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théorie politique

Partie III. Capitalisme, impérialisme et guerre des microbes

Publié le 1 Avril 2020 par PB/Pantopolis

Partie III

Capitalisme, impérialisme et guerre des microbes

En 1913, à la veille de la guerre, Rosa Luxemburg soulignait avec force que l’ascension du capitalisme n’est rien d’autre que l’histoire de ses crimes, de ses violences à l’échelle de la planète, qu’il enfonce dans des convulsions irrémédiables :

Le capital n’est pas qu’à sa naissance ‘dégouttant de sang et de boue par tous les pores’, mais pendant toute sa marche à travers le monde; c’est ainsi qu’il prépare, dans des convulsions toujours plus violentes, son propre effondrement[1].

  1. Le moloch de l’argent

Le développement du capitalisme, d’abord sous sa forme commerciale, s’est accompagné d’une première mondialisation. Celle-ci qui a largement été d’abord une politique d’expansion, de conquêtes militaires, de colonisation et d’exploitation à l’échelle de continents entiers. La «découverte» de l’Amérique par Colomb inaugure la mondialisation microbienne. Les bactéries et virus qui prospèrent sur le continent euro-asiatique se répandent partout au fil de la conquête. Des infections comme la rougeole, la variole, le choléra, la tuberculose détruisent des populations entières. Au Mexique, la population amérindienne passe de 25 millions en 1519 à 1,5 million en 1580. Au Pérou, la chute est tout aussi brutale : 10 millions d’habitants vers 1530[2]. Même constat apocalyptique en Amérique du Nord. Les épidémies d’Amérique du Sud et du Centre progressent vers les États-Unis actuels dès le début du xvie siècle. Les colons français s’installent au Canada et la dépopulation débute immédiatement à la faveur des contacts entre communautés indiennes – sous forme commerciale et guerrière – et bon nombre de communautés disparaissent avant même d’apprendre que des navires étrangers ont atteint leurs côtes[3]. Cette marche meurtrières des pandémies dura jusqu’au xixe siècle : au début des années 1880, lorsque le capital construit une ligne de chemin de fer du Pacifique canadien à travers la province intérieure du Saskatchewan, les indigènes de la province, jusque-là protégés des germes des Blancs, meurent au rythme de 9 p. 100 par an[4].

Ajoutons que le système d’élevage massivement importé par les colons européens, qui vivaient pratiquement immunisés à proximité d’animaux domestiques (bœuf, porc, chèvre, cheval et volailles, favorisa aussi incontestablement l’apparition d’épidémies infectieuses inconnues en Amérique.

S’il ne s’agit pas d’un génocide délibéré, où le vainqueur aurait sciemment utilisé l’arme microbienne, il est évident que la Conquista comme toute conquête militaire menée à grande échelle – en cela elle est comparable aux conquêtes mongoles au xiiie et xive siècle, suivant les chemins de la pandémie pesteuse[5] – a été un désastre humain irréversible. Le dominicain Bartolomé de Las Casas, qui ne parle jamais de ces épidémies mortelles, a donné un tableau saisissant de la conquête par le fer et par le feu des Caraïbes et des Amériques :

En quarante ans, par suite de la tyrannie et des actions infernales et injustes des chrétiens, douze millions d’âmes, hommes, femmes et enfants sont morts. Et à vrai dire, je crois, et je ne pense pas me tromper qu’il y en a eu plus de quinze millions. […] Au cours de ces douze ans, sur ces quatre cent cinquante lieues [de Nouvelle-Espagne], les Espagnols ont tué au couteau et à la lance plus de quatre millions d’habitants, femmes, enfants, jeune gens et vieillards, ou les ont brûlés vifs[6].

Mais c’est sans doute l’utilisation du travail forcé par les autorités coloniales qui porte le coup de grâce, frappant une population déjà terrassée par le choc microbien. Assoiffé d’or et d’argent, l’Empire d’Espagne réduit les autochtones, libres et non libres, à un quasi-esclavage dans les mines, mais aussi servage sur d’immenses domaines agricoles. S’appuyant sur la noblesse indigène (les caciques), qui a soutenu Cortès pour mieux abattre la puissance aztèque et maintenir ses privilèges de caste, l’aristocratie des hidalgos s’enrichit en imposant l’esclavage salarié, c’est-à-dire un salaire de misère fixé par l’État colonial.

