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théorie politique

CHINE : NE JAMAIS OUBLIER LE MASSACRE DE LA PLACE TIANANMEN !

Publié le 25 Juin 2021 par Luc Thibaut

INTRODUCTION DE PANTOPOLIS

Nous publions cet article issu de la mouvance "gauche communiste italienne". Cet article a le mérite de donner des illustrations précises de la manière dont le capitalisme d’État chinois (associé au capital privé s'est ouvert au monde capitaliste : en montrant au capital du monde entier qu'il pouvait investir en toute sécurité dans le Royaume du milieu, qu'il ferait aussi bien que le capital occidental (et japonais), voire bien mieux, en cas de révoltes de la jeunesse ouvrière et estudiantine contre le régime.

Le régime capitaliste d’État initié par Mao en 1949, et modernisé résolument par Deng Xiaoping, à partir de 1979, ne fut pas l'expression d'une "révolution bourgeoise", dont la première expression fut celle 1911, établissant la république bourgeoise. Tchang kaï-chek et sa clique, qui écrasèrent en 1926-27 le prolétariat de Canton et Shanghai, se mirent à la tête de ce mouvement du capitalisme reposant tant sur le capital privé chinois que sur le capital étranger. Shanghai devint le phare avancé du capitalisme mondial en Asie.

La prétendue révolution de Mao en octobre 1949 consista à mettre à l'abri le capitalisme d'Etat chinois, débarrassé de sa bourgeoisie compradore, jusqu'à ce qu'il fut suffisamment armé pour s'imposer sur le marché mondial, y compris avec l'aide d'investissements privés nationaux et occidentaux. Deng Xiaping fut l'icone de cette alliance (1979) entre capital d’État et capital privé, ce dernier étant étroitement subordonné aux intérêts de l’État national et de sa classe bourgeoise organisée dans le Parti "communiste" chinois.

Quant à la fondation d'un "vrai"  Parti communiste du prolétariat chinois, cela reste du domaine de la simple conjecture. Tant que le prolétariat chinois n'aura pas saisi qu'il n'a plus rien à attendre de la croissance capitaliste en termes de salaires et de niveau de vie, il restera passif et à la remorque de l’État capitaliste chinois. La naissance d'un mouvement ouvrier révolutionnaire en Chine dépendra autant des mouvements sociaux dans les centres névralgiques du capitalisme mondial que de sa compréhension des enjeux : s'affronter à l’État chinois n'est pas une lutte pour une démocratie bourgeoise "authentique" mais une lutte contre l’État capitaliste, expression de la féroce dictature du capital sur les masses Le prolétariat chinois n'aura pas pour "amis" ou "alliés", les millions de membres de la classe moyenne, prodigieusement enrichie par l'ouverture du capitalisme d’État chinois au monde. Cette couche moyenne parasitaire a tout à perdre dans le renversement du capitalisme d’État et privé par le prolétariat chinois. Celui-ci a tout à gagner dans cette liquidation totale d'un système reposant sur la féroce accumulation de plus-value au profit du capital et sa bourgeoisie d’État. La lutte du prolétariat chinois pour le renversement de l'ordre existant est cruciale  pour l'ensemble de l'humanité.

La bourgeoise chinoise est devenue un acteur majeur de l'impérialisme. Elle peut maintenant rivaliser avec le capital occidental. Cette rivalité exacerbée ne peut que mener à une guerre mondiale, qui serait la plus destructrice que le monde ait jamais connue.

En luttant pour ses intérêts de classe contre ceux de "sa" bourgeoisie, le prolétariat chinois lutte non seulement pour une authentique libération des exploités mais pour un monde libéré de la perspective des guerres impérialistes mondiales. Pas de paix mondiale sans destruction totale du capitalisme mondial, de Pékin à Washington!

Pantopolis, 25 juin 2021.

NOTA BENE. Pour la compréhension des enjeux de la lutte du prolétariat chinois contre sa bourgeoisie (et donc contre le capital mondialisé), nous recommandons fortement la lecture de ces deux ouvrages :

Bruno ASTARIAN, Luttes de classes dans la Chine des réformes (1978-2009), Acratie, La Bussière, 2009.

Mylène GAULARD, Karl Marx à Pékin. Les racines de la crise en Chine capitaliste, Demopolis, Paris, 2014.

Chars capitalistes chinois écrasant les ouvriers et étudiants de Pékin, juin 1989.

Chars capitalistes chinois écrasant les ouvriers et étudiants de Pékin, juin 1989.

天安事件

Tian An Men Shi Jian (place Tiananmen, porte de la Paix céleste, juin 1989

CHINE : NE JAMAIS OUBLIER LE MASSACRE

DE LA PLACE TIANANMEN !

Il y a trente-deux ans apparaissaient sur nos écrans des images de chars, de véhicules en flammes, de sang et de mort dans les rues de Pékin. À la tombée de la nuit du 3 juin 1989, 40.000 soldats de la 27e Armée de “Libération” du Peuple se dirigeaient sur la capitale chinoise avec l’ordre d’écraser six semaines de manifestations et de protestations des étudiants et des ouvriers chinois, et de mettre ainsi fin à leurs demandes de changement politique et économique. La bourgeoisie chinoise montrait ainsi ouvertement au monde son caractère capitaliste et comment le capitalisme se comportait quand les ouvriers se révoltaient, comme l’avait fait, la très démocratique et républicaine bourgeoisie française en 1871 avec le massacre de la Commune de Paris!

