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théorie politique

CONFÉRENCE D'AGUSTÍN GUILLAMÓN, 17 MAI 2024, À L'ATENEO LA IDEA DE MADRID

Publié le 21 Mai 2024 par : Agustín Guillamón :thèses "classistes anarchistes" :

CONFÉRENCE D'AGUSTÍN GUILLAMÓN, 17 MAI 2024, À L'ATENEO LA IDEA DE MADRID

Onze thèses classistes sur la révolution et la contre-révolution en Catalogne (1936-1938). Pour une théorie anarchiste des révolutions, à partir d'une analyse matérialiste des faits historiques.

Conférence d'Agustín Guillamón, 17 mai 2024, à l'Ateneo La Idea de Madrid.

Introduction

La lutte des travailleurs pour connaître leur propre histoire n'est pas purement théorique, ni abstraite ou banale, car elle fait partie de leur propre conscience de classe et se définit comme une théorisation des expériences historiques du prolétariat international, et en Espagne, elle doit inexcusablement comprendre, assimiler et s'approprier les expériences du mouvement anarcho-syndicaliste des années 1930.

Si des doctrines, des mythes, des préjugés idéologiques ou des textes sacrés se heurtent à la réalité sociale et historique, ce sont ces fausses illusions et ces illusions qu'il faut modifier, et non l'interprétation de la réalité.

Ces onze thèses théorisent les expériences du prolétariat dans la révolution de 1936 et 1937.

Thèse numéro 1

Du 17 au 19 juillet 1936 a eu lieu un soulèvement militaire contre le gouvernement de la République, promu par l’Église catholique, la majorité de l’armée, les fascistes, la bourgeoisie, les propriétaires terriens et les droitiers. La préparation de ce coup d’État avait été tolérée par le gouvernement républicain, qui avait remporté les élections de février 1936 grâce à la coalition du Front populaire.

Les partis parlementaires démocratiques RÉPUBLICAINS ou monarchistes, de gauche comme de droite, ont poursuivi la politique qui convenait le mieux à la bourgeoisie espagnole, à savoir la préparation d’un coup d’État sanglant.

Le soulèvement militaire échoue dans les principales villes et provoque, en réaction (dans la zone républicaine), un mouvement révolutionnaire, victorieux dans son insurrection armée contre l’armée. Dans cette victoire insurrectionnelle, les Cadres et les Comités de défense de la CNT-FAI, préparés depuis 1931, ont joué un rôle prépondérant en Catalogne. IL NE S’AGIT PAS D’UNE INSURRECTION SPONTANÉE...

Les comités révolutionnaires, que Munis théorise comme des comités de gouvernement, exercent en de nombreux endroits tout le pouvoir au niveau local, mais il n’y a pas de coordination ou de centralisation de ces comités locaux : il y a UN VIDE DE POUVOIR CENTRAL OU D’ÉTAT. Ni l’État républicain ni les gouvernements régionaux autonomes (comme la Generalitat) n’exerçaient le pouvoir central, mais ces comités locaux ne l’exerçaient pas non plus.

On peut parler d’ATOMISATION DU POUVOIR.

Thèse numéro 2

Les comités révolutionnaires : de défense, d’usine, de quartier, de contrôle ouvrier, local, de défense, de ravitaillement, etc. sont l’embryon des organes de pouvoir de la classe ouvrière. Ils ont initié une expropriation méthodique des biens de la bourgeoisie, mis en route la collectivisation industrielle et paysanne, organisé les milices populaires qui ont défini les fronts militaires des débuts, organisé les patrouilles de contrôle qui ont imposé le nouvel «ordre révolutionnaire» par la répression violente de l’Église, des patrons, des fascistes et des anciens syndicalistes et fusiliers de la Libre. Mais ils sont incapables de se coordonner et de créer un pouvoir ouvrier centralisé. Les comités révolutionnaires submergent par leurs initiatives et leurs actions les dirigeants des différentes organisations traditionnelles du mouvement ouvrier, dont la CNT et la FAI. Il y avait une révolution dans les rues et dans les usines, et il y avait des organes de pouvoir potentiels du prolétariat révolutionnaire : LES COMITÉS, qu’aucune organisation ou avant-garde ne savait ou ne voulait COORDONNER, RENFORCER et TRANSFORMER EN ORGANES AUTHENTIQUES DE POUVOIR OUVRIER.