L’interdiction de la réduction en esclavage des autochtones, à partir de 1542, ne fait qu’officialiser leur réduction à l’état de serfs. Elle s’accompagne aussi d’un trafic florissant d’esclaves noirs, déjà utilisés sur les plantations des Canaries. Las Casas, qui avait d’abord accepté l’importation d’esclaves noirs à usage domestique, s’en repent vite. «Se jugeant coupable par inadvertance», le dominicain martèle alors : «L’esclavage des Noirs est aussi injuste que celui des Indiens»[7].

Le développement du fléau l’esclavage aux Amériques eut aussi pour effet pervers d’importer d’autres fléaux microbiens inexistants sur ce continent. L’introduction du virus de la fièvre jaune, véhiculé par les singes d’Afrique eut pour effet de décimer les singes et les autochtones des Amériques.

Le travail forcé, au même titre que l’esclavage[8], n’a fit que se propager à l’apogée du système capitaliste, aussi bien en Asie [Indes néerlandaises, avec le système de cultures obligatoires (Cultuurstelsel)] qu’en Afrique. Sous Léopold ii, le Congo belge, qui est sa propriété personnelle, se vit imposer un féroce servage au profit des grandes sociétés minières et des gros planteurs qui partagent leurs profits pharamineux avec la Couronne. L’administration coloniale importa en outre plus de 44.000 travailleurs d’Angola et de Rhodésie du Nord. Ces travailleurs mouraient de fièvre à tiques (causée par la bactérie rickettsia africae), de grippe, de pneumonie, d’épuisement ou de «catastrophes» minières à répétition.

On connaît, par les témoignages d’Albert Londres et d’André Gide, sur la catastrophe humaine de la construction par le capital français de la ligne de chemin de fer Congo-Océan. Elle fit plus de 23.000 victimes.

L’historien Elikia M’Bokolo a très bien résumé le désastre écologique, démographique et sanitaire véhiculé par l’introduction brutale du système capitaliste transformant l’être humain en chair à profit ou à canon :

Le désastre écologique et la catastrophe démographique provoqués par le système des compagnies concessionnaires dans les deux Congo ne furent que la forme extrême d’un phénomène beaucoup plus général qui frappa presque toutes les régions colonisées : épidémies spectaculaires ou meurtrières à Madagascar (peste) comme au Sénégal (fièvre jaune, peste) ou en Côte d’Ivoire (fièvre jaune); sécheresses et famines dans des zones aussi différentes que le Sahel et l’Angola; épidémies, épizooties, famines, guerres et surmortalité mélangées dans un cycle infernal en Afrique centrale et orientale[9].

Des populations entières ont donc été soumises au joug du capitalisme ascendant depuis le xvie siècle. Exploitées à mort, affaiblies par le travail forcé ou l’esclavage, incapables de résister aux pandémies qui empruntaient les routes maritimes et terrestres du commerce, elles ont été sacrifiées au grand Moloch, au dieu Mammon, celui de l’argent étendant son emprise sur le monde entier :

L’argent est le bourreau de toute chose, le Moloch à qui il faut tout sacrifier. […] L’argent apparaît effectivement comme le Moloch à qui l’on sacrifie la richesse réelle[10].

Le capital apparaît comme le Moloch qui exige qu’on lui sacrifie le monde entier[11].

  1. L’arme biologique à l’époque de la nécrose du capital

L’utilisation de l’arme biologique (bactéries et virus) est aussi ancienne que la guerre. Les soldats de l’Antiquité renforçaient la puissance destructrice de leurs flèches en les trempant dans de la chair en putréfaction ou dans du sang corrompu, c’est-à-dire en les rendant non seulement toxiques mais aussi infectantes. Le skythikon, spécialité toxique des archers scythes, était composé autant de poisons que de produits biologiques infectants, mijotés dans du fumier : ce mélange provoquait non seulement un envenimement mais, aussi, une gangrène gazeuse, un tétanos ou tout autre infection foudroyante[12].

