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théorie politique

Capitalisme, guerres et pandémies. Partie II : le précédent de la grippe espagnole

Publié le 26 Mars 2020 par PB/pantopolis

Partie II

Le précédent de la grippe espagnole : secret défense, bourrage de crâne et économie de guerre pour un meilleur débitage de la chair à canon

Le nom de la grippe espagnole doit son nom aux ciseaux d’Anastasie, la sainte protectrice de la censure militaire. L’Espagne étant neutre pendant la Première Guerre mondiale, ses journaux paraissent sans être revus et corrigés par la censure militaire. En 1918, la presse espagnole est la seule qui parle ouvertement de la maladie. Le nom de grippe espagnole provient de cette révélation par la presse. Dès lors, la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les États-Unis prennent l’habitude de parler de grippe espagnole (spanish flu). Un nom qui restera dans l’histoire.

La grippe espagnole, qui toucha entre un tiers et la moitié de la population mondiale et coûta la vie à au moins 40 millions d’êtres humains, est la combinaison d’une souche de grippe humaine et d’une souche de grippe aviaire, anticipant à un degré moindre les grippes apparues au début des années 2000. Comme souvent dans les pandémies, elle se propagea en trois rebonds : mars et octobre 1918, début 1919. La comptabilité des morts au niveau international est terrifiante : environ 40 millions de morts. Ce bilan, largement dissimulé par une presse muselée, se précisa grâce aux travaux des démographes et historiens plus de 70 ans après.

Cette grippe fut particulièrement virulente, prenant des formes pulmonaires aussi virulentes que celles de la peste noire :

On a laissé un matin un pneumonique en bon état avec un ou deux foyers de condensation et, le soir, on le retrouve dyspnéique, inquiet, s’agitant dans son lit, avec les lèvres cyanosées. L’homme devient bleu, baigné de sueurs profuses, commence à râler et la mort survient[1].

Le spanish flu semble démarrer aux USA, surtout dans les camps militaires, où sont entraînées des troupes qui se préparent à intervenir dans la guerre. À la fin de l’été 1918, une version nettement plus virulente du virus apparaît en plusieurs endroits. En Amérique du Nord, le camp militaire de Fort Devens, juste à côté de Boston (Massachusetts), devient vite un abattoir. Environ 45.000 soldats y vivent entassés les uns sur les autres. L’hygiène est inexistante pour la future chair à canon. Dans les immenses dortoirs, les draps d’un lit sont très rarement lavés. La progression de la maladie est fulgurante. Le 1er septembre, quatre soldats tombent malades. Ils sont 1.543 une semaine plus tard. À la mi-septembre, plus de 6.000 soldats sont alités. Plus de 100 hommes meurent chaque jour, victimes de ce qui ressemble à une pneumonie foudroyante.

Entre 1918 et 1919, la grippe tue 550.000 Américains, civils ou militaires, soit plus que les deux guerres mondiales, la guerre de Corée et celle du Vietnam réunies[2]. L’espérance de vie est bien plus réduite que sur les camps de bataille : quatre mois après leur infection, 90 % des malades passent de vie à trépas.

Le corps médical est totalement impuissant à enrayer la pandémie et préconise : le simple alitement, la pose de ventouses, des saignées répétées pour purifier les « humeurs » (comme au temps des médecins de Molière), les injections sous-cutanées d’oxygène, de toniques cardiaques (caféine, digitale, huile camphrée, adrénaline, essence de térébenthine), l’administration d’antithermiques (antipaludéen : quinine, cryogénie, citrophène), les enveloppements froids de la poitrine, une alimentation liquide et légère, « thérapeutique » qu’une politique de restrictions a déjà mise en place. Les offices sanitaires préconisent le rhum sur ordonnance, comme les autorités sanitaires françaises d’aujourd’hui conseillent de délivrer les masques de protection en pharmacie, sur ordonnance. Certains médecins, en 2020 (comme en 1918), préconisent un antipaludéen de la quinine dont la chloroquine est le substitut synthétique, et qui peut se révéler dangereuse à haute dose[3]. Celle-ci pourrait être un «don du Ciel», selon le docteur ignorantin Donald Trump, qui veut voir «les églises pleines à Pâques» et les usines tourner à plein régime, avec ou sans masques, même si cela doit coûter 200.000 morts[4].

