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théorie politique

Pannekoek : Marxisme et darwinisme. A propos d'une édition en français par Patrick Tort et alii

Publié le 23 Mai 2018 par Philippe Bourrinet in philosophie politique

Homo darwinus politicus : homme adhérant instinctivement à l'ordre social capitaliste ("instincts sociaux")

Homo darwinus politicus : homme adhérant instinctivement à l'ordre social capitaliste ("instincts sociaux")

Le fichier Pannekoek Marxisme et darwinisme, non saucissonné.

Marxisme et/ou darwinisme? Pannekoek et Darwin

 

La Gauche hollandaise, par la plume de Pannekoek, s’est attachée à faire la critique de la dernière expression du matérialisme bourgeois, le darwinisme, qui s’appuyait sur les travaux de Charles Darwin, mais dans le seul but de consolider l’existence de l’ordre social capitaliste.

 

Dans son livre The Origin of Species, paru en 1859, Darwin opérait un véritable renversement copernicien. De même que la Terre n’était plus au centre de l’univers depuis la Renaissance[1], l’homme cessait d’être le couronnement de la création divine, même lorsque «Dieu» eut chassé Adam et Ève du paradis originel. La Bible imaginait une création «raisonnée». Avant que l’homme et la femme ne folâtrent dans le «paradis terrestre», les végétaux, les animaux avaient reçu l’ordre de se reproduire «selon leur espèce». Cette expression revient dix fois dans le chapitre sur la Création, témoignant d’une «invariance» des espèces conçues sub specie aeternitatis dans les cartons du génial Concepteur. L’homme par contre, était hors du monde naturel, s’élevant métaphysiquement au-dessus des animaux : «Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, mâle et femelle il les créa».

 

Avec Darwin, l’homme cessait de s’élever vers la transcendance et chutait au centre de la matière en se découvrant une ascendance commune avec les primates. L’homme n’était ni une exception du monde vivant, ni une créature miraculeusement apparue il y a près de 6.000 ans. Avec l’Origine des espèces, homme devenait une humble espèce animale, ayant évolué au moins sur une centaine de milliers d’années, comme le démontrait la découverte en 1856, près de Düsseldorf, de restes préhistoriques de l’homo neerdanthalensis, premier homme fossile à être reconnu. L’homme perdait ainsi toute son arrogance métaphysique[2].

 

Inutile de dire que l’Origine des espèces, parue en 1859, sema la panique chez les tenants du créationnisme de toute espèce et fut l’objet de condamnations multiples. L’Église catholique, à son habitude, après quelques décennies de demi-silence et de chuchotements désapprobateurs, finit pas s’adapter aux découvertes scientifiques les plus dérangeantes[3]. Pour les créationnistes protestants-évangélistes et/ou musulmans, la théorie de la sélection naturelle et de l’évolution de Darwin demeure toujours un éternel objet de scandale, condamné comme «athéisme» ou «mécréance» et destiné aux flammes de l’enfer. En effet, l’alliance de la religion et de l’État constitue un socle de granit, sur lequel trône une classe dominante qui exige la soumission absolue à la Sainte Trinité : Dieu, Capital et État[4].

 

On comprend que les fondateurs du matérialisme historique aient manifesté un enthousiasme réel pour l’apport scientifique de Charles Darwin, au moment où Marx poursuivait la rédaction du Capital, qui étudiait les lois du surgissement, de l’évolution et du déclin du mode de production capitaliste.

 

Marx s’était d’abord (1861) enthousiasmé pour Darwin, considérant qu’il s’agissait d’un véritable support de la révolution prolétarienne qui sapait toutes les bases de la métaphysique, où Dieu apparaissait comme l’Alfa et l’Omega de l’univers :

 

L’ouvrage de Darwin [L’Origine des espèces][5] est extrêmement important et me convient comme soubassement scientifique de la lutte des classes historique. Naturellement, il faut prendre son parti du manque de finesse typiquement anglais du développement. Mais, malgré toutes ses insuffisances, c’est dans cet ouvrage que, pour la première fois, non seulement un coup mortel est porté à la «téléologie» dans les sciences de la nature, mais, quen outre, le sens rationnel de celle-ci est exposé empiriquement[6].

 

 Mais, plus tard (1869), Marx avait émis les plus expresses réserves sur le «mouvement darwiniste» :

 

Darwin a été amené, à partir de la lutte pour la vie dans la société anglaise – la guerre de tous contre tous, bellum omnium contra omnes –, à découvrir que la lutte pour la vie était la loi dominante dans la vie animale et végétale. Mais le mouvement darwiniste, lui, y voit une raison décisive pour la société humaine de ne jamais se libérer de son animalité...[7].