Au tout début de l’expansion du capitalisme, on note la première utilisation de l’arme biologique, à l’occasion d’une guerre commerciale et coloniale. C’est à l’occasion de la guerre de Sept Ans (1756-1763) qu’est utilisée la variole par le général Jeffery Amherst, commandant en chef des troupes britanniques en Amérique du nord. Il écrit en juillet 1763, pendant la guerre de Pontiac, alors que gronde la révolte de peuples autochtones. L’utilisation de l’arme biologique fait partie d’un plan de «nettoyage ethnique», véritable génocide avant la lettre :

Ne pourrait-on pas trouver un moyen de répandre la variole parmi ces tribus d’Indiens mécontentes ? À cette occasion, nous devons utiliser tous les stratagèmes en notre pouvoir pour les vaincre[13].

Et cette «interrogation» est suivie d’une rapide application au moyen de couvertures contaminées par le virus de la variole. Ce beau travail lui valut finalement de siéger à la chambre des Lords de Sa Glorieuse Majesté britannique.

Le plein développement du capitalisme et la confrontation mortelle des impérialismes à l’échelle de la planète a conduit à l’étude scientifique de tous les agents biologiques qui pourraient être «militarisables», c’est-à-dire être utilisés au même titre qu’une arme chimique (et nucléaire depuis 1945). Pour maximiser sa létalité, l’arme biologique doit répondre à plusieurs critères – dits critères de Theodor Rosebury (1904-1976) – à savoir : contagiosité directe, dose minimale infectante, voie d’infection ou d’intoxication, durée d’incubation ou d’apparition des premiers symptômes, survie dans l’environnement, facilité de production et de stockage, stabilité des produits stockés, (éventuelle) thérapeutique[14].…

Au cours d’études menées dans le plus grand secret, les stratèges militaires – USA, Royaume-Uni, Japon, URSS, France, Italie, etc. – notèrent les «prodigieux effets» du bacille de l’anthrax (Bacillus anthracis), stable dans l’environnement, conditionnable en poudre ou en spray, déjà utilisé pendant la première guerre mondiale[15]. Mais aussi du bacille de la peste (Yersinia pestis), de l’agent de la tularémie [maladie transmise à l’être humain par contact avec des animaux infectés ou par le biais de vecteurs (tiques)]. Les savants de la mort notèrent aussi les «merveilles» des virus, très intéressants par leur taille microscopique : ils peuvent traverser les éléments filtrants des appareils de confinement et des respirateurs individuels; il n’y a pas de thérapeutique efficace en dehors de la prévention par vaccination.

Le «chouchou» des militaires est peut-être maintenant le virus de la variole – déclarée éradiquée par l’OMS, le 8 mai 1980 –, qui peut être réactivé en laboratoire et propagé, sans qu’il y ait de vaccin pour s’y opposer[16]. On peut y ajouter les virus responsables d’encéphalites (encéphalite à tique, chikungunya, dengue, fièvre jaune, encéphalite équine du Venezuela), transmis par des arthropodes. Ces insectes, correctement utilisés dans des programmes militaires (guerre entomologique)[17], peuvent servir de transmetteurs biologiques de la peste, du choléra, etc.

Tous ces programmes menés dans des laboratoires militaires ultra-secrets préparent les guerres biologiques du futur, qui s’apparentant à des génocides purs et simples. Utilisés à titre «expérimental» dans le passé, ils eurent des effets meurtriers, même si ce fut à petite échelle.

La Mandchourie occupée par l’armée impériale nippone (1932-1945) servit de banc d’essai à cette guerre des microbes. Le principal centre de recherche (Unité 731), situé à Pingfan (province de Harbin), comprenait plus de 150 bâtiments, cinq camps satellites et employait au moins 3.000 scientifiques et techniciens. Ces savants criminels testèrent à grande échelle sur des prisonniers de guerre chinois les agents du choléra, de la peste et du charbon. Près de 3.000 prisonniers périrent dans d’atroces souffrances. Des attaques biologiques furent menées à 12 reprises contre des villes chinoises, en contaminant les réserves d’eau potable et de nourriture par les agents du choléra, de la peste et de l’anthrax. Le bilan fut de plusieurs milliers de morts.

Lors de la guerre d’Éthiopie (1935-1936), Mussolini – à côté des gaz qu’il utilisa abondamment contre la population et l’armée du Négus – fut à deux doigts d’expérimenter ses armes bactériologiques. Le maréchal Badoglio l’en dissuada, non par «humanisme» mais par simple réalisme stratégique.