En avril 1918, la presse patriotarde alliée affirme que la maladie « vient d’Allemagne », que la maladie est une maladie boche : «Des bruits couraient dans le public que la maladie avait été provoquée par des conserves venues d’Espagne et dans lesquelles des agents allemands auraient introduit des bacilles pathogènes».

Les bobards (les fake news) vont bon train pour ranimer une fibre patriotique déjà bien ébranlée par le formidable écho international de la Révolution russe. Le service de propagande français prétend que Bayer, l’inventeur de l’aspirine, a introduit l’agent de la grippe dans les cachets d’acide acétylsalicylique (AAS). Certains, très imaginatifs, prétendent que des sous-marins allemands, font surface près des «côtes alliées» et apportent des fioles pleines du virus de la grippe, déversées dans les réservoirs d’eau ou dans l’atmosphère, comme en France et aux USA, où se rassemblent de «bons patriotes » qui se hâtent d’acheter les emprunts de guerre[5]. Quant à la propagande allemande, tout comme la propagande alliée, elle minimise à dessein l’impact du virus sur les troupes, qui devront garder un moral d’acier pour mieux se faire faucher par les obus et les mitrailleuses. La presse du Kaiser prétend que la grippe est arrivée en Europe occidentale avec les bataillons de troupes coloniales indochinoises. Dans les arrière-cuisines de la propagande impériale, on fait mijoter un bouillon toxique de racialisme, celui du « péril jaune » (Gelbe Gefahr), d’autant plus que l’impérialisme japonais s’est engagé aux côtés des Alliés, pour mieux rafler les colonies allemandes d’Asie et du Pacifique.

Aujourd’hui, les actuels auteurs des bobards, les «souverainistes » de tout poil prêts à en découdre avec tout ce qui est «forain » (étranger) – le juif, le musulman, l’Asiatique, le réfugié ou l’immigrant –, s’en donnent à cœur joie. Leur paranoïa «complotiste» se met au service d’une propagande belliciste, où il s’agit de mener, à grands roulements de tambour, une guerre contre le « virus chinois », autrement dit les exportations chinoises. On peut lire actuellement dans une certaine presse ou certains réseaux dits «sociaux» que le SARS-CoV2 (Covid-19) aurait été fabriqué dans le laboratoire P4 de Wuhan, et que des brevets auraient été déposés par de grands laboratoires pharmaceutiques pour profiter de la vente du vaccin salvateur, qui ne serait disponible sur le marché qu’une fois que son prix aurait atteint des sommets himalayens au terme d’une accumulation de millions de morts[6].

La Première guerre mondiale avait vu l’instauration dans tous les pays d’un capitalisme de guerre, baptisé «économie de guerre», où il s’agissait de produire plus de 12 heures par jour, au moins six jours par semaine, des engins de mort, des obus, des balles, des armes chimiques, au détriment de la consommation des masses laborieuses, déjà affamées et particulièrement affaiblies. Sauf pour le bloc des pays alliés, épaulés par l’exploitation féroce de leurs empires coloniaux, cela impliquait une stricte autarcie, tempérée par un impitoyable brigandage opéré par les grands groupes capitalistes : sur tous les continents, les sources d’énergie, les métaux nécessaires à l’industrie d’armement, les métaux précieux, les biens alimentaires produits et exportés devaient renforcer l’effort de guerre, une guerre aussi bien militaire qu’économique.