 

Dans une lettre à Lavrov datée des 12-17 novembre 1875, Engels renchérissait :

 

Toute la doctrine darwiniste de la lutte pour la vie est simplement la transposition de la société dans la nature animée, de la doctrine de Hobbes sur le bellum omnium contra omnes et de la doctrine économico-bourgeoise de la concurrence, jointes à la théorie démographique de Malthus. Une fois exécuté ce tour de passe-passe (dont je conteste la légitimité absolue, comme je l’indique dans le point 1, notamment en ce qui concerne la théorie de Malthus), on retranspose ces mêmes théories de la nature organique dans l’histoire et l’on prétend alors avoir démontré leur validité en tant que lois éternelles de la société humaine. Le caractère enfantin de ce procédé saute aux yeux, pas besoin de gaspiller les mots sur ce sujet [8].

 

Plus tard, en 1886, le gendre de Marx, Paul Lafargue, dans son pamphlet La Religion du Capital, imagina cette féroce prosopopée du néo-darwinisme qu’il se garda bien de mettre dans la bouche de Darwin, mais dans celle de Herbert Spencer (1820-1903), un disciple ultralibéral, partisan de la «sélection des plus aptes», dans le but de créer une «race supérieure», celle de l’Übermensch capitaliste :

 

Notre savante théorie de l’évolution prouve que l’infériorité sociale des ouvriers est aussi fatale que la chute des corps, qu’elle est la conséquence nécessaire des lois immuables et immanentes de la Nature, nous démontrons aussi que les privilégiés des classes supérieures sont les mieux doués, les mieux adaptés, qu’ils iront se perfectionnant sans cesse et qu’ils finiront par se transformer en une race nouvelle dont les individus ne ressembleront en rien aux brutes à face humaine des classes inférieures que l’on ne peut mener que le fouet à la main[9].

 

La publication de la brochure Marxisme en darwinisme (1909) de Pannekoek[10] – publiée en néerlandais et traduite bientôt en plusieurs langues, en premier lieu en allemand (1909)[11], puis en estonien, anglais et ukrainien – était une œuvre de parti, publiée par la social-démocratie aux Pays-Bas et en Allemagne. Elle faisait un état des lieux de la difficile cohabitation entre marxisme et darwinisme, pour les 100 ans de la naissance du fondateur de la théorie de l’évolution.

 

Cet opuscule de 44 pages est considéré – surtout par ses adversaires ! – comme le travail marxiste majeur de Pannekoek avant sa prétendue dégénérescence «ultragauche» des années 1920 et 1930, sous l’effet d’un antiléninisme/antistalinisme viscéral[12]. Nous pensons que cette contribution doit être pesée et soupesée de façon critique dans toutes ses implications théoriques.

 

Au nom de la social-démocratie, Pannekoek saluait l’apport de Darwin, qui – comme Copernic – avait opéré un «renversement dans la conception du monde des grandes masses». Doctrine de l’impermanence, de la mutabilité et non de l’invariance de la vie biologique, la théorie du développement des espèces, comme le marxisme, était «devenue le fondement de la vision du monde des couches populaires les plus larges»[13]. Véritable révolution copernicienne, la théorie de l’évolution brisait la vision d’une éternité de «l’âme humaine», d’essence quasi-divine. Sans doute, Aristote l’avait-il déjà pressenti en affirmant déjà que l’homme est «un animal politique» (zoôn politikon)[14]. Mais, souligne Pannekoek, avant d’être un être social

 

[…] l’homme est également un animal. L’homme s’est développé à partir de l’animal et les lois qui valent pour le règne animal ne peuvent pas d’un seul coup être invalides pour l’être humain[15].

 

[1] Le livre De revolutionibus orbium coelestium (Des révolutions des sphères célestes) de Nicola Copernic est achevé vers 1530 et publié en 1543, l’année de sa mort. L’ouvrage était dédié au pape Paul III. Il fut mis à l’index en mars 1616, après que le pape Paul V, présidant le Tribunal du Saint-Office eut décrété : «La doctrine attribuée à Copernic que la Terre se meut autour du Soleil et que le Soleil se tient au milieu du monde sans se mouvoir du levant au couchant, est contraire aux Écritures saintes, et par suite on ne peut ni la défendre ni la soutenir». Il fallut attendre 1757 pour que l’ouvrage, qui sapait les bases du géocentrisme ptoléméen, cessât d’être condamné par l’Église catholique.

[2] «L’homme dans son arrogance se croit une grande œuvre digne de l’intervention d’un dieu. Il est plus humble et je pense plus vrai de le considérer comme créé à partir des animaux». Cette phrase de Darwin a été couchée dans le Carnet «C» en 1839 [Ronald W. Clark, The Survival of Charles Darwin: A Biography of a Man and an Idea, New York, 1984, p. 178].

