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théorie politique

Arménie–Azerbaïdjan Une petite guerre impérialiste?

Publié le 28 Janvier 2021 par Il partito comunista, sur Pantopolis

L'oléoduc BTC de la Caspienne à la Méditerranée.

L'oléoduc BTC de la Caspienne à la Méditerranée.

Nous donnons notre propre traduction d'un article du groupe internationaliste Parti communiste international (Il partito comunista, centré à Florence), publié avant le "cessez-le-feu" de décembre, conclu sous l’égide de la Turquie et de la Russie, consacrant une défaite militaire écrasante de l'Arménie face à l'Azerbaïdjan et à la Turquie. Au terme de cet "accord" l'Arménie perd la plupart de ses gains territoriaux de 1988. Elle ne doit maintenant sa survie qu'à la Russie. Celle-ci assure la garde du couloir de passage entre le Haut-Karabagh et l'Azerbaïdjan, tandis que la Turquie, aux frontières de l'Arménie gardées par quelques bases russes, peut librement faire passer ses troupes au moyen d'un couloir en Azerbaïdjan, et donc dans tout le Caucase, dont une grande partie constitue un glacis stratégique majeur pour la Russie.

Par les acteurs engagés dans ce conflit, ce conflit du Sud-Caucase, à la frontière de la Turquie et de l'Iran, est tout sauf une "petite guerre" impérialiste, une sorte de guerre d'opérette, alors que sont accumulées les destructions et les blessés bien plus nombreux que les morts. Des drones très performants ont été fournis à l'Azerbaïdjan par la Turquie.  Israël a donné aussi sa "généreuse" contribution militaire. Ce pays a trouvé  en l'Azerbaïdjan  - depuis 2012 - une base aérienne arrière contre son ennemi mortel l'Iran.

Les pays occidentaux, dont certains hommes politiques rappellent le génocide arménien perpétué par la Turquie en 1915, ont fait des démonstrations de solidarité "inquiète" avec l'Arménie. Celle-ci, comme les souffrances des populations civiles prises en otage des deux côtés du front, est bien le cadet de leurs soucis.

Les quelques larmes médiatiquement versées de la France (François Hollande) aux USA, où compte la grande communauté arménienne de Los Angeles, sont vite recouvertes par l'or noir qui coule à flots depuis la Caspienne. Depuis 2005, l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC),  transporte sur 1.776 km le pétrole brut du champ pétrolifère d'Azeri-Chirag-Guneshli sur la mer Caspienne jusqu'à la mer Méditerranée, via la Géorgie pro-occidentale et la Turquie.

Ce n'est un secret pour personne que cet oléoduc a pour but de mettre fin à toute tentative russe de livrer son pétrole et son gaz naturel aux pays occidentaux membres de l'OTAN. En juillet 2020, la Chambre des représentants a validé le renforcement des sanctions contre les sociétés européennes impliquées dans la construction du gazoduc Nord Stream 2, qui doit relier la Russie à l’Europe par câbles sous-marins.

Il ne s'agit donc pas d'une petite "guéguerre" impérialiste. Toutes les puissances majeures, sauf (pour combien de temps encore?) la Chine, sont bien présentes dans le Caucase dans la course stratégique aux matières premières stratégiques.

Si la Turquie continue à développer ses prétendus intérêts néo-ottomans de la Caspienne à l'Asie centrale, de la Syrie à la Libye, elle se heurtera inévitablement aux intérêts stratégiques de la Russie. Et comme le "meilleur ennemi" des USA (en dehors de la Chine) est la Russie, l'empire de l'Oncle Sam  fera tout tout que la Turquie redevienne un allié soumis au sein de l'OTAN. Si Erdoghan fait la sourde oreille et continue à menacer les intérêts occidentaux en Méditerranée, il sautera très haut, peut-être à la façon de l'amiral Luis Carrero Blanco en décembre 1975.

La Caspienne est donc une zone explosive de conflits, une zone non de  minables sous-guéguerres impérialistes, mais bien porteuse d'un conflit majeur entre le camp occidental et le camp russo-chinois, demain.