Dans les semaines précédentes au 3 juin, la Chine, Pékin en particulier, avait vécu des moments extraordinaires. L’occupation par les étudiants de la Place Tiananmen était devenue le point de mire d’un mouvement ouvrier naissant. Dans de nombreuses villes, une Fédération indépendante autonome des ouvriers était active. Depuis le 20 mai, le mouvement continuait malgré la proclamation de la loi martiale; le gouvernement central était divisé et paralysé. Cette paralysie ne dura pas. Les récits des témoins montrent comment les militaires ont orchestré la terreur pour reprendre la capitale :

«... sur un ordre, les soldats levèrent leurs fusils et tirèrent une fois sur les résidents et les étudiants, qui tombèrent au sol. Dès que les coups de fusils s’arrêtèrent, d’autres couraient aider les blessés. Les marches d’une clinique près de Xidan étaient déjà couvertes de sang. Mais la lutte au carrefour ne s’arrêtait pas. Des blindés écrasaient les barricades, renversant voitures et autobus. Le peuple sans armes n’avait que des briques... On leur renvoyait des balles... Les gens se dispersèrent, fuyant pour tenter d’avoir la vie sauve. Les soldats les suivirent en tirant. Même quand les résidents courraient dans des cours intérieures ou des buissons, les soldats les rattrapaient et les tuaient» (1)

« ... J’ai rencontré F., qui m’a raconté comment les premiers chars ont écrasé les barricades, renversant les gens sur le toit des autobus qui prenaient aussitôt feu. À présent, les camions avaient le chemin libre pour aller vers l’est, à la queue leu leu; leur lenteur suggérait des batailles plus loin devant eux. La ville entière semblait en un état d’indignation et d’agitation extrême. Dans les petites rues autour de l’Avenue Changan, nous étions des milliers qui criaient à l’unisson, dans les intervalles entre les coups de feu : “Brutes !”‘ “Li Peng - fasciste !” et “Faisons la grève !” Mais les soldats répondaient en tirant, tuant ceux qui ne se mettant à l’abri assez vite ou qui ne faisaient pas attention aux balles. On voyait constamment des gens tomber par terre et être emmenés dans un hôpital local, mais l’esprit d’indignation tranchait sur tout sentiment de peur. » (2)

« ... plusieurs centaines de personnes (pas seulement des étudiants) apparurent dans la rue. Ils couraient derrière les camions et criaient des mots d’ordre de protestations. On a jeté quelques pierres. Les soldats ont tiré des balles. La foule s’est jetée par terre, mais s’est ensuite relevée pour suivre le convoi à nouveau. Plus les soldats tiraient de balles, plus la foule était déterminée et indignée. Ils ont soudain commencé à chanter l’Internationale ; ils se sont armés avec des pierres qu’ils lancèrent vers les camions. Il y avait aussi quelques cocktails Molotov et on avait mis le feu au dernier camion. » (3)

Les ouvriers de Pékin pourraient raconter des milliers de tels témoignages. Par dizaines de milliers, ils ont renforcé les barricades et les obstacles qu’ils avaient érigés pour défendre leur ville et leurs objectifs politiques. Des centaines furent abattus dans la rue, écrasés sous des blindés ou massacrés à coup de matraque et de baïonnette en essayant d’arrêter les troupes. Les pertes furent les plus lourdes dans les banlieues ouvrières à l’est et à l’ouest de la Place Tiananmen. Le nombre exact de personnes tuées cette nuit n’a jamais été déterminé, mais on estime que jusqu’à 7.000 personnes furent tuées et au moins 20.000 blessées.

Même aujourd’hui le gouvernement chinois justifie ses actions avec le même mensonge odieux qu’avançait le «chef suprême» octogénaire DengXiaoping, interdisant d’ailleurs toutes manifestations pour commémorer ce terrible massacre. Dans un discours du 9 juin 1989, il dénonçait le mouvement que son régime avait noyé dans le sang pour être une « rébellion contre-révolutionnaire » qui essayait de renverser le système socialiste.

L’étude de l’histoire et des faits montre qu’il n’y a aucun fondement aux affirmations selon lesquelles le massacre de Tiananmen fût le résultat d’une confrontation entre un gouvernement « communiste » et un mouvement « procapitaliste ».

Affirmer cela n’est possible que si l’on ignore à la fois le vrai caractère du régime capitaliste qui dirige la Chine depuis 1949 et les caractéristiques et revendications complexes du mouvement qui s’est développé en Chine au mois de mai 1989.

S’il est évident que la large majorité des étudiants et des travailleurs avaient de profondes illusions sur « la démocratie occidentale », ils avaient aussi une croyance profonde aux principes d’égalité et de justice sociales. Le mouvement de 1989 exprimait le mécontentement et la haine longtemps réprimés contre le capitalisme chinois… à la sauce «communiste».

Les tensions sociales de 1989 furent engendrées par l’impasse économique et politique à laquelle avait mené la perspective de l’autosuffisance économique nationale et du «socialisme en un seul pays». Les années 1980 furent celles d’un changement important au sein des régimes en URSS, en Europe de l’Est et en Chine, confrontée par la stagnation et l’effondrement économique. Ce changement avait pour but l’intégration de leurs économies dans le marché capitaliste international, une perspective accomplie en détruisant systématiquement les conditions de vie et de travail de la majorité de la population.

L’idée du “nouveau bond en avant” réjouissait la totalité de l’occident capitaliste. Des personnalités telles que Mikhaïl Gorbatchev, le dirigeant de l’URSS, et Deng Xiaoping en Chine, étaient décrites comme des visionnaires ou des réformateurs. Les expressions russes perestroïka (réforme économique) et glasnost’ (réforme politique) paraissaient tellement souvent dans les médias qu’elles étaient passées dans l’usage. En 1985, les magazines américains Time et National Review ont tous deux nommé Deng « L’homme de lannée » !!!

À partir de 1979, Deng Xiaoping introduisit une série de réformes du marché qui ouvraient de vastes régions du pays aux transnationales. Au milieu des années 1980 les prix de plusieurs produits industriels et de consommation étaient fixés par les lois du marché, et un «libre marché» du travail trouvait les conditions propices à son développement avec la révocation du plein emploi garanti, la fin d’une garantie d’emploi à vie pour les ouvriers employés par le secteur étatique, et la croissance du secteur non étatique de l’économie.