[3] Le jésuite Jorge Mario Bergoglio, élu pape le 13 mars 2013, et qui a choisi le nom de François, a pu ainsi déclarer, devant l’Académie pontificale en octobre 2014 : «Quand nous lisons le récit de la Création dans la Genèse, nous risquons de prendre Dieu pour un magicien brandissant sa baguette magique. Mais il n’en est pas ainsi. Il a créé les êtres humains et les a laissé se développer selon des lois internes qu’il a donné à chacun pour qu’ils puissent pleinement s’accomplir».

[4] La Turquie du président de la République Erdoğan a aboli l’enseignement de la théorie de l’évolution dans le secondaire, nouveau signe de l’islamisation rampante de la société par le haut, où l’enjeu est la reconstitution de l’ancien Empire ottoman et du califat islamique aboli en 1924. Aux USA, le vice-président Mike Pence, qui seconde Donald Trump, est un «évangéliste catholique» (sic), partisan du créationnisme.

[5] Charles Darwin, L’Origine des espèces [dernier tirage revu par Darwin en 1876], traduction d’Aurélien Berra, sous la direction de Patrick Tort, coordination de Michel Prum, Institut Charles Darwin International, Champion, Genève, 2009.

[6] Cf. Lettre de Marx à Lassalle du 16 janvier 1861 (Citée par Buican 1987, p. 98).

[7] Lettre de Marx aux époux Lafargue, 15 février 1869.

[8] Lettre d’Engels à Piotr Lavrov, 12-17 novembre 1875, in Marx–Engels, Ausgewählte Briefe, Stuttgart, 1953, p. 356.

[9] La religion du Capital, Bibliothèque socialiste de l’agglomération parisienne du Parti ouvrier, Paris, 1887 (Lafargue 2013, p. 9-10). L’article de Spencer, intitulé «The coming slavery» venait d’être publié dans Contemporary Review d’avril 1887.

[10] Il en existe une traduction en français sous forme électronique, publiée sur le site web «La Bataille socialiste» : http://bataillesocialiste.wordpress.com/documents-historiques/1912-darwinisme-et-marxisme-pannekoek. Signalons une édition récente : Patrick Tort (commentateur-gloseur-linguiste darwinien, traducteur du néerlandais) et Anton Pannekoek, relégué au rang de co-auteur secondaire : Marxisme et Darwinisme [Patrick Tort et Anton Pannekoek 2012]. [Précisons que cette édition à partir du néerlandais a été établie avec l’apport de certains docteurs ignorantins du CCI]. Le texte limpide de Pannekoek disparaît littéralement sous la montagne de gloses de ce spécialiste de Darwin. P. Tort s’instaure auteur principal d’un livre dont la seule «téléologie» est de proclamer à la face du monde (universitaire) qu’il est l’authentique et unique diffuseur de la théorie et de l’«Éthique» darwiniennes. Celle-ci, selon lui, s’incarnerait dans The Descent of Man and Selection in Relation to Sex (1871).

[11] Marxismus und Darwinismus. Ein Vortrag von Ant. Pannekoek, Verlag der Buchdruckerei AG, Leipzig, 1909 et 1914 (2e édition, nettement améliorée).

[12] C’est la thèse de Lilian Truchon qui oppose le «bon» Pannekoek de 1909, encore «révolutionnaire» (sic), au «très mauvais» Pannekoek de 1938 qui osa définir l’URSS, «patrie socialiste» si chère aux Éditions Delga, comme capitaliste d’État.

[13] «Damit haben sie die Entwicklungslehre zur Grundlage der Weltanschauung der weitesten Bevölkerungskreise gemacht». La traduction que nous donnons se base sur l’édition allemande de 1914.

[14] «La cité fait partie des choses naturelles, et l’homme est par nature un animal politique, et celui qui est sans cité – naturellement et non par le hasard des circonstances – est soit un être dégradé soit un être surhumain» (Politika, I, 2).

[15] Pannekoek 1914, chap. 6 : «Naturprinzip und Gesellschaftslehre».

Mais Pannekoek rejetait avec vigueur toute prétention à faire de la doctrine de Darwin la base biologique de la lutte des classes. Tout en montrant que «marxisme et darwinisme formaient une unité», sur le plan du matérialisme, il soulignait leur différence de nature, si ce n’est leur incompatibilité quant à leur praxis :

 

Le darwinisme et le marxisme sont deux théories distinctes. L’une vaut pour le monde animal, l’autre pour la société. Elles sont complémentaires en ce sens que le monde animal se développe suivant les règles du darwinisme jusqu’à l’homme et que, à partir du moment où les hommes s’élèvent au-dessus du monde animal, le marxisme devient la loi du développement ultérieur. […] Le marxisme et le darwinisme doivent l’un et l’autre s’en tenir à leur domaine respectif; ils sont indépendants l’un de l’autre et il n’y a pas de lien direct entre eux[1].