Dans la crise du coronavirus, les responsables politiques, notamment en France, se prononcent pour une économie de guerre, dont la vertu, comme celle de la femme de César, devrait être insoupçonnable. Il s’agit de mener une « guerre sanitaire », en passant sous silence la réalité visible d’une guerre commerciale exacerbée, menant à la longue à la guerre tout court contre l’ennemi extérieur. C’est ainsi que le Premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure a exigé, dimanche 22 mars, dans une lettre ouverte à son ancien «camarade de parti» Emmanuel Macron, l’instauration d’une «économie de guerre», en prônant des réquisitions massives d’entreprises pour produire masques ou tests de dépistage du coronavirus[7].

La social-démocratie française a une riche expérience d’économie de guerre. Le Parti socialiste, qui est le successeur de la SFIO de Guy Mollet, a su dans le passé instaurer une économie de guerre pour armer les troupes régulières en Algérie et mobiliser un contingent de millions de jeunes envoyés au casse-pipe dans les djebels.

L’ancien conseiller socialiste de Mitterrand, le faiseur de rois Jacques Attali, celui même qui a taillé le costume présidentiel de Macron, opine du chef : « Face à ces innombrables virus, il faut se mettre définitivement en économie de guerre et ne se consacrer qu’à l’essentiel»[8]. Que l’essentiel soit la survie du système capitaliste comme un tout et le maintien de ses profits, la préservation des chasses gardées d’un impérialisme français bien moribond, Attali se garde bien de le confesser[9].

Le reste du discours d’Attali sur l’économie de guerre est une grotesque incantation pour une «économie heureuse », sachant très bien que les capitalistes (ses détenteurs et ses fonctionnaires) ne peuvent qu’instaurer une économie du malheur : «Pour éviter le retour de ces malheurs, pour éloigner ce virus autant que les suivants, il faudra enfin admettre qu’une société pourrait parfaitement fonctionner, et être heureuse, en consacrant bien plus de la moitié de ses activités créatrices de richesses aux industries et services de la santé, de l’alimentation, de l’hygiène, de l’éducation, de l’environnement et de la culture. Et aux technologies qu’elles nécessitent ».

Tous ces politiciens et autres galonnés de la bourgeoisie, qui s’agitent devant les micros de médias aux ordres, savent très bien que la proclamation de la guerre (« nous sommes en guerre ») implique une réelle préparation de la population à l’idée d’une guerre mondiale, où tout sera permis : des armes chimiques et bactériologiques à l’arme nucléaire.

 

[1] Olivier Lahaie, «L’épidémie de grippe dite « espagnole» et sa perception par l’armée française (1918-1919)», Revue historique des armées [En ligne], n° 262, 2011.

[2] Olivier Lahaie, op. cit.

[3] « Didier Raoult, la nouvelle égérie des complotiste », Le Monde, 30 mars 2020, p. 11. Le docteur Didier Raoult, qui est la coqueluche des complotistes et souverainistes, va être bientôt l’objet de leur ire. Celui-ci, qui dénonce fermement comme anti-scientifique le concept de «Français de souche», est traité par l’ultradroite d’«ordure cosmopolite» et d’«agent du Mossad». Pour la toxicité de l’antipaludéen, cf. Dorosz (Vidal-Durand & Le Jeunne), Guide pratique des médicaments, Maloine, 2019, p. 1706, qui insiste sur les effets indésirables possibles : «vertiges, vision floue, hypotension, possibilité d’arrêt cardiaque et respiratoire», si samu : «perfusion d’épinéphrine, thiopental après intubation, diazépam».

[4] « Coronavirus. Donald Trump voit la chloroquine comme ‘un don du Ciel’ si le traitement fonctionne », Ouest France, 24 mars 2020. Interview à Foxnews, chaîne d’extrême droite, où le milliardaire précise : ««Il faut retourner au travail, beaucoup plus tôt que les gens ne le pensent».

[5] Jay Winter, «La grippe espagnole», in Encyclopédie de la Grande Guerre 1914-1918, Bayard, 2004, p. 943-948.

[6] Site de l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale), 23 mars 2020, «‘Fake news’ et désinformation autour du coronavirus SARS-CoV2» : https://presse.inserm.fr/fake-news-et-desinformation-autour-du-coronavirus-sars-cov2/38324/

[7] https://www.lefigaro.fr/flash-eco/coronavirus-le-parti-socialiste-demande-a-emmanuel-macron-une-economie-de-guerre-20200323 (Le Figaro, 23 mars 2020).