Les réformes ont donné lieu à une course folle à l’accumulation des richesses chez les bourgeois chinois (aussi bien dans le secteur privé que dans le public) qui étaient en position de s’octroyer à eux-mêmes les terres et les contrats, de mettre en place la réglementation nécessaire pour le développent de leurs entreprises, ou carrément de s’enrichir à l’aide de vols et pots de vin. En utilisant leur pouvoir politique et leurs relations, les cadres du Parti “communiste” ont pu former le noyau d’une classe capitaliste moderne à la fin des années 80.

Une étude menée en 1984 dans une province rurale, par exemple, a trouvé que les membres du Parti formaient 43 pour cent des ménages « prospères », sans compter leurs amis ou leurs associés (4). L’étude «Le Village Chen» nous donne un aperçu de la façon par laquelle les membres du Parti se sont enrichis lors de la distribution des biens collectifs :

« En tant que secrétaire du parti, Qingfa a reçu la part du lion. Il y avait un grand bosquet de bambous géants le long de la rivière ; plutôt que le vendre aux enchères, le comité [du Parti] a décidé de laisser Qingfa le prendre pour 10 yuans (six yuans valent environ un dollar). Ce bosquet valait bien 100 fois cette somme. Il s’est approprié, sans payer, une colline couverte de chèvrefeuille planté les années précédentes pour la clinique. Il a fait louer des bulldozers à la brigade pour aplanir le terrain occupé par une digue inachevée. S’octroyant une grande partie du terrain, il employa des journaliers pour le travailler » (5).

 

La façon dont s’est développée la nouvelle bourgeoisie rurale n’est rien par comparaison aux occasions bien plus lucratives qu’offraient les milieux urbains, surtout les rapports avec le capital étranger dans les zones économiques spéciales. Selon le journal britannique The Economist, plus de 10.000 compagnies avaient des « liens privilégiés avec des bureaucrates du Parti. 134 de celles-là peuvent se vanter d’avoir de hauts fonctionnaires (des ministres ou leurs équivalents) parmi leurs salariés.»

Les enfants des plus hauts membres du gouvernement, qui reçurent tôt le titre de «dauphins», en sont l’exemple le plus évident. Les fils de Deng Xiaoping et de Zhao Ziyang, le premier ministre chinois, étaient les plus connus des « dauphins » qui, à la fin des années 1980, s’associaient aux sociétés commerciales en utilisant les fonds de l’État chinois soit pour spéculer dans l’immobilier, soit pour acheter et revendre sur le marché chinois des produits de consommation qui étaient fabriqués ou importés dans les zones économiques spéciales, tandis que les très estimés « entrepreneurs socialistes» accumulaient les profits. Ce processus était facilité par une orgie d’emprunts contractés par le gouvernement national et les régionaux, qui fit passer la dette étrangère chinoise de presque rien qu’elle était en 1979 à plus’ de 50 milliards de dollars américains en 1990.

Liu Binyan, un journaliste chinois, décrivit l’année 1988, l’annéetoutes les provinces côtières chinoises furent ouvertes aux activités du capital privé etles règlementations sur le crédit bancaire furent annulées, comme l’époque«les membres des strates bureaucratiques, de la plus obscure à la plus importante, usant de leurs privilèges spéciaux solidement défendus, commencèrent un pillage sans précédent de l’économie chinoise, s’arrogeant des milliards de yuans en biens publics». (6)

Tandis que la bureaucratie s’enrichissait, la majorité des Chinois voyait s’éroder leur sécurité de l’emploi et leur pouvoir d’achat. La dissolution des fermes collectives et la redistribution des propriétés firent que des millions d’anciens paysans se retrouvèrent sans terres. En 1989, ne pouvant trouver d’emplois dans les régions rurales, plus de 50 millions de Chinois, surtout de jeunes ouvriers, venaient gonfler d’immenses mouvements de migration intérieure vers les villes et les zones économiques spéciales pour chercher du travail. Vers la fin des années 80, la production des céréales entrait en crise tandis que les entrepreneurs ruraux utilisaient leurs terres pour produire des substances plus lucratives.

Dans un climat d’exploitation généralisée, de spéculation, et de croissance incontrôlée de la masse monétaire, le pays souffrait d’une inflation permanente et d’une pénurie de nourriture et d’autres produits essentiels. En mars 1988, le chef du parti Zhao Ziyang déclara que le peuple chinois devait «apprendre à nager dans la mer de l’économie de marché». À la fin de cette année il devenait clair que la population chinoise… s’y noyait. Le taux d’inflation officiel atteignait 19% (plus de 30% dans les villes) et le chômage montait. L’industrie souffrait constamment de pénuries en ressources énergétiques ou en matières premières, ce qui résultait en de fréquentes fermetures d’usines. La production agricole avait chuté trois ans de suite, nécessitant l’importation massive des céréales. La dette nationale grandissait à une allure incontrôlable.

Confronté à des déficits budgétaires et commerciaux records dus à sa propre politique, le gouvernement central imposa dans les derniers mois de 1988 des mesures extraordinaires d’austérité, annulant le crédit facile et réduisant massivement les dépenses publiques. À travers toute la Chine, le boum du développement immobilier et industriel, qui avait été basé sur l’endettement, s’effondra aussitôt; les sociétés licenciaient leurs ouvriers et essayaient de réduire les salaires et pertes, et tous les niveaux du gouvernement chinois réduisaient leurs dépenses pour l’éducation et les services sociaux. Dans de vastes couches de la population, c’était le coup de grâce de toutes les illusions sur les “réformes” et le “marché socialiste”, et sur la confiance dans le régime.

À la fin de 1988, les rapports de police notaient avec inquiétude la «croissance alarmante» des grèves et des réunions publiques. Tout ce qui manquait pour un mouvement social généralisé contre le régime était l’étincelle du mouvement étudiant d’avril 1989.