Toutes ces «expériences», après la défaite du Japon et le démantèlement de l’Unité 731, servirent de «modèle» au «génie bactériologique» de l’URSS et des USA.

Les USA menèrent leurs recherches de 1942 à la fin des années 1960. Des substances mortelles furent testées sur leur population, en particulier sur les populations carcérales et les objecteurs de conscience. Pendant la guerre de Corée (1950-1953), les bacilles de l’anthrax, de la peste et du choléra furent répandus parmi l’ennemi nord-coréen et chinois. Mouches, puces, etc., furent mises à contribution, mais aussi les aérosols. Dans ce dernier cas, par la voie des airs, l’armée américaine procéda à des pulvérisations[18]. Comme les résultats furent mitigés, et suite à divers incidents («fuites» de bacilles et virus), les stocks d’armes biologiques américains furent (officiellement) détruits entre mai 1971 et février 1973…

Le capitalisme d’État soviétique – baptisé «socialisme réel» par sa classe dirigeante – ne fut pas en reste dans cette course aux armements biologiques, de Staline à Gorbatchev. La militarisation d’une dizaine d’agents pathogènes entra dans les programmes de laboratoires : charbon, tularémie, brucellose, peste, encéphalite équine du Venezuela, typhus, fièvre Q [zoonose, maladie transmissible d’un animal vertébré (bovins, ovins, caprins) à l’homme], toxine botulinique produite par une bactérie. En 1973, quelques mois après la mise sur pied d’un traité international interdisant toute recherche sur les armes biologiques [CABT/BWC, ouvert à la signature le 10 avril 1972, entré en vigueur en 1975], un décret d’État instituait une entité (Biopreparat = Préparation de substances biologiques), forte de 40 centres de recherche et sites de production d’armes bactériologiques. La fabrication de missiles, roquettes et bombes ad hoc trouverait sa finalité dans la dissémination d’agents pathogènes. Un programme officiellement stoppé en 1992…

De tels programmes peuvent viser aussi la population d’un État, où la classe capitaliste dominante numériquement minoritaire planifie un génocide racial de masse. Dans l’Afrique du Sud blanche de l’Apartheid, un projet ultra-secret – conduit en 1985 par le «Docteur la Mort» Wouter Basson – fut mis en place. Il prenait pour cible la population noire, par l’utilisation de moyens extrêmes : utilisation de l’Anthrax, du virus d’Ebola, du sida, du choléra, stérilisation de masse, utilisation de poisons chimiques ethniquement sélectifs[19].

Le cas de l’Iraq est un cas d’école d’une guerre NRBC menée contre les «ennemis de l’intérieur» [20]. Dotée d’un arsenal biologique impressionnant, l’Iraq de Saddam Hussein se limita à l’usage de l’arme chimique contre les Kurdes. Du 16 au 19 mars 1988, au-dessus de la ville kurde d’Halabja, chasseurs-bombardiers Mig (russes) et Mirage (français) de l’armée irakienne déversèrent des gaz tueurs : gaz moutarde, sarin et tabun. Le bilan fut de 5.000 morts. Fait notable, ces armes « étaient principalement fournies par des sociétés françaises, belges et allemandes, dont les ingénieurs et chimistes savaient exactement ce que Saddam préparait… Durant des années, les États-Unis et leurs alliés ont bloqué les campagnes internationales visant à faire condamner Saddam pour son utilisation du gaz moutarde et des gaz neurotoxiques»[21].

Il est bien évident que les grandes puissances capitalistes (Chine et Russie inclus) n’ont nullement l’intention d’interrompre leur programme de guerre biologique. Les fuites accidentelles d’agents biologiques et/ou chimiques sont bien documentées. Celle de Dugway (Utah) en 1968 couta la vie à 6.000 moutons. Celle de Sverdlovsk (Russie soviétique), en avril 1969, fut beaucoup plus grave. L’épidémie se propagea au bétail jusqu’à 50 km à l’entour. Le centre de recherche militaire de la banlieue d’Ekaterinbourg (à l’époque Sverdlovsk) était au centre de la fuite.