Le groupe bordiguiste Il partito comunista prétend qu'il est le vrai porteur du bolchevisme de 1917 dont l'aura révolutionnaire brilla jusque dans le Caucase; que seule la constitution d'un "parti communiste compact et puissant" peut faire entendre demain les trompettes éclatantes de l'internationalisme : "notre (sic) appel à l’internationalisme prolétarien et au défaitisme révolutionnaire contre la guerre bourgeoise ainsi qu’à la guerre civile révolutionnaire retentira".

Tant que des luttes révolutionnaires authentiquement prolétariennes - et non déviées par les tambours mortifères des antagonismes impérialistes - n'auront pas éclaté simultanément dans toute la zone de la Caspienne, de la Turquie à l'Iran, de la Géorgie à l'Azerbaïdjan et à l'Arménie, et bien sûr en Russie, tout ces appels (platoniques) à l'internationalisme, sans aucune troupe pour les suivre, demeureront des vœux aussi pieux que creux.

Pantopolis, 28 janvier 2021.

 

 

 

Arménie–Azerbaïdjan 

Une petite guerre impérialiste*

 

Pour la quatrième fois depuis le siècle écoulé, l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont à nouveau en guerre l’un contre l’autre sur le territoire connu sous le nom de Nagorno-Karabakh, ou haut Karabakh montagneux. Compte tenu des bulletins de guerre des deux parties, le nombre de soldats tués dépasse 5.000[1]. Un chiffre en toute probabilité gonflé, dans la propagande de guerre des deux pays, surtout si l’on ne prend en compte que les militaires. Nous savons avec certitude qu’en une dizaine de jours de combat, les victimes militaires et civiles se chiffrent déjà par centaines.

Un bref aperçu de l’histoire du Nagorno-Karabakh

Alors que près de 90 % des montagnes du Karabakh étaient habitées par des Arméniens, l’élément azerbaïdjanais prédomina dans la plaine, de sorte qu’en 1921 la région fut intégrée à l’Azerbaïdjan soviétique, tout en obtenant le statut d’oblast’ (région) autonome. Dans les décennies suivantes, celles du gouvernement «communiste» et «soviétique» de la région, la composante ethnique arménienne tomba à environ 77 %.

En 1988, les Arméniens du Nogorno-Karabakh affirmèrent leur indépendance en proclamant la République d’Artsakh, déclenchant un conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, le premier d’une série de conflits. Les causes qui ont engendré ces conflits ne pouvant être résolues, ces derniers se sont répétés. La République d’Artsakh n’a reçu aucune reconnaissance officielle d’aucun pays, pas même de l’Arménie, et à la fin de la guerre en 1994, elle est restée de facto indépendante. Déjà en 2005, à la suite d’un «nettoyage ethnique», la quasi-totalité des habitants de la République d’Artsakh étaient des Arméniens, après avoir expulsé plusieurs centaines de milliers d’Azerbaïdjanais qui vivent toujours dans des camps de réfugiés.

Il existe des rapports contradictoires quant à savoir qui a lancé la première attaque dans le conflit en cours. Quoi qu’il en soit, les deux parties se sont clairement préparées à une autre guerre. Certains rapports montrent comment les membres du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) interviennent du côté arménien et comment des hommes de «l’armée nationale syrienne», dirigée par le président turc Erdoğan, sont déployés du côté azerbaïdjanais. Bien que cela soit nié par les Arméniens et les Azéris, il n’est pas difficile de croire que les deux parties profitent de ces mercenaires endurcis. Selon un rapport du Centre syrien pour les droits de l’homme (une organisation pas toujours fiable), la Turquie a envoyé 1.200 combattants syriens pour soutenir les forces armées de l’Azerbaïdjan. La même source affirme qu’ils toucheraient des salaires oscillant entre 1.500 et 2.000 dollars par mois.

Quoi qu’il en soit, non seulement l’Arménie a perdu de nombreux villages, mais elle se retrouve dans une situation plus désastreuse que l’Azerbaïdjan, tant sur le plan interne qu’international. Le président Ilham Aliev, comme son père et prédécesseur Nazar, dirige la démocratie totalitaire de l’Azerbaïdjan. Il bénéficie du soutien d’une partie substantielle de la population, également grâce aux revenus considérables de l’État provenant des revenus pétroliers, qui ont également permis à l’Azerbaïdjan d’acheter des armes dans divers pays, dont la Turquie et Israël.