Les origines du mouvement étudiant de 1989

Les principales influences qui marquèrent le mouvement étudiant dataient de la décennie précédente. Après avoir vigoureusement réprimé les couches intellectuelles qui attaquaient le gouvernement, le régime encouragea un débat public pour tenter de favoriser le marché et obtenir un soutien idéologique aux réformes qu’entreprenait la bourgeoisie chinoise. La politique générale de l’appareil d’État au cours des années 1980 était de se rapprocher des classes moyennes de la société en leur promettant un niveau de vie supérieur.

Très conscientes que les réformes du marché élargiraient les conflits continus entre l’État bourgeois et la classe ouvrière, le Parti « communiste » avait décidé de ne pas relâcher sa dictature de peur que cela n’incite une contestation de sa domination. Le mouvement Solidarnoc en Pologne en 1980-81 renforça sa crainte. Par contre, pour de considérables secteurs de la petite bourgeoisie professionnelle et intellectuelle, les promesses des “réformes du marché” ne se concrétisaient pas. Entretemps l’inflation et les difficultés économiques touchaient toutes les couches sociales.

La mort, le 15 avril 1989, de l’ancien dirigeant du parti Hu Yaobang, qui avait perdu son poste’ deux ans auparavant après avoir accordé son appui aux étudiants qui manifestaient pour la réforme, va être l’occasion pour que s’exprime la révolte de Tienanmen.

« Celui qui n’aurait pas dû mourir est mort. Ceux qui devraient mourir vivent » devint un slogan répandu sur les campus où le mécontentement sur la direction de la société était le plus radicalement exprimé. Des réunions à la mémoire de Hu Yaobang, qui chantaient ses mérites comparés à ceux de ses remplaçants, firent place à des appels pour l’augmentation du budget de l’éducation et pour la liberté de la presse, le droit de former des associations étudiantes indépendantes du Parti et la réhabilitation des intellectuels tombés en disgrâce.

L’expression de ces revendications prit presque naturellement la forme de manifestations journalières au centre symbolique de la protestation politique en Chine: l’immense Place Tiananmen au centre de Pékin, le site des monuments de l’État et autour de laquelle se regroupaient les grands bâtiments du gouvernement. Après plusieurs journées de protestations, et malgré un édit interdisant la place au publique, le 22 avril pour les funérailles de Hu Yaobang, des dizaines de milliers d’étudiants remplirent la place portant des bannières demandant des réformes démocratiques ou qui rappelaient comment Hu Yaobang avait été renvoyé comme secrétaire-général du parti.

Le régime garda silencieux sur ces demandes. De plus en plus radicalisés, des représentants étudiants de 21 universités et facultés se réunirent le lendemain pour former la Fédération autonome des étudiants universitaires de Pékin. (7)

Une grève étudiante se déclara et les étudiants lancèrent l’appel au peuple de se joindre à leurs manifestations sur la place Tiananmen jusqu’à ce que le gouvernement reconnaisse et se réunisse avec l’organisation étudiante.

Les fédérations autonomes des ouvriers

À côté des étudiants, l’embryon d’un autre mouvement se développait avec un caractère très différent et ayant des buts politiques aussi très différents. Parmi les 100 000 personnes réunies sur la place le 22 avril, à l’occasion des funérailles de Hu Yaobang, se trouvaient des groupes de jeunes ouvriers industriels qui avaient fondé le 20 avril la Fédération Autonome des Ouvriers de Pékin (Gongzilian).

La formation d’une organisation ouvrière indépendante fut annoncée dans deux tracts qui furent distribués sur la Place ce jour-là. Ils abordaient ouvertement la question de la division de classes qui séparait les dirigeants des ouvriers. Un tract dénonçait la richesse personnelle des enfants de Deng Xiaoping, entre autres condamnations des privilèges de la bureaucratie d’État et demandait une explication des « défaillances » des réformes économiques. L’autre dénonçait le « déclin continu du niveau de vie du peuple » qu’il attribuait au « contrôle prolongé par une bureaucratie dictatoriale » et demandait la stabilisation des prix. Il concluait par une demande qui aura un large écho au sein des ouvriers chinois: que les vrais revenus et les vraies richesses des bureaucrates soient rendus publics !

La formation des fédérations autonomes des ouvriers, prônant un assaut généralisé contre les privilèges et les positions des fonctionnaires, menaçait le régime chinois d’un mouvement selon le « modèle polonais »: un mouvement ouvrier de masse qui mettrait en cause l’existence même du régime chinois.

Tous les dirigeants du parti se mirent d’accord sur le fait que les manifestations étudiantes devaient prendre fin, ainsi que leurs tentatives de mettre en mouvement d’autres couches sociales. Les failles que causait le mouvement des étudiants dans le système du contrôle par l’État risquaient de se terminer en une inondation de mécontentement de la classe ouvrière.

Le 26 avril le gouvernement interdit tout rassemblement ou manifestation non-autorisé, déclara illégaux les discours et la distribution de tracts et mit les étudiants en garde contre le fait d’aller dans « les usines, les campagnes, et les écoles ». Un éditorial parut dans l’organe officiel de l’État, le Journal du Peuple, défendant les mesures décidées par le gouvernement avec le titre : «Il faut se déclarer fermement contre les troubles». Cet éditorial, qui selon certains aurait été dicté personnellement par Deng Xiaoping, décrivait explicitement les accusations faites contre les dirigeants du Parti dans les tracts ouvriers du 22 avril comme un « complot orchestré » pour renverser le gouvernement, en « exploitait » les funérailles pour Hu Yaobang.

Les décrets gouvernementaux et l’insinuation que les étudiants auraient été manipulés par d’autres forces sociales, déclencha une grande colère parmi les étudiants et les poussèrent à défier le gouvernement. Plus de 80 000 étudiants venant de plusieurs douzaines de campus marchèrent sur Tiananmen le 27 avril.