Les comités supérieurs optent pour la collaboration avec l’État bourgeois afin de gagner la guerre contre le fascisme. Le mot d’ordre de García Oliver, le 21 juillet, de «tout faire» n’était rien d’autre qu’une proposition léniniste pour la prise du pouvoir par la bureaucratie cénétiste ; ce que, d’ailleurs, García Oliver lui-même savait rendre inapplicable et absurde, lorsqu’au plénum cénétiste il proposa une fausse alternative entre «dictature anarchiste» ou collaboration antifasciste. Cette fausse option «extrémiste» de García Oliver, l’avertissement craintif d’Abad de Santillán et de Federica Montseny sur le danger de l’isolement et de l’intervention étrangère, et l’option de Durruti d’attendre la prise de Saragosse, décidèrent le plénum à opter pour une collaboration antifasciste «provisoire». L’alternative révolutionnaire de la destruction de l’État républicain et de la transformation des comités en organes du pouvoir ouvrier et des milices en armée du prolétariat n’a jamais été évoquée.

On ne peut parler d’une situation de double pouvoir entre le Comité central des milices antifascistes (CCMA) et le gouvernement de la Generalitat, à aucun moment, car à aucun moment il n’y a eu de pôle de centralisation du pouvoir ouvrier ; mais on peut parler d’une possibilité, qui a échoué dans les premières semaines après le 19 juillet, d’établir une situation de double pouvoir entre ces comités révolutionnaires et le CCMA. Certains comités syndicaux, locaux et de quartier ont exprimé dès le début leur méfiance et leurs craintes à l’égard du CCMA, car ils pressentaient le rôle contre-révolutionnaire qu’il pouvait jouer.

De nombreux protagonistes, ainsi que des historiens, parlent d’une situation de double pouvoir entre la CCMA et le gouvernement de la Generalitat. Cependant, c’est une profonde erreur de croire que la CCMA était autre chose qu’un pacte antifasciste des organisations ouvrières avec les organisations bourgeoises et les institutions de l’État, c’est-à-dire un organisme de collaboration de classe,

Les dirigeants de la CNT se méfiaient des comités révolutionnaires parce qu’ils n’entraient pas dans leurs schémas organisationnels et doctrinaux, et en même temps, en tant que bureaucratie, ils se sentaient dépassés et menacés par leurs réalisations.

Thèse numéro 3

Pendant tout un mois, du 21 juillet au 21 août 1936, les «notables» anarchistes et anarcho-syndicalistes discutèrent du dilemme suivant : supprimer le CCMA, sans entrer dans le gouvernement de la Generalitat, ou le conserver. Il y avait deux modalités de base : la première consistait à créer des commissions techniques dans les différents départements (ou ministères de la Generalitat) comme formule de contrôle, sans participer au gouvernement : c’était l’exemple de la Commission des industries de guerre ou du Conseil de l’économie ; la seconde consistait à le faire à partir des «organes révolutionnaires», en soutenant formellement les pouvoirs légaux, mais en soutenant un pouvoir «révolutionnaire» qui donnerait une véritable position de force aux cénétistes :c’est l’exemple des patrouilles de contrôle et de la commission d’enquête de la CCMA, coordonnée par Manuel Escorza du Service d’information et d’enquête de la CNT-FAI, qui dépendait exclusivement du Comité régional de la CNT et du Comité péninsulaire de la FAI.

La participation de la CNT-FAI à l’appareil d’État repose sur trois institutions fondamentales : la CCMA, le Conseil de l’économie et le Comité des approvisionnements. Le CCMA était un gouvernement de collaboration de classe, constitué par toutes les organisations antifascistes catalanes, qui aida à la reconstruction de l’appareil d’État de la Generalitat et prépara l’entrée des anarchistes dans un gouvernement d’unité antifasciste.

Après neuf semaines et demie, il fut dissous le 1er octobre 1936, suite à l’entrée de trois conseillers anarchistes dans le gouvernement de la Generalitat formé le 26 septembre, sous la présidence de Tarradellas en tant que premier conseiller.

La transformation des comités de défense en comités révolutionnaires de quartier et locaux, qui tendaient à remplacer l’État, en gérant et en assumant toutes ses fonctions, ainsi que le vaste et profond processus d’expropriation spontanée des usines par les syndicats industriels, développèrent l’une des révolutions sociales et économiques les plus profondes de l’histoire.