Le Premier ministre arménien Nikol Pachinian, en revanche, porté au pouvoir par une rébellion populaire, n’a pas encore relevé le défi des élections, même si pour le moment il semble lui aussi bénéficier d’un certain soutien.

Bien que des États et des organisations comme les États-Unis, la Russie, l’Union européenne et les Nations Unies aient appelé à la paix, Aliev bénéficie d’un franc et ferme soutien de la Turquie et du Pakistan, ainsi que d’un soutien militaire d’Israël.

Cela semble paradoxal : l’État juif anti-iranien prend le parti de la Turquie dominée par les Frères musulmans, qui comprend également le mouvement palestinien Hamas, qui a toujours été considéré, en paroles, comme son pire (ou son meilleur) ennemi.

La structure des alliances régionales signifie que l’Azerbaïdjan peut compter sur une supériorité aérienne décisive. Des avions de combat turcs ont abattu deux Sukhoi-25 arméniens, tandis que des drones de fabrication turque et israélienne contribuent à faire pencher le rapport de forces en faveur de l’Azerbaïdjan.

Même Macron, qui depuis la France a critiqué l’implication de la Turquie, ne soutient pas l’Arménie avec la même énergie avec laquelle la Turquie et le Pakistan soutiennent l’Azerbaïdjan. La Russie a toujours été un allié de l’Arménie, mais Pachinian est considéré par Poutine comme pro-occidental. Moscou ne permettrait certainement pas à un pays comme l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, de menacer l’existence de l’Arménie, mais il pourrait aussi permettre aux forces azerbaïdjanaises d’avancer dans le Nogorno-Karabakh.

Les deux trêves successives conclues par les parties avec la médiation russe n’ont pas arrêté les combats et les bombardements, même contre des cibles civiles, faisant de nombreuses victimes. En réalité, il s’agissait de diversions pour prendre du temps et reprendre les hostilités avec une vigueur renouvelée. Le énième cessez-le-feu conclu sous l’égide des États-Unis d’Amérique ne semble pas non plus donner de meilleurs résultats. Ces derniers jours, l’armée azerbaïdjanaise a été à l’offensive et semble avoir conquis certaines villes et villages frontaliers et vise désormais l’importante ville de Chouchi, occupée par les Arméniens en 1992.

Quel que soit le vainqueur, les prolétaires d’Arménie et d’Azerbaïdjan seront les perdants, qui en tout cas n’ont rien à gagner, ce sont eux qui des deux côtés meurent au front, subissent les bombardements, sont contraints d’abandonner leur maisons et de vivre sous des tentes ou en plein air. Bien que la guerre se déroule entre les nations arménienne et azerbaïdjanaise, ou qu’elle soit même présentée comme une guerre de religion entre chrétiens et musulmans, il s’agit en réalité d’une guerre entre États capitalistes et groupes d’États pour leurs intérêts égoïstes et pour diviser la classe des prolétaires. C’est une petite guerre impérialiste dont le but principal est de maintenir des bandes de politiciens au service de l’impérialisme au pouvoir.

La politique prolétarienne correcte face à un tel conflit est d’inviter les soldats prolétariens des deux côtés à dénoncer la guerre comme impérialiste. Sans cet appel, qui ne peut être lancé que par un vrai parti communiste, les prolétaires de la région n’ont aucun espoir de préparer leur victoire historique, perdue à cause de la contre-révolution stalinienne.

À une certaine époque, toute la région abritait un mouvement ouvrier dynamique et une tradition bolchevique établie qui a conduit à la formation de partis communistes puissants. Aujourd’hui, notre parti, héritier de la tradition de l’Internationale communiste à laquelle ces partis ont adhéré, est absent dans le Caucase. Mais demain, notre appel à l’internationalisme prolétarien et au défaitisme révolutionnaire contre la guerre bourgeoise ainsi qu’à la guerre civile révolutionnaire retentira.

Il partito comunista n° 405, 17 nov. 2020, p. 2 : “Armenia-Azerbaijan: una piccola guerra imperialista”.

 

* Prise de position du Parti communiste international (décembre 2020), tendance Il Partito comunista, Florence.

[1] En fait plus de 8.000 combattants ont péri des deux côtés du front. L’Observatoire syrien des droits de l’homme donne le chiffre de 514 mercenaires syriens, embauchés par la Turquie et morts au combat (note du traducteur).

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