPD devra être, au cours de la lutte pour l’établissement des conseils et pour la préservation de leur caractère purement révolutionnaire, celui d’utiliser toutes ses forces intellectuelles, morales et organisationnelles.

Les moyens politiques d’exercice du pouvoir, qui doivent être utilisés pour protéger la dictature prolétarienne résultent de la somme des expériences accumulées jusqu’à présent. Organisations politiques de la bourgeoisie et laquais de la bourgeoisie au sein de la classe ouvrière, parlements et partis parlementaires, syndicats, presse bourgeoise, tribunaux, appareil administratif : tous doivent doit détruits, pour autant que la lutte ne les ait pas déjà anéantis. Les conseils doivent créer un nouvel appareil administratif hors d’eux-mêmes. Au lieu du droit de classe bourgeois régnant jusqu’ici, un droit de classe prolétarien doit être appliqué, dont l’exercice doit être entre les mains des tribunaux révolutionnaires. Le contrôle de tous les habitants se poursuit en utilisant toute l’expérience technique de la police civile, mais en éliminant l’ancien corps de fonctionnaires. Désarmement complet de la bourgeoisie et armement des ouvriers révolutionnaires, tout cela se comprend aisément. Le regroupement des travailleurs en armes doit se réaliser en premier lieu dans les entreprises. Les grosses entreprises phares de la révolution, en tant qu’unités armées, doivent être et resteront aussi le noyau de l’Armée rouge.

Le pouvoir politique n’est rien cependant s’il ne peut s’appuyer sur la maîtrise des soubassements économiques les plus cruciaux. Voici les principaux secteurs économiques dont la maîtrise est essentielle pour la préservation du pouvoir politique de la classe ouvrière : les entrepôts alimentaires, les mines de charbon et de minerai, les mines de potasse, l’industrie d’armement de toute nature, y compris les usines chimiques, les centrales électriques, les transports, et tout particulièrement les chemins de fer, le réseau de télécommunications, les grandes imprimeries.

Pendant la lutte et dans la période qui suit immédiatement la victoire, la domination de tous ces secteurs économiques est plus importante que leur mise en exploitation. Tant que les organes de la dictature (les conseils) ne sont pas en mesure de surveiller avec une extrême précision le trafic ferroviaire dans leur région, wagon après wagon,  il est plus judicieux de commencer par se limiter au trafic dont la surveillance est possible, plutôt que de permettre – par un étalage de zèle – à  l’ennemi de classe opérant dans le pays de réaliser une concentration de ses forces ou moyens.

Les frontières territoriales où s’exerce la dictature prolétarienne – de par l’inévitable caractère international de la révolution ouvrière – ne peuvent être atteintes qu’à un moment précis. Choisir avec justesse ce moment est l’une des questions politiques les plus cruciales pour le pouvoir des conseils. Il est très vraisemblable que ces frontières ne coïncideront ni avec les frontières politiques actuelles ni avec les frontières linguistiques. Au contraire, sous la pression des relations économiques et des rapports de classe, elles seront, probablement tout un temps, en partie plus étroites, en partie plus larges. La révolution prolétarienne peut, sous certaines conditions au cours de son développement international, créer provisoirement des territoires entièrement nouveaux puis les détruire de nouveau en continu jusqu’à ce que le grand but soit atteint, et que de façon générale les frontières des pays disparaissent.

Sur cette voie, chaque vague montante de la révolution se traduira par la destruction des anciennes frontières territoriales et nationales; cependant, lors du reflux, il sera nécessaire, pendant un certain temps, de constituer et de verrouiller de solides frontières territoriales. La maîtrise absolue de frontières devenues nécessaires, la libre disposition et le plein contrôle sur elles, quels que soient les personnes et les biens qui peuvent circuler dans les deux sens, sont politiquement et économiquement vitales pour la dictature [prolétarienne]. Il est tout aussi important de désorganiser et de saboter par tous les moyens la défense politique et économique des frontières territoriales aux mains du capitalisme, et de déployer propagande et organisation, à partir des territoires gagnés à la révolution, dans les zones encore soumises au capital. Parce que la lutte de classe prolétarienne est internationale, elle ne peut emporter la victoire qu’à l’échelle internationale.

II.

La révolution de la classe ouvrière n’est pas un acte purement économique; encore moins se réduit-elle à n’être qu’un acte purement politique. La révolution de la classe ouvrière est plutôt dans la totalité de son déroulement un processus unitaire, politique et économique, où le politique ne peut jamais être absolument séparé de l’économique. Rejeter l’un de ces deux éléments revient toujours à dévier un temps du droit chemin de la révolution.

Dans l’ensemble, l’action politique sera finalement un moyen subordonné au but économique, un moyen sûr de se rendre soi-même superflu. Mais en particulier, les moyens politiques, c’est-à-dire les moyens de puissance (Machtmittel), doivent s’exercer souvent et inévitablement dans le domaine économique, et à vrai dire dans un sens qui semble d’abord contredire les besoins économiques. Le Manifeste communiste affirmait déjà :

Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’État, c’est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante, et pour augmenter au plus vite la quantité des forces productives.

Cela ne pourra naturellement se faire, au début, que par une violation despotique du droit de propriété et du régime bourgeois de production, c’est-à-dire par des mesures qui, économiquement, paraissent insuffisantes et insoutenables, mais qui, au cours du mouvement, se dépassent elles-mêmes et sont indispensables comme moyen de bouleverser le mode de production tout entier.