 

Si le mérite de Darwin fut d’avoir découvert «le mécanisme du développement animal»,  celui de Marx fut d’avoir démontré que le développement humain n’était pas un simple «mécanisme», mais le produit d’une histoire «dans la société humaine», où l’outil et le langage ont démultiplié les possibilités cognitives de l’espèce humaine, et donc sa capacité à transformer le monde naturel et vivant.

 

Reprenant une distinction faite par Arthur Schopenhauer entre l’homme et l’animal[2], Pannekoek «libérait» l’homme de sa férocité animale en le dotant d’une essence double, autant rationnelle que morale, même si le ‘rationnel’ pouvait souvent être totalement ‘immoral’ :

 

L’homme n’est pas une bête féroce. En tant qu’être libre, moral, s’assignant un but plus élevé, il doit abolir l’action immodérée de la loi naturelle. Il peut adoucir ce combat et substituer un ordre mondial rationnel et moral à celui de l’animalité[3].

 

Pour appuyer cette assertion, Pannekoek s’appuyait sur l’ouvrage majeur de Darwin, La Descendance de l’homme[4], mais aussi sur Kant, sans d’ailleurs évoquer son nom. Darwin, en effet affirmait que sa théorie qui valait pour le monde naturel animal comme pour le monde social humain démontrait l’existence d’une morale solidariste chez l’homme, qui était instinctive ou innée, et reposant sur la fidélité et l’obéissance :

 

Le sens moral […] le plus noble attribut de l’homme […] le pousse à risquer, sans hésitation, sa vie pour celle d’un de ses semblables. […] Il est probable qu’il reçoit héréditairement une tendance à la fidélité envers ses semblables et à l’obéissance envers le chef de la tribu, qualités communes à la plupart des animaux sociables. […] Notre instinct de sympathie nous pousse à secourir les malheureux; la compassion est un des produits accidentels de cet instinct que nous avons acquis dans le principe, au même titre que les autres instincts sociables dont il fait partie[5].

 

Darwin transformait ainsi l’être humain en un être moral idéal, doué d’«amour et de sympathie», de sentiments d’ailleurs largement partagés par les animaux les plus sociables. Mieux, Darwin faisait cette étonnante proclamation kantienne :

 

Je ne veux point violer dans ma personne la dignité de l’humanité[6].

 

Cette proclamation très humaniste pour une époque où régnait la course impitoyable au profit s’accompagnait aussi d’une réhabilitation des «sauvages» ou «barbares». Darwin notait que «toutes les nations civilisées descendent de peuples barbares». Bien plus, avant que cette thèse triomphe à la fin du XXe siècle, il affirmait que qu’il était «probable que nos ancêtres primitifs ont vécu sur le continent africain plus tôt que partout ailleurs»[7].

 

Dans une citation isolée, Darwin s’élève même contre toute forme d’idéologie raciste, en parlant de «prétendues races humaines», qui proviennent en fait d’une «souche primitive unique»[8].

 

C’est donc une vision totalement opposée à celle d’Ernst Haeckel qui défend une classification raciste et polygéniste dans son «tableau taxinomique des douze espèces et des trente-six races humaines». Haeckel, pangermaniste, justifie ainsi «l’extinction totale» de groupes humains, comme les Hottentots : «Nul peuple aux cheveux crépus n’a eu de véritable histoire»[9].      

 

Cette compassion pour les plus faibles dans une époque finalement barbare a été transformée par certains darwiniens en ‘morale du cœur’, réhabilitant «les défavorisé[10]. Sans tenir compte de l’ère génocidaire que le colonialisme et l’impérialisme ont initiée depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, pour culminer au XXe siècle, ceux-ci élaborent une eschatologie de la vertu morale triomphante :

 

Au sein de l’humanité, (on observe) l’émergence et la victoire tendancielle des conduites altruistes et solidaires face à la loi antérieure de la concurrence[11].

 

La compassion darwinienne a vite trouvé ses limites avec l’idéologie brutale de la nation capitaliste. C’est Darwin lui-même, et pas seulement ses épigones darwinistes, qui se laisse aller à exalter l’impérialisme colonial britannique, parangon de la vertu civilisatrice :

 

Comme colonisateurs, les Anglais ont manifesté une supériorité remarquable par rapport à d’autres nations européennes[12].

 

Jetant un œil d’anthropologue sur ses concitoyens irlandais catholiques, qui subissaient l’oppression de l’Empire victorien, Darwin distillait des préjugés racistes, n’hésitant pas à parler de «race inférieure» :

 

Les Irlandais, malpropres, sans ambitions et insouciants se multiplient comme des lapins. […] C’est une race inférieure et la plus défavorisée qui aura prévalu[13].