En réponse aux menaces du gouvernement qui demandait aux étudiants de ne pas aller dans les usines, des groupes d’étudiants quittèrent la place Tiananmen pour gagner les quartiers résidentiels et y organisèrent des manifestations jusque tard le soir. Un appel fût lancé pour un rassemblement de masse le 4 mai pour manifester pour les revendications de l’organisation étudiante.

Un nouvel élément se manifesta lors de la marche du 27 avril. Non seulement de grandes foules de Pékinois enthousiastes se groupèrent le long du parcours des manifestations pour l’applaudir et montrer leur appui, mais encore des dizaines de milliers de travailleurs marchèrent avec les étudiants. Ces évènements consternèrent le gouvernement à la fois à cause de l’audace des étudiants et de l’importance du soutien populaire qu’ils avaient pu obtenir quasi instantanément. Cela eut pour effet de diviser le régime alors qu’un furieux conflit interne se développa sur la façon de calmer la situation.

Une partie du gouvernement, dont faisait partie Deng Xiaoping, prônait le déploiement immédiat de troupes pour rétablir l’ordre, une position que ne gagna pas son approbation immédiatement. Des couches de la bureaucratie de l’État, dirigées par le secrétaire-général du Parti communiste, Zhao Ziyang, proposaient des concessions aux demandes des étudiants et des couches moyennes pour obtenir une base sociale qui les soutiendrait contre l’opposition grandissante des travailleurs industriels envers les réformes du marché.

Non seulement le régime se réunit-il avec les représentants des étudiants, mais il fit savoir aux médias qu’ils pouvaient faire des reportages sur le mouvement étudiant. Un débat entre un haut fonctionnaire et un dirigeant étudiant passa à la télévision nationale. On augmenta les budgets universitaires. Et geste symbolique pour calmer la colère contre la corruption, on déclara illégale l’importation des limousines. Les appels des étudiants furent le centre de la discussion politique en Chine. La seule revendication sur laquelle le régime refusait de céder du terrain était celle de la reconnaissance des organisations autonomes d’étudiants, car cela aurait légitimé les mouvements ouvriers qui tentaient d’établir des syndicats et des associations politiques indépendantes.

En faisant ces compromis, le régime chinois se basait sur le fait que la plupart des étudiants étaient les enfants et les héritiers de l’élite bureaucratique ou des couches moyennes qui aspiraient aux mêmes privilèges qu’elle. Du point de vue de leurs intérêts de classe, une importante couche d’étudiants s’inquiétait de l’activité politique grandissante de la classe ouvrière.

Parmi les étudiants et les intellectuels, Zhao Ziyang était fêté comme un Gorbatchev chinois potentiel. La marche sur Tiananmen du 4 mai prit donc le caractère d’une célébration qui tournait mal. Le fait que 250.000 ouvriers s’étaient joints aux 60.000 étudiants produisit la zizanie dans le mouvement des étudiants !

Gênée par la présence grandissante des ouvriers, qui ne faisaient aucune distinction entre les différents rouages bureaucratique et dirigeaient leurs slogans contre l’inégalité sociale causée par le marché, une partie des étudiants quitta tout simplement l’activité politique.

La grève de la faim

À partir du 4 mai, une division très claire se forma parmi les étudiants. De nouvelles personnalités prirent les devants - Wang Dan, Chai Ling, et Wuer Kaixi. Zhao Ziyang croyait pouvoir utiliser les étudiants, et eux croyaient pouvoir utiliser le soutien de la population pour obtenir de plus grandes concessions, Pour obtenir le plus de pression possible et avoir le maximum de publicité, les étudiants adoptèrent l’avis de l’étudiante en psychologie Chai Ling, qui se basait sur Mahatma Ghandi.

Elle proposa une grève de la faim des étudiants au monument aux Héros de la Révolution au centre de la place Tiananmen,Gorbatchev devait déposer une gerbe le 15 mai sous les yeux des médias internationaux. Le 13 mai, 500 étudiants marchèrent sur Tiananmen et élevèrent des tentes autour du monument pour commencer leur grève de la faim. Ce faisant ils commencèrent ce que certains ont nommé « Le Printemps de Pékin » et comparé à la Commune de Paris de 1871.

Le 15 mai, un demi-million d’étudiants, d’ouvriers et d’autres Pékinois se rassemblèrent rassemblés sur la Place Tiananmen. Le caractère du mouvement politique chinois vira à gauche, se définissant à présent par les activités en masse des ouvriers industriels et le rôle grandissant des fédérations autonomes des ouvriers. Depuis le moment de sa création, la Fédération Autonome des Ouvriers de Pékin ou de la Capitale - comme elle se renomma - avait mené une campagne d’agitation, visitant les usines pour obtenir leur soutien et recruter ses adhérents. Elle avait participé aux rassemblements du 27 avril et du 4 mai, mais par précaution ne l’avait pas fait sous sa propre bannière.

La décision des étudiants d’occuper Tienanmen permit à la Fédération de commencer sa vie publique en une sécurité relative. En établissant un QG dans une tente aux abords nord-est de la place, elle engagea une propagande continuelle parmi le nombre croissant d’ouvriers qui venaient sur la Place à la recherche de discussions et d’une organisation politique.

La semaine du 13 au 20 mai vit les plus grandes manifestations de l’histoire chinoise d’après-guerre. On estime que jusqu’à 2.000.000 de personnes défilèrent dans le centre de Pékin, la plupart étant des ouvriers et leurs familles qui marchaient sous les bannières de leur entreprise ou unité de travail; des étudiants venus de toute la Chine; des paysans de régions rurales avoisinantes; des enseignants, des fonctionnaires, et des journalistes.