La Révolution russe ainsi que le cours de la Révolution allemande dans les années 1918-1923 ont montré que «le prolétariat organisé comme classe dirigeante», n’a absolument rien à voir avec l’État bourgeois, mais plutôt que l’organisation du prolétariat en tant que classe dirigeante peut seulement progresser au cours d’une lutte où l’État bourgeois est brisé et où à sa place surgit un État complètement différent (État des conseils). Le prolétariat ne peut s’ériger en classe dirigeante au sein des formes et de l’appareil dont la classe bourgeoise fait usage pour exercer sa domination. Aussi la centralisation des instruments de production dans les mains de l’État prolétarien des conseils n’a rien en commun avec celle des industries aux mains d’un État organisé dans les intérêts de la bourgeoisie, peu importe le costume revêtu par les conditions formelles d’une telle centralisation, nationalisation, «socialisation», peu importe qui et combien de soi-disant «représentants du prolétariat» peuvent siéger dans le gouvernement d’un tel État avec la casquette d’un prétendu «gouvernement ouvrier».

De façon générale, la domination des moyens de production ne commence pas par la centralisation, mais par le fait que le prolétariat «se servira de sa suprématie politique» pour «arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie». Cette tournure de phrase n’est pas une simple rhétorique dans le Manifeste communiste face au problème de la centralisation, mais relève du bon sens et a une réelle signification. Elle est une expression condensée du fait que la lutte n’est que partiellement achevée avec la conquête du pouvoir politique, qu’une seconde partie bien plus importante suit : la lutte pour la domination complète des moyens de production. 

Certes, historiquement, la lutte pour le pouvoir politique n’est pas complètement séparée de la lutte pour s’emparer des moyens de production, et nous avons déjà indiqué supra quels secteurs de moyens de production sont politiquement les plus importants pour cette lutte. Mais il faut s’attendre très certainement à ce que la victoire politique puisse être remportée plus rapidement que celle d’une domination achevée sur  l’ensemble des moyens de production.

Pour que le prolétariat en tant que classe puisse disposer de la production, il ne suffit pas de faire des décrets ni d’introduire toutes sortes de contrôles sur la mise en œuvre de ces décrets, mais il faut que la classe ouvrière en tant que telle (pas seulement ses instances politiques et ses précurseurs) arrache pour elle-même la domination de la production. Ce n’est que dans la mesure où cela réussit que l’on peut subordonner l’acquis à une réglementation centrale sans qu’elle soit assujettie à une nouvelle dictature et exploitation bureaucratique.

La conquête des moyens de production est donc un processus qui doit se dérouler dans chaque entreprise, usine après usine, mené par les équipes (Belegschaften) elles-mêmes. C’est seulement  lorsque la classe ouvrière en a pris conscience au cours de la lutte, qu’elle saisit les particularités et nécessités de la révolution prolétarienne; alors seulement elle se montre véritablement apte capable de mener son combat de manière révolutionnaire.

Le problème à la résolution duquel est liée l’heureuse mise en œuvre de la révolution ouvrière dans l’Europe industrielle, c’est la formation de la conscience de soi et de la conscience de classe (Ausbildung des Selbst- und Klassenbewusstseins) du prolétariat. La phrase «l’émancipation de la classe ouvrière ne peut être que l’œuvre de la classe ouvrière elle-même» signifie, entre autres choses, que la classe ouvrière doit prendre conscience de ses tâches historiques en tant que vecteur de la production. Pour cette raison, la classe ouvrière ne peut accomplir la partie économique de la révolution – dont dépend l’existence même de la victoire politique – que si, massivement, du moins au cours de la lutte, elle comprend les indispensables mesures économiques à prendre par elle-même en descendant jusqu’au niveau de chaque entreprise. Inversement, de telles mesures ne peuvent avoir un réel impact révolutionnaire que si elles peuvent être comprises par la grande masse des travailleurs, mises en forme par eux à partir de leurs expériences concrètes dans la production, et finalement converties en réalité.

Sur l’importance future en étendue de la fraction du prolétariat en Allemagne qui  – comme avant-garde – remportera les premières victoires de la révolution, nul ne peut se prononcer aujourd’hui avec certitude. Ce qui est certain, cependant, c’est que cette avant-garde dirigeante doit de toute urgence avoir la préoccupation que les masses ouvrières les plus larges agissent consciemment et activement dans le domaine de la production. La production industrielle est le terreau de la classe ouvrière moderne; elle est la pépinière de la révolution; c’est ici – par-delà toutes les divisions politiques – que prend vie et germe l’instinct révolutionnaire de tout ouvrier; c’est ici que les masses les plus larges – après le premier choc – savent le mieux ce qu’elles ont à faire. Bien des erreurs qui ont été commises dans ce domaine au cours de la Révolution allemande ne pouvaient naître que du fait que les ouvriers sentaient que cela ne posait pas sérieusement la question de l’anéantissement de la bourgeoisie. Tous les débats sur la socialisation de ces dernières années – pour autant que les travailleurs y aient participé – ont surgi seulement de l’embarras à vouloir faire quelque chose, malgré l’attitude contre-révolutionnaire clairement ressentie de la direction politique[1]. Plus la direction politique d’une révolution comprend de manière vigoureuse et intraitable comment faire avancer les événements, plus l’avant-garde décidée des combattants de classe fera comprendre clairement par ses actions, qu’il n’y aura pas de retour en arrière – et d’autant plus tous les travailleurs sauront ce qui doit se passer dans leurs entreprises.

 

[1] Allusion à la politique menée par les chefs de la social-démocratie et des syndicats pour concentrer toute l’attention du prolétariat allemand sur la possibilité d’une nationalisation des secteurs clefs de la production, comme les mines, etc. Dans la Ruhr, cette politique de «distraction» du prolétariat échoua : la Reichswehr et les corps francs marchèrent sur la Ruhr en 1919 pour briser la colère des ouvriers qui voyaient leur situation s’aggraver de jour en jour.

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