 

La ‘morale du cœur’ darwinienne s’inscrivait sur une carte du tendre, où les classes privilégiées, nécessairement «les plus intelligentes», se plaçaient au centre d’un ‘cercle vertueux’ national, où triomphait l’«excellence» des gentlemen :

 

[…] les membres les plus intelligents finissent par l’emporter dans le cours des temps sur les membres inférieurs de la même communauté et laissent des descendants plus nombreux (sic); or c’est là une forme de la sélection naturelle. […]  [C’est un] haut degré d’excellence, pratiqué par les hommes les plus distingués (sic), incorporé dans les lois, les coutumes et les traditions de la Nation, et exigé par l’opinion publique[14].

 

On notera que Pannekoek, qui a lu attentivement l’ouvrage de Darwin La Descendance de l’homme et a fait sienne sa doctrine des «instincts sociaux»[15], n’évoque pas ces préjugés de Darwin sur les Irlandais et les «races inférieures» –  amenées à disparaître de la surface de la Terre[16] –, ainsi que sur son adhésion zélée à l’idéologie des «gentlemen» britanniques («les plus distingués»).

 

Il s’agit d’abord pour Pannekoek d’opposer une doctrine darwinienne plus humaine à la sauvagerie assumée du darwinisme social et de les rendre en quelque sorte étanches l’un à l’autre.

 

[1] Ibid., chap. 6 et 9 Souligné par nous.

[2] Pannekoek ne cite pas d’ouvrage précis de Schopenhauer. Il fait sans doute référence à la fameuse proclamation du philosophe : «L’homme est un animal métaphysique» (Le Monde comme volonté et comme représentation, PUF, Paris, 1966, p. 850).

[3] «Der Mensch ist keine Bestie. Als freies, sittliches Wesen, das sich höhere Ziele setzt, muss er das zügellose Walten dieses Naturgesetzes aufheben. Er kann den Kampf mildern und eine vernünftige, moralische Weltordnung an die Stelle der tierischen setzen» [Chap. 5 : «Der Darwinismus gegen den Sozialismus»]. Le soulignement en gras est de nous. Pannekoek nie ici que l’homme soit aussi un prédateur (Bestie, bête de proie).

[4] Traduit aussi par La Filiation de l’homme. Nous nous référons à l’édition française de 2006 publiée par L’Harmattan.

[5] Darwin, ibid., p. 103, 116, 146. Les italiques sont de nous.

[6] Darwin, ibid. La citation correcte est celle-ci : «Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne d’autrui, toujours en même temps comme fin, jamais simplement comme moyen» [Fondations de la métaphysique des mœurs, Flammarion, 1994, p. 108].

[7] Darwin, ibid., p. 157 et 169.

[8] Darwin, ibid., p. 189.

[9] Haeckel, Histoire de la création des êtres organisés d’après les lois naturelles, 1922, p. 518-519. La première édition (1868) paraît avant La descendance de l’homme (1871).

[10] Patrick Tort, co-éditeur (avec le CCI) de la traduction Darwinisme et marxisme, se risque à écrire que la ‘morale’ darwinienne est une «morale de la réhabilitation des faibles et de l’aide aux défavorisés» (op. cit., p. 19).

[11] Patrick Tort, article «Instincts sociaux», Dictionnaire du darwinisme et de l’évolution, PUF, 1996, tome II. Souligné par nous.

[12] Darwin, op. cit., p. 150. Darwin donne dans le même ouvrage l’exemple de la Tasmanie, évoquant «la fameuse chasse aux sauvages, à laquelle prirent part tous les colons, et il ne restait plus que 120 Tasmaniens qui firent leur soumission entre les mains des autorités anglaises et à qui on voulut bien accorder la vie» (op. cit., p. 201).

[13] Ibid., p. 150.

[14] Ibid., p. 155.

[15]  Pannekoek 1914 : «Ces instincts (sociaux) se seront d’abord développés sous l’effet de l’habitude et de la nécessité. Ces instincts deviennent les traits les plus saillants, les plus décisifs, pour décider de qui l’emportera dans la lutte pour l’existence» [chap. 7 : «Das gesellschaftliche Zusammenleben»].

[16] «Dans quelque période future, pas trop éloignée si l’on compte en siècles, les races civilisées de l’homme extermineront et remplaceront presque certainement les races sauvages dans le monde entier» [The Descent of Man, New York, 1874, p. 178].