Des milliers joignirent la Fédération ouvrière. Un flot continu de délégués des usines et des unités de travail se rendaient à son QG pour prendre de la documentation et donner des fonds. À la fin du mois de mai, la Fédération avait 150 organisateurs à plein temps sur la place, avait adopté une Constitution, élu des comités dirigeants, établi une garde ouvrière pour protéger les manifestants, avait une presse, et avait érigé un système de hautparleurs qui permettait ainsi, chaque soir, que des foules immenses puissent écouter les discours politiques. Un exposé qui fut distribué au cours de cette semaine résume le point de vue politique avancé par la Fédération:

« La tyrannie des fonctionnaires corrompus n’est rien de moins qu’extrême ... Le peuple ne croit plus aux mensonges du pouvoir car sur nos bannières apparaissent les mots : science, démocratie, liberté, droits humains, primauté des lois ... Nous avons consciencieusement documenté l’exploitation des ouvriers. La méthode pour comprendre l’exploitation est basée sur la méthode d’analyse du Das Kapital de Marx... Nous étions étonnés de trouver que les “fonctionnaires du peuple” ont dévoré toute la plus-value créée par le travail et le sang du peuple. La valeur totale de cette exploitation arrive à une somme sans pareil dans l’histoire! Une telle cruauté est imbibée des caractères chinoises ».

Le document appelait à l’investigation de la « consommation matérielle et l’usage des résidences somptueuses » de Deng Xiaoping, Zhao Ziyang, Li Peng, Chen Yun, Wan Li, Jiang Zemin, et leurs familles, entre autres. «Leurs biens devraient être saisis immédiatement et soumis à l’examen d’un comité national populaire d’investigation», ajoutaient-ils.

 « Le peuple a maintenant une conscience politique », poursuivaient-ils. « Ils ont reconnu qu’il y a deux classes : les dirigeants et les dirigés ... et que les mouvements politiques des quarante dernières années n’ont été que le moyen politique d’écraser le peuple».

À la suite des évènements à Pékin, des fédérations autonomes des ouvriers se formèrent dans de grandes villes de toute la Chine, comme Changsha, Shaoyang, Xiangtan, Hengyang, et Yueyang.

La loi martiale

L’entrée en masse des ouvriers dans la lutte mit un terme aux discussions au sein de la bourgeoisie chinoise sur l’utilisation ou non de la force. La soirée du 20 mai, le premier ministre Li Peng déclara la loi martiale et Zhao Ziyang fut placé en résidence surveillée. Cent mille soldats de la région militaire de Pékin marchèrent sur la ville. La classe ouvrière répondit à la loi martiale par des actes en masse. Plus d’un million de Pékinois s’assemblèrent au centre de la ville le 21 mai pour protéger les grévistes, et de nouveau les jours suivants.

À l’appel de la Fédération des ouvriers, des groupes d’étudiants et d’autres groupes indépendants, les ouvriers barricadèrent les rues de Pékin qui menaient à la place. Des jeunes en mobylettes se firent confier la tâche de surveiller l’arrivée des troupes. Des compagnies mobiles, prêtes à mourir s’il le fallait, furent établies pour marcher rapidement sur les régions en émeute. Quand les soldats entrèrent dans les banlieues de Pékin le 23 mai, des milliers d’ouvriers et d’étudiants allèrent à leur rencontre pour expliquer ce qui se passait à Pékin.

Selon un récit des évènements de la journée : « La loi martiale déclarée par Li Peng et sa bande a jusqu’ici autant de poids qu’une page blanche. Les soldats sont persuadés par le peuple et les étudiants émus; certains parmi eux étouffent en sanglots et certains soldats pleurent aussi. Bon nombre de soldats s’en sont allés avec leurs camions ». De peur que les soldats se joignent aux ouvriers, le 24 mai les unités militaires de Pékin furent …complètement retirées de la ville par le gouvernement !

Des manifestations de masse avaient lieu à travers la Chine pour soutenir Pékin. À Pékin, toute trace observable d’autorité gouvernementale semblait s’être évaporée. Les étudiants et les ouvriers s’occupaient de diriger la circulation, de coordonner les services essentiels et de protéger les biens contre d’éventuels actes criminels, bien que les pickpockets pékinois eux-mêmes aient déclaré une grève de soutien aux étudiants !

La production s’arrêta presque entièrement tandis que les ouvriers assistaient en masse aux rassemblements !

Le 25 mai la Fédération des ouvriers et les groupes étudiants organisèrent une manifestation de près d’un million d’ouvriers. Le caractère des mots d’ordre et des sentiments de l’organisation ouvrière devenait plus clairement insurrectionnel. Un communiqué du 26 mai déclarait que :

« Notre pays fut créé par nos luttes et nos labeurs, nous, les ouvriers, et de tous les travailleurs intellectuels ou manuels. Nous sommes de droit les chefs de la nation. Nous devons nous faire entendre sur les questions nationales. Nous ne devons absolument pas permettre à cette petite bande de crapules dégénérées du pays et de la classe ouvrière d’usurper notre nom et de réprimer les étudiants, assassiner la démocratie et mépriser les droits humains. »

Un autre communiqué disait que :

« La lutte finale est arrivée... Nous avons vu que les gouvernements fascistes et les dictatures staliniennes rejetées par des centaines de millions de personnes n’ont pas voulu, et en effet ne voudront pas, se retirer volontairement de l’histoire ... Prenons d’assaut cette Bastille du vingtième siècle, cette dernière place-forte du stalinisme ! » (8)

À ce moment, le mouvement étudiant était dominé par les débats sur le temps qu’il fallait poursuivre l’occupation de Tiananmen. Beaucoup d’étudiants pékinois étaient retournés à leurs campus après la déclaration de la loi martiale et leur organisation proposa de se retirer de la place, décision à laquelle Chai Ling prêta d’abord son soutien, et qui en fût plus tard empêchée par l’intervention de groupes étudiants ne provenant pas de Pékin.