[8] Attali, «Pensez et vivre positif», 24 mars 2020 : http://www.attali.com/non-classifiee/pensez-et-vivre-positif/

[9] Dans son livre Une brève histoire de l’avenir, Fayard, 2006, le «futurologue» J. Attali prophétise un avenir radieux du capitalisme : les «hommes», entendez les consommateurs-producteurs seront «libérés» et nomadisés sous la direction d’une hyper-élite («les transhumains»), portée par la mission de faire triompher mondialement la «démocratie du marché», sous la houlette d’une social-démocratie ultralibérale. Que la social-démocratie et le marché soient en complète déconfiture en 2020, cela ne semble pas troubler notre «futurologue» chevronné.

 

Au temps de la grippe espagnole, les premières utilisations d’armes NRBC

   Lors de la première guerre impérialiste généralisée, la bourgeoisie utilisa ouvertement de telles armes, comme les toxiques chimiques (ypérite), testés depuis 1915, à grande échelle, par l’armée du Kaiser, puis par les armées française et britannique. La bourgeoisie s’en vantait, sans vains mensonges d’Etat. Pour l’empire britannique, entre autres, il s’agissait de détruire les ennemis de l’Empire, et en premier lieu le virus bolchevique qui menaçait de se transformer en pandémie révolutionnaire à l’échelle du monde.

En 1919 le Secrétaire d’État à la guerre Winston Churchill, adressa au RAF Middle East Command une lettre, dont l’objet était les irrédentistes kurdes : « Je ne comprends pas ces réticences à l’emploi du gaz. Je suis fortement en faveur de l’utilisation du gaz toxique contre les tribus barbares... L’effet moral sera bon. On diffusera une terreur vivace ».

Ce programme fut exécuté à la lettre par le lieutenant-colonel Arthur Harris qui vanta les effets extraordinaires des gaz : «Les Arabes et les Kurdes savent maintenant ce que signifie un véritable bombardement… En 45 minutes nous sommes capables de raser un village et de tuer ou blesser un tiers de sa population».

Le danger le plus redoutable pour l’impérialisme britannique, et tous les autres unis dans la même haine de la révolution, était le bolchevisme russe, qui résistait aux armées blanches soutenues par celles de l’Entente (Japon inclus).

Le 27 août 1919, des avions britanniques, emportant des gaz toxiques, prennent pour cible le village d’Emtsa, à environ 200 kilomètres au sud d’Arkhangelsk [ville portuaire de la mer Blanche]. Des soldats bolcheviques pris de panique cherchent à se protéger du gaz verdâtre qui s’approchait d’eux. Ceux qui se retrouvent pris dans le nuage mortel vomissent du sang avant de s’écrouler inconscients.

Sir Keith Price, chargé de l’ensemble de la guerre chimique, vanta les mérites de la thérapeutique de ‘débolchevisation’ : « Avec ce gaz, il suffirait de mettre dans le mille une fois pour qu’il n’y ait plus aucun bolcho de ce côté-ci de Vologda ».

Les attaques se poursuivirent tout au long du mois de septembre, frappant plusieurs villages tenus par les bolcheviques : Tchounova, Vikhtova, Potcha, Tchorga, Tavoygor et Zapolki.

Mais ces armes s’avèrent moins efficaces que ne l’espérait Churchill, entre autres à cause de l’humidité automnale. À la fin du mois, les attaques cessent. Deux semaines plus tard, les futs toxiques restants sont jetés dans la mer Blanche. Ils y gisent encore, par près de 80 mètres de fond, faisant peser le risque d’un désastre écologique majeur

[Olivier Lion, Des armes maudites pour les sales guerres ? L’emploi des armes chimiques dans les conflits asymétriques : www.cairn.info/revue-strategique-2009-1-page-491.htm]

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