À ce point de son analyse, Pannekoek semble revenir – via cette doctrine des «instincts sociaux» naturels, qui relève ici plus de l’analyse phénoménologique que de la démonstration scientifique irréfutable[1] – à un cadre kantien hérité de la philosophie des Lumières. Pannekoek proclame : «alle Menschen Brüder sind» [«tous les hommes sont frères»][2]. Il estime que le sentiment cosmopolite et collectif, même en devenir, est universel, voire «éternel», d’autant plus que croissent les sentiments sociaux,  autrement dit les sentiments classistes :

 

Si nous considérons notre propre époque, nous constatons que l’humanité tout entière forme de plus en plus, sur le plan économique, une unité, même si celle-ci demeure très lâche. […] Il existe un sentiment de citoyenneté du monde (Weltbürgerschaft), fût-il très abstrait, qui s’étend sur tous les peuples civilisés. Beaucoup plus fort est le sentiment d’appartenance nationale, surtout chez la bourgeoisie, parce que les nations sont des associations bourgeoises rigides, se combattant mutuellement […] Les sentiments les plus forts sont les sentiments sociaux à l’égard des membres de la même classe, parce que les classes sont les véritables unités sociales […] Les membres individuels d’un groupe ou d’une tribu meurent, mais l’ensemble est pour ainsi dire éternel[3].

 

L’analyse de Pannekoek, sur le plan du matérialisme historique, semble reposer sur des connaissances floues, voire des préjugés liés à son aire géographique d’appartenance. Pour Pannekoek, l’humanité à la fin de l’Antiquité semble se réduire au monde méditerranéen, en ignorant superbement le monde chinois et le monde indien avec lequel commerçait depuis longtemps l’Empire romain :

 

[…] à la fin de de l’Antiquité, nous trouvons toute l’humanité alors connue rassemblée autour de la Méditerranée, formant une unité dans l’Empire mondial de Rome[4].

 

Tout aussi approximative était son analyse du Moyen Âge, qu’il considère comme un bloc immuable du VIIe au XVe siècle. Toute cette période, pour Pannekoek, est purement féodale et reste arriérée jusqu’à la fin du point de vue de l’outillage. Socialement, les deux classes existantes dominantes étaient, selon lui, la noblesse et la petite-bourgeoise (Kleinbürgertum), ignorant le capitalisme bancaire et industriel en plein développement en Italie et en Flandre[5], ignorant aussi la formation d’un prolétariat dans le textile et la métallurgie, un prolétariat qui se souleva à Bruges (1375) et Ypres à Florence (Ciompi, 1378)[6] et se heurta à une bourgeoisie qui, même à la tête du gouvernement des communes, n’avait nulle intention de lui accorder la moindre «liberté»[7].

 

Et que dire de l’assertion désarmante considérant la taille des machines comme la raison ultime du mode de production ? On peut ainsi lire cette phrase qui condense un matérialisme vulgaire, fort répandu dans la social-démocratie de l’époque, puis ensuite dans le stalinisme, et que Pannekoek combattit fortement après 1920, en particulier dans son Lénine philosophe (1938) et son Anthropogénèse (1944[8]) :

 

Les formes prises par le travail, les rapports de production dépendent des outils utilisés, de la technique, des forces productives en général. C’est parce qu’au Moyen Âge on travaillait avec de petits outils – alors qu’aujourd’hui on utilise de grosses machines – que dominait à cette époque le petit artisanat et le féodalisme, alors qu’aujourd’hui domine à grande échelle le capitalisme; c’est pourquoi on avait alors la noblesse féodale et la petite bourgeoisie (Kleinbürgertum), alors qu’actuellement bourgeoisie et prolétariat constituent les classes les plus importantes[9].

 

L’intérêt de cette brochure de Pannekoek se trouve moins dans son utilisation maladroite du «matérialisme historique» (et son intérêt certain pour la doctrine darwinienne des «instincts sociaux») que dans sa conception du marxisme comme «arme du prolétariat». Le marxisme s’oppose à l’idéologie du darwinisme social, «arme de la bourgeoisie», «d’emblée adopté avec ardeur par la bourgeoisie». Celle-ci en effet se rallie à un ‘matérialisme blindé’, où l’idée chrétienne que les «premiers seraient les derniers et les derniers les premiers» au paradis terrestre ou céleste est un crime de lèse-capitalisme, qui mérite bien que l’on se débarrasse sans tarder de la tradition biblique[10].

 

Pannekoek démontait la mécanique du «darwinisme social», devenu une arme essentielle de l’idéologie bourgeoise. Il rappelait que Darwin, malgré sa proclamation kantienne de 1871, avait joué un rôle majeur dans la formation de l’idéologie bourgeoise de la lutte des «plus aptes», des plus «intelligents», des «gentlemen» pour maintenir leur domination sur les «inférieurs», «les plus faibles» condamnés à disparaître :

 

Le  combat darwinien pour l’existence a trouvé son modèle dans la concurrence capitaliste;  à l’inverse, la concurrence capitaliste  fut comparée à la lutte animale pour l’existence : elle fut alors élevée à la dignité de loi naturelle. [Pour Darwin] les plus aptes (die Passendsten) survivront. La lutte pour l’existence provoque la sélection naturelle (Naturauslese)[11].