Avec chaque jour qui passait, de plus en plus de régions de la Chine prenaient part aux luttes politiques. Ceux qui dirigeaient presque par hasard le mouvement étudiant étaient dépassés et confus par l’importance des évènements. Aussi courageux qu’ils aient pu être, ce n’étaient pas des personnes qui étaient préparées, politiquement ou psychologiquement, à diriger un tel mouvement. Il n’y a pas de preuve que les gestes d’étudiants (comme Chai Ling et Wang Dan qui lancèrent la grève de la faim le 13 mai) furent un facteur déterminant des évènements qui suivirent. Mais leur perspective politique se basait sur l’espoir d’un compromis avec l’État bourgeois chinois. A’ la place de ce compromis arriva un sanglant massacre.

Des tensions grandissantes finirent par dominer les relations entre la Fédération des ouvriers et les organisations étudiantes à Tiananmen. Les étudiants se rendaient compte que la primauté des ouvriers et de leurs revendications rendait toute discussion avec l’État impossible, mais ils ne voulaient toujours pas soutenir les revendications que proposait la Fédération des ouvriers pour étendre le mouvement anti-gouvernemental. Le 28 mai, tandis que l’armée marchait sur la ville, les groupes étudiants rejetèrent l’idée de la Fédération des ouvriers d’un appel à la grève générale. À la place de cet appel, les étudiants proposaient de convoquer un Congrès national populaire pour discuter leurs revendications politiques. C’était une formation qui comprenait presque exclusivement des fonctionnaires haut placés, dont leurs intérêts étaient l’oppression continue des masses chinoises.

La crise de perspective politique

Pendant deux semaines, Pékin restera dans une grande ébullition populaire. Le régime, cependant, n’était pas inactif ! Si les concessions de Zhao Ziyang ne calmaient pas les étudiants, Deng Xiaoping utilisait cette période pour redonner courage et unité à l’État central du capitalisme chinois, en préparation du massacre des ouvriers pékinois.

280.000 soldats de la 27e armée, une unité basée dans les provinces paysannes et très loyale à Deng, se dirigèrent sur la capitale, et arrivèrent le 1er juin. Des décennies de contre-révolution stalinienne et de répression active du marxisme en Chine signifiaient qu’il n’y avait pas parmi les ouvriers de véritable tendance socialiste révolutionnaire. Aucune organisation à l’intérieur du pays ne pouvait avancer un programme implicitement classiste de la classe ouvrière chinoise: une révolution politique pour renverser le régime capitaliste et promouvoir des transformations économiques et politiques au bénéfice des ouvriers.

La fin des manifestations sur la Place Tiananmen

Les premiers chars entrèrent sur la Place le matin du 4 juin, écrasant la tente du QG de la Fédération Autonome des Ouvriers et tuant les 20 dirigeants qui y coordonnaient toujours la résistance à l’armée. Le contrôle militaire de la capitale était le signal pour une terreur à l’échelle nationale. Tandis que les nouvelles sur Pékin se répandaient, les manifestations spontanées qui avaient fait éruption dans tout le pays, furent réprimées brutalement, avec la mort de centaines d’étudiants et d’ouvriers.

Environ 40.000 personnes furent arrêtées au cours des seuls mois de juin et juillet, la plupart étant des membres ou des contacts des fédérations des ouvriers. Des douzaines d’ouvriers furent condamnés à mort et exécutés et dans certains cas fusillés publiquement. Pour l’exemple ! Des centaines d’ouvriers croupirent dans les prisons. La répression s’étendit à tous les niveaux de la société chinoise, tandis que tous les citoyens devaient participer à des « autocritiques », racontant leurs «erreurs» du mois d’avril et de mai. Ceci dans le plus pur style des procès staliniens qui vit le massacre de la vielle garde bolchévique dans les années 30 en Russie.

La plupart des étudiants furent traités différemment. Les grévistes de la faim et plusieurs milliers d’étudiants qui étaient restés au monument aux Héros de la Révolution lorsque les troupes occupaient Pékin entrèrent en négociations et il leur fut permis de rentrer à leurs campus. La plupart des dirigeants étudiants furent discrètement exilés. Les étudiants arrêtés reçurent généralement des sentences plutôt légères ; les inscriptions à l’Université de Pékin furent réduites pendant plusieurs années, mais furent rétablies à un niveau comparable quelques années plus tard.

Le contenu de classe du massacre à Tiananmen est le plus clairement mis en évidence par les réactions des hommes politiques, des médias et des bourgeoisies occidentales. La vague de « condamnation et d’indignation » de juin et juillet 1989 fit place aux considérations bien plus pragmatiques du … « profit commercial ». L’économie de marché à ses règles ! Une fois qu’il fut clair que le régime bourgeois chinois avait stabilisé « la situation politique», le fait qu’il poursuivrait ses réformes du marché capitaliste, en utilisant les mesures les plus répressives contre les ouvriers, fût carrément célébré parmi les hommes d’affaires chinois expatriés et parmi les dirigeants des multinationales à travers le monde. Le massacre de Tiananmen était comme une publicité mondiale pour l’investissement ! En Chine, aucune opposition à l’oppression et l’exploitation.

À partir de 1990, les investissements en Chine augmentèrent à des vitesses vertigineuses ! Durant la seule année 1994, les investissements qui furent faits en Chine étaient plus élevés que dans toute la décennie de 1979-1989 !!! Le meilleur exemple des larmes de crocodile pour les massacrés à Tiananmen nous a été donné par Bob Hawke, qui était alors premier ministre d’Australie. Il fondit en larmes à la télévision nationale en 1989 en voyant les scènes de Pékin. Plusieurs années plus tard, à la fin de sa carrière politique, il devint conseiller pour les compagnies qui voulaient investir en Chine, en utilisant tous ses contacts personnels avec les bourgeois chinois !

Une fois que la classe ouvrière chinoise fut matée et qu’une génération de jeunes dirigeants révolutionnaires furent massacrée, mis en prison ou exilés, le régime accéléra le développement du capitalisme en Chine. Les années 1990 virent l’achèvement du processus initié en 1979. Le Congrès national populaire de 1999 éleva la propriété privée au même statut que l’industrie de l’État. C’était l’acte constitutionnel final qui reconnaissait ouvertement la présence des rapports sociaux capitalistes et terminait la mauvaise plaisanterie que la Chine soit une forme quelconque de société communiste !