Ces «fuites» peuvent être délibérées, causées par des formes multiples de bioterrorisme, mettant en cause des sectes religieuses ou extrémistes – parfois émanant d’États qui arment en sous-main des groupes terroristes.

Rappelons quelques faits. En septembre 1984, la secte religieuse des Rajneeshees, installée dans le comté de Wasco (Oregon), répandait des salmonelles sur les salades et crudités servies dans les restaurants de Dalles, ce qui entraina 45 hospitalisations. Le cas le plus connu est celui de l’attentat au sarin perpétué par la secte Aun dans le métro de Tokyo le 19 mars 1995, qui fit 5.500 victimes (dont 12 morts). La secte, forte de 50.000 adhérents, riche d’un butin d’un milliard de dollars, disposait d’un programme avancé de recherche en armes biologiques. La secte s’était procurée et avait stocké des bacilles du charbon et de la fièvre Q, ainsi que de la toxine botulinique. Elle chercha même à se procurer le virus d’Ebola (dont la maladie est mortelle à 90 p. 100 lors des flambées épidémiques)[22].

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Au terme de cette deuxième partie, on peut avancer que :

1. La propagation des microbes (bactéries et virus) est favorisée par l’extrême concentration de la population mondiale (50 p. 100 de celle-ci vit en ville, souvent dans les pires conditions sanitaires, dans des villes polluées où les particules fines favorisent la propagation d’épidémies).

2. Les microbes, qui suivent les chemins de l’hyper-commercialisation et de l’hyperproduction du Capital, prolifèrent comme agents pathogènes avec la très brutale explosion démographique (3 milliards d’êtres humains en 1960; 7,7 milliards en 2020). Ils trouvent des places gratuites dans les transports aériens : on dénombrait en 2013 trois milliards de passagers sur l’ensemble des liaisons mondiales; en 2017, quatre milliards de passagers. Ils se déplacent plus lentement mais tout aussi inexorablement en mer. La marine marchande, qui assure 90 % du commerce mondial, a connu les embellies de la mondialisation. Le nombre de navires – y compris passagers, comme les navires de croisière transformés aujourd’hui en super-«Exodus» – est passé de 2013 à 2018 de 52.000 à 58.000 environ.

3. Pour les grands États capitalistes, la préparation et l’entrée en guerre justifie tous les moyens militaires, y compris l’utilisation des armes NRBC dans un conflit généralisé. L’utilisation des armes biologiques, qui fut menée à petite échelle et de façon expérimentale (Mandchourie, guerre de Corée) peut devenir une réalité monstrueuse si un conflit mondial venait à éclater. Le bioterrorisme serait alors le fait des grandes puissances impérialistes, sous-traitant leurs opérations à des mercenaires.

Les complotistes professionnels prétendent que le Covid-19 provenait de laboratoires  militaires chinois. C’est sans doute pour mieux dédouaner leur bourgeoisie nationale de son incurie habituelle lors de sa propagation. À cela – faute d’une sérieuse enquête scientifique – il faut répondre que les virus n’attendent pas les élucubrations intéressées de ces ultra-nationalistes « souverainistes » pour muter encore et toujours.

Ces mutations inéluctables sont le résultat d’une sélection dans la nature, conforme à la doctrine de Darwin[23]. S’il peut y avoir des manipulations délibérées ou accidentelles par le génie génétique, dont l’issue est incertaine (ouvrir de nouvelles boîtes de Pandore), le meilleur agent des virus les plus redoutables, c’est non « l’Homme » en soi mais le Capital lui-même.

En se propageant de façon virale à l’échelle du monde, le Capital exacerbe les pandémies, de moins en moins maîtrisables, souvent par l’effondrement des systèmes de santé (quand ils existent pour la moitié de l’humanité) et par la destruction systématique de tout l’écosystème par un capital vampire avide de profits immédiats.

C’est ce que nous verrons dans la dernière partie de cet article.

 

 

 

[1] Rosa Luxemburg, L’Accumulation du capital (1913), Agone/Smolny, Marseille/Toulouse, nov. 2019.

[2] Carmen Bernand et Serge Gruzinski, Histoire du Nouveau Monde. De la Découverte à la conquête, Fayard, Paris, 1991; Nathan Wachtel, La vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la conquête espagnole, Gallimard, Paris, 1971.