 

Spencer en Angleterre, et Haeckel en Allemagne ne firent que pousser jusqu’à ses ultimes limites la logique du raisonnement darwinien, devenu celui du darwinisme social. Pour Spencer, ce fut l’occasion de développer une idéologie capitaliste libertarienne, obsédée par le danger d’une dégénérescence de son système sous l’effet de la révolte des «races inférieures» qu’il s’agit de contenir, sinon d’épurer énergiquement :

 

La lutte pour l’existence est en même temps un procès d’épuration de la race (Reinigungsprozess der Rasse), la protégeant ainsi contre la dégénérescence. Tel est l’effet bénéfique de cette lutte[12].

 

L’ennemi, pour la classe dominante, était en premier lieu le socialisme marxiste, tirant sa force des millions d’exploités vivant sous le talon de fer du capitalisme. L’idéologie d’un Spencer comme d’un Haeckel était celle d’une classe dominante se sentant menacée dans son existence. Pour ces défenseurs de la «race» et de la «civilisation», le progrès du capitalisme[13] ne pouvait qu’être indéfini, à moins que de «nouveaux barbares», les prolétaires, les «basses classes», ne viennent instaurer le communisme, débouchant sur «le retour à la barbarie et à l’état d’origine et animal de peuples grossiers vivant à l’état de nature»[14].

 

Le bénéfice secondaire du darwinisme pour la bourgeoisie était de lui assurer un pouvoir hégémonique, sans partage, en réduisant à néant le pouvoir de l’Église et de l’aristocratie, en se servant de l’autorité de la science élevée au rang de nouvelle religion de la bourgeoisie. En Allemagne, en particulier, où

 

Le darwinisme servit d’arme à la bourgeoisie dans sa lutte contre les classes féodales, la noblesse, le clergé et les princes. C’était une lutte entièrement différente de celle du prolétariat. La bourgeoisie n’était pas une classe exploitée luttant pour abolir l’exploitation. Non, ce qu’elle voulait c’était se débarrasser de la domination des vieilles puissances qui faisaient obstacle à sa propre domination. […] Que pouvaient lui opposer les anciennes classes, ces classes qui étaient devenues autant de parasites inutiles et stériles ? Elles évoquaient simplement la tradition et l’ancien droit divin qui de transmettant de génération en génération… C’est pour défendre ses propres intérêts que la bourgeoisie s’est trouvée dans l’obligation de ruiner le caractère sacré de cette tradition et la vérité de la religion. La science était opposée à la croyance et les lois de la nature, nouvellement découvertes, à la révélation[15].

 

[1] Pannekoek définit ces instincts sociaux comme une force qui maintient les animaux réunis et qui permet ainsi «la survie du groupe». Chez les hommes, elle implique «sacrifice de soi, bravoure, discipline, loyauté et rigueur», qualités qui sont plus le fait du «zoôn politikon» de la Cité d’Aristote que du «zoôn» du naturaliste.

[2] Op. cit.,  chap. 7 («Das gesellschaftliche Zusammenleben»). Une sélection des pensées du mahatma Gandhi, publiée à Genève par l’UNESCO en 1958, porte le titre : «All men are brothers».

[3] Pannekoek 1914, ibid., chap. 7 : «Das gesellschaftliche Zusammenleben» et chap. 8 : «Werkzeuge, Denken und Sprache».

[4] Ibid., chap. 7 : «Das gesellschaftliche Zusammenleben». 

[5] Cf. Jean Gimpel, La révolution industrielle au Moyen Âge, Seuil, 2002.

[6] Cf. W. H. TeBrake, A plague of insurrection. Popular politics and peasant revolts in Flanders, 1323-1328, University of Pennsylvania Press, Philadelphie, 1993; et Alessandro Stella, La révolte des Ciompi. Les hommes, les lieux, le travail, EHESS, Paris, 1993.

[7] On peut ainsi lire, dans un passage de cette brochure, cette étonnante assertion : «Lorsque la bourgeoisie se fut emparée du pouvoir politique et qu’elle eut fait prédominer l’ordre économique capitaliste, elle commença à se débarrasser des entraves féodales et à rendre les hommes libres» [chap. 10 : «Kapitalismus und Sozialismus»].

[8] Anthropogenesis –  A Study of the Origin of Man : https://www.marxists.org/archive/pannekoe/1944/anthropogenesis.htm.

[9] Ibid., chap. 2 : «Der Marxismus».

[10] Ibid., chap 4 : «Der Darwinismus im Klassenkampf». Pannekoek, précise dans ce passage, qu’il n’en fut pas de même en Angleterre, où la position de la bourgeoisie, assurée depuis plusieurs siècles, reposait sur le compromis entre le trône et l’autel anglicans.

[11] Idem,

[12] Spencer cité par Pannekoek, op. cit.,  chap. 5 : «Der Darwinismus gegen den Sozialismus».