Une nouvelle vague de mécontentement des ouvriers chinois contre la bourgeoisie est néanmoins inévitable et de nombreux indices sociaux indiquent qu’elle approche. (9) (10)

Dans cette lutte, les ouvriers auront à affronter le même problème politique auquel ils ont fait face en 1989: la nécessité d’une perspective politique indépendante des démocrates petits-bourgeois. Le courage et la détermination ne suffisent pas cependant.

Un parti communiste révolutionnaire doit naître dans la classe ouvrière chinoise. La révolution bourgeoise a été faite, reste à faire la révolution prolétarienne!

Luc Thibault, juin 2021.

Notes

  1. Beijing’sUnforgettableSpring,LiuBinyanetXuGang,décrivantles évènements au carrefour Xidan à 2 km à l’ouest de Tiananmen, pp. 59-60.
  2. Beijing Diary, de Lu Yuan, p. 16.
  3. Amnesty International Report, du 30 août, 1989.
  4. The Deng Xiaoping Era : an inquiry into the fate of Chinese socialism 1978- 1994, de Maurice Meisner, p. 315.
  5. Chen Village : the recent history of a peasant community in Mao’s China, de Anita Chan, Richard Madsen, et Jonathon Unger, cité dans The Deng Xiaoping Era p. 316.
  6. China’s Crisis, Liu Binyan, p. 69.
  7. Fédération autonome des étudiants universitaires de Pékin. (https://fr.wikiqube.net/wiki/Beijing_Students%27_Autonomous_Federation)
  8. Cité dans Workers in the Tiananmen protests : The politics of the Beijing Workers Autonomous Federation, de Andrew G. Walder et Gong Xiaoxia, publié d’abord dans le Australian Journal of Chinese Affairs, No. 29, janvier 1993. Disponible (en anglais) au http://www.nmis.org/gate/links/Walder.html
  9. Chine .Évolutions récentes des conflits collectifs du travail dans les entreprises en Chine.      (http://www.ires.fr/publications/chronique-internationale-de-l- ires/item/5294-chine-evolutions-recentes-des-conflits-collectifs-du-travail- dans-les-entreprises-en-chine)
  10. Les          grèves            en        Chine :           les         révoltes             dans          l’usine            du        monde (https://www.cairn.info/revue-mouvements-2020-3-page-101.html)

 Bibliographie

Marie-Claire Bergère, La Repubblica popolare cinese (1949-1999) - il Mulino 2000 Andrew J. Nathan, The Tiananmen Papers (https://www.resetdoc.org/it/story/le- conseguenze-di-tienanmen/)

(EN) Detained in China and Tibet: a directory of political and religious prisoners, Robin Munro, Mickey Spiegel, Asia Watch Committee, 1994. (EN) June Fourth: The True Story, Tian’anmen Papers/Zhongguo Liusi Zhenxiang Volumes 1–2 (Chinese edition), Zhang Liang

(EN) Red China Blues: My Long March from Mao to Now, Jan Wong, Doubleday, 1997, trade paperback, 416 pages, (Contains, besides extensive autobiographical material, an eyewitness account of the Tiananmen crackdown and the basis for an estimate of the number of casualties.)

(EN) The Tiananmen Papers, The Chinese Leadership’s Decision to Use Force Against their Own People—In their Own Words, Compiled by Zhang Liang, Edited by Andrew J. Nathan and Perry Link, with an afterword by Orville Schell, Public Affairs, New York, 2001, hardback, 514 pages, ISBN 1-58648-012-X An extensive review and synopsis of The Tiananmen papers in the journal Foreign Affairs may be found at Review and synopsis in the journal Foreign Affairs.

Beijing coma. Ma Jian. Flammarion

En revenant de Tienamen. Michel Imbert. Ed. Philippe Picquier.

L’homme qui ne se retourne pas. Christophe Deloire. Ed. Flammarion.

Porte de la paix céleste. Shan Sa. Ed Folio.

La grande révolution chinoise 1800-1989. John King. Ed Flammarion.

Je suis né un 4 juin. Liu Xinwu. Ed. Gallimard.

China – The Tienanmen square massacre of 1989.

(https://www.manchesteropenhive.com/view/9781526121110/9781526121110.00010.xml)

https://www.sinistrainrete.info/storia/19168-a-vinco-hosea-jaffe-e-il-socialismo-cinese- bucharinista.html

    • https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/19564-fabrizio-marchi-cina-socialismo-con-caratteristiche-cinesi-o-capitalismo-con-caratteristiche-cinesi-o-altro-ancora.html
    • Calhoun, Craig J. 1994. Ni dieux ni empereurs: les étudiants et la lutte pour ladémocratie en Chine. Presses de l’Université de Californie.
    • Francis, Corinna-Barbara. 1989. «Les progrès de la protestation en Chine: leprintemps 1989». Asian Survey 29 (9): 898–915.
    • King, Sarah Sanderson et Donald P. Cushman. 1992. Communication politique:ingénierie des visions de l’ordre dans le monde socialiste.
    • Li, Peter, Marjorie H. Li et Steven Mark. 2009. Culture et politique en Chine:Anatomie de la place Tiananmen.
    • Saich, Tony. 1990. «La montée et la chute du mouvement populaire de Pékin». LeJournal australien des affaires chinoises, no. 24 (juillet): 181–208.
    • Wright, Teresa. 1999. «State Repression and Student Protest in Contemporary China».
  • The China Quarterly 157: 142–72.
  • Zhang, Liang, Andrew J Nathan et E. Perry Link. 2002. Les papiers de Tiananmen.
  • New York: PublicAffairs.

Zhao, Dingxin. 2008. Le pouvoir de Tiananmen: les relations État-société et lemouvement étudiant de Pékin en 1989. Presses de l’Université

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