[3] Frédéric Dorel, «La thèse du ‘génocide indien’ : guerre de position entre science et mémoire», Amnis 6, 2006 (article mis en ligne).

[4] Jared Diamond, De l’inégalité parmi les sociétés, Gallimard, 2000, p. 210.

[5] La soi-disant pax mongolica fut marquée par la désintégration des khanats et des empires, l’accumulation de montagnes de crânes. La pandémie de peste noire venue d’Asie emprunta les routes du commerce pour atteindre son pic de morbidité au milieu du XIVe siècle. Sur les «routes de la soie», la guerre n’était pas une guerre en dentelles : empoisonnement des puits, introduction de la peste dans les villes qui résistaient, et destruction systématique de ses habitants (comme à Bagdad, en février 1258).

[6] Très brève relation sur la destruction des Indes, Mouton, Paris-La Haye, 1969, p. 26 et 48.

[7] Saint-Lu (André), «Bartolomé de las Casas et la traite des nègres», Bulletin hispanique, tome 94, n° 1, 1992, p. 37-43.

[8] Elikia M’Bokolo, «Le travail forcé, c’est de l’esclavage», L’Histoire, n° 302, oct. 2005.

[9] M’Bokolo, Afrique noire. Histoire et civilisations du xixe siècle à nos jours, Hatier-AUF, 2004, p. 315.

[10] Marx, Grundrisse, Éditions sociales, 2011, p. 159.

[11] Marx, Théorie sur la plus-value, tome III, Éditions sociales, p. 540.

[12] Grmek (Mirko), «Ruses de guerre biologiques dans l’Antiquité», Revue des études grecques, tome 92, fascicule 436-437, janvier-juin 1979, p. 144.

[13] L’Encyclopédie canadienne, 21 juin 2019, article «Jeffery Amherst, premier baron Amherst» : www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/amherst-jeffery-1er-baron-amherst

[14] Lepick & Binder, art. «Guerre biologique», in Dominique Lecourt, Dictionnaire de la pensée médicale, PUF, Paris, 2004.

[15] Les armées allemande et française ont utilisé les agents de la maladie du charbon et de la morve contre le bétail «ennemi» (idem, p. 555).

[16] On peut y ajouter le virus de la grippe espagnole, dont l’ARN a été retrouvé en 2002 sur des victimes enterrées dans le permafrost norvégien. La fuite involontaire ou délibérée des échantillons sauvegardés dans un ou plusieurs laboratoires pourrait engendrer une pandémie de l’ampleur de celle de 1918-1919, voire pire.

[17] Avant et pendant la seconde guerre mondiale, le Japon, le Canada, les USA, l’Allemagne se sont lancés dans des programmes d’insectes vecteurs : puces porteuses de la peste, moustiques et mouches piqueuses, doryphores dans le cas allemand. La Guerre froide fit exploser la recherche dans tous ces domaines, où les USA et l’URSS étaient les leaders. Un programme militaire américain, qui utilisait le «bon vecteur», estimait  le  taux de mortalité à  50 % dans le cas d’une attaque contre une ville, pour le modique prix de 0,29 dollar (1976).

[18] Stephen Endicott & Edward Hagerman, The United States and Biological Warfare: Secrets from the Early Cold War and Korea, Indiana University Press, Bloomington, 1998. Voir aussi : Gordon Thomas, Les armes secrètes de la CIA, Nouveau Monde, 2006.

[19] Voir : Tristan Mendès France, Dr la Mort. Enquête sur un bioterrorisme d’État en Afrique du Sud, 2002; Chandré Gould, « Armes chimiques et biologiques : leçons d’Afrique du Sud », Politique étrangère, n° 1, 2005, p. 109-121.

[20] NRBC = guerre nucléaire, radiologique, biologique ou chimique.

[21] Barry Lando, « Saddam Hussein, un procès sous influence », Le Monde, 17 octobre 2005.

[22] Patrick Berche, Une histoire des microbes, John Libbey – Eurotext, 2007, p. 258.

[23] Cf. Santé blog, 18 mars 2020 : https://blog.santelog.com/2020/03/18/covid-19-on-avance-sur-lorigine-du-coronavirus/

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