[13] Dans la Descendance de l’homme, op. cit.,  p. 158, Darwin affirmait que le «progrès l’avait emporté généralement sur la rétrogradation».

[14] Citation de Haeckel (1892) donnée par Pannekoek, chap. 5.

[15] Idem, chap. 4 : «Der Darwinismus im Klassenkampf».

En fait, les lois darwiniennes ne faisaient que transposer du domaine animal dans le domaine humain la lutte du capitalisme pour dominer (et écraser) et la société et la nature. Ces prétendues lois immuables, en fait les lois de la concurrence, devenaient le «fondement scientifique de l’inégalité» de la société bourgeoise, permettant que «triomphent les meilleurs, tandis que les mauvais s’éteignent».

 

En réalité, comme le souligne avec force Pannekoek, ces lois conduisent directement à l’écrasement des potentialités de chacun, au triomphe sans vergogne du monde négatif de l’avoir sur celui de l’être social. Dans la lutte pour l’existence, sous le capitalisme,

 

Ce ne sont pas les qualités personnelles, mais la possession d’argent, la richesse qui décident du succès dans la lutte pour l’existence[1].

 

La conséquence n’en est pas l’accélération du «progrès» [au seul profit des «gens de bien (s)»!], mythe propagé aussi bien par les positivistes que par les darwinistes, mais bien l’accélération de la décadence des sociétés humaines :

 

[…] il n’y a pas de progrès moral, mais bien plutôt une détérioration (Verschlechterung) de l’humanité[2].

 

Face au désordre d’un monde irrationnel, où l’exploité est livré à la concurrence la plus féroce et soumis à des salaires de misère, ne suffisant même pas à ses propres besoins, le marxisme se donne pour tâche de

 

remplacer l’ordre animal par un ordre humain, rationnel et moral, à l’échelle du monde[3].

 

Montrant que le langage, la pensée et la conscience étaient le propre de l’homme dont le «combat ne peut pas être mené sur les principes du monde animal», Pannekoek soulignait la différence fondamentale entre matérialisme bourgeois et socialisme marxiste, le maintien ou la suppression de toute inégalité, le maintien ou la suppression d’une concurrence féroce entre les travailleurs, où domine non la solidarité mais la guerre de tous contre tous :

 

Le socialisme a pour prémisses fondamentales l’égalité naturelle entre les hommes et veut inscrire dans les faits leur égalité sociale... Cela signifie que la lutte pour l’existence à l’intérieur du monde humain cesse. Elle sera encore menée, extérieurement, non plus comme concurrence contre des congénères, mais comme lutte pour la subsistance contre la nature (als Kampf um den Lebensunterhalt gegen die Natur). Le développement de la technique et de la science qui l’accompagne fait que cette lutte peut à peine être qualifiée de telle. La Nature a été soumise à l’Homme (die Natur ist den Menschen untertan geworden) et lui offre pour un effort moindre une subsistance plus sûre et surabondante (überflüssig)[4].

 

Dans ces ultimes paragraphes de cette brochure, une inquiétante utopie pointait du nez. La Nature, transformée par la force (gegen), devenait un pays de cocagne, où le nécessaire devenait superflu, grâce aux deux cuillères du forceps : la Technique et la Science. Un binôme qui était dans toutes les équations du scientisme, et que d’ailleurs Pannekoek dénoncera à partir des années 1930 en attaquant de front l’idéologie léniniste et stalinienne de la «construction du socialisme» (cf. chapitre VII).

 

 

[1] Idem, chap. 5 : «Der Darwinismus gegen den Sozialismus».

[2] Ibid. Cette idée qui avait été amplement développée dans la littérature religieuse fut développée par Emil Richter, dans son livre Menschheit und Capital. Studien über Bewegung und Verhältnisse einflußreicher Erscheinungen des Lebens und der allgemeinen Entwickelung, Leipzig, en 1872 & 1878. Ce livre était une attaque systématique contre le libéralisme qui menait l’humanité à sa perte par son inextinguible soif de profit. L’alternative au libéralisme était la Gesellschaftlichkeit (sociabilité), c’est-à-dire le socialisme.

[3] Ibid.

[4] Idem, p. 20 et 44. Souligné par nous. Überflüssig, outre ce sens de «superflu», a aussi le sens de «gratuit». On peut lire, dans ce sens, cette réflexion de Bastiat sur le prétendu «don gratuit» de la nature : «La vérité est que l’utilité produite par la nature est gratuite, partant commune, ainsi que celle produite par les instruments de travail. Elle est gratuite et commune à une conduite [condition] : c’est de se donner la peine, c’est de se rendre à soi-même le service de la recueillir…» [Frédéric Bastiat, Œuvres complètes, tome sixième, Harmonies économiques, Guillaumin et Cie, 1870, Paris, p. 186].

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