Mais les Comités supérieurs, organisés en un Comité des Comités élitiste, exécutif et autoritaire qui, par leur collaboration politique dans un gouvernement d’unité antifasciste, soutenait et renforçait le pouvoir de l’État capitaliste, n’ont pas dirigé et coordonné cette révolution du militantisme de la base dans les rues et dans les usines, mais est devenu un parti antifasciste de plus, allié au reste des partis antifascistes, des staliniens, nationalistes et poumistes aux républicains et au gouvernement de la Generalitat, sans autre objectif que la victoire dans la guerre contre le fascisme, même si cela signifiait renoncer à toute «conquête révolutionnaire» et aux principes mêmes de l’antifascisme.

Il y a donc une véritable divergence et séparation entre le Comité des Comités et la révolution sociale et économique menée dans la rue par les comités révolutionnaires et les syndicats.

Cet antagonisme de classe entre le CCMA et les comités révolutionnaires de juillet 1936 conduit à une opposition au sein de l’Organisation CNT-FAI qui, en décembre 1936, oppose le Comité des Comités aux comités de quartier de Barcelone, lorsque ces derniers refusèrent de remettre leurs armes pour les envoyer au front, arguant que ces armes étaient la seule garantie de la révolution en marche, et que si l’on avait besoin d’armes pour le front, là, dans l’arrière-garde barcelonaise, les gardes d’assaut et la garde civile étaient cantonnées et armées. Que les comités révolutionnaires de quartier ne remettraient jamais à l’armée les armes qu’ils avaient gagnées dans les batailles de rue.

Thèse numéro 4

Sans la destruction de l’État, on ne peut parler de révolution prolétarienne. On peut parler de situation révolutionnaire, de mouvement révolutionnaire, d’insurrection triomphante, de perte «partielle» ou «provisoire» des fonctions de l’État bourgeois, de chaos politique, de perte d’autorité réelle par l’administration républicaine, de VIDE DU POUVOIR CENTRALISÉ et d’atomisation du pouvoir, mais pas de révolution prolétarienne.

La SITUATION révolutionnaire de juillet 1936 n’a jamais posé la question de l’instauration d’un pouvoir ouvrier antagoniste à l’État républicain : il n’y a donc pas eu de révolution prolétarienne, si l’on parle stricto sensu. Et, en l’absence de révolution prolétarienne, la situation révolutionnaire a rapidement évolué vers la consolidation de l’État républicain, l’affaiblissement des forces révolutionnaires et le triomphe définitif de la contre-révolution après les journées de mai 1937, avec la mise hors la loi et la persécution politique du POUM en juin 1937, ainsi que la clandestinité des Amis de Durruti, de divers groupes prolétariens et de comités de défense, comme celui qui éditait le journal Alerta, entre octobre et décembre 1937.

La participation de la CNT (mais aussi du POUM et de la FAI) aux institutions bourgeoises, avec l’offre correspondante de postes publics, ainsi qu’un processus massif d’affiliation syndicale, parallèlement à la marche au front des meilleurs militants, des plus expérimentés dans la lutte sociale et de ceux ayant la formation théorique la plus avancée, ont favorisé un processus rapide de bureaucratisation de la CNT.

Au printemps 1937, les militants révolutionnaires se retrouvent isolés dans les assemblées et dans une situation de minorité absolument insurmontable. Les principes fondamentaux de l’anarcho-syndicalisme s’effondrent et cèdent la place à un opportunisme masqué par l’idéologie de l’unité antifasciste («renoncer à la révolution pour gagner la guerre») et le pragmatisme d’une collaboration fidèle et loyale avec les partis et le gouvernement de la bourgeoisie républicaine, dans le but exclusif de défendre la démocratie capitaliste et la République bourgeoise. LA BUREAUCRATIE SYNDICALE CÉNÉTISTE A DÉMONTRÉ EN MAI 1937 SON CARACTÈRE CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRE. La lutte contre le fascisme a été le prétexte donné pour renoncer à la destruction de l’État républicain bourgeois, défendu par les forces contre-révolutionnaires du PSUC et de l’ERC (Gauche républicaine de Catalogne). La confrontation du prolétariat révolutionnaire avec la bureaucratie cénétiste, qui était déjà dans le camp contre-révolutionnaire, était inévitable.

Thèse numéro 5 [C’est la thèse la plus courte, mais elle est absolument fondamentale].

Face à l’alternative entre le capitalisme ou la révolution anticapitaliste, l’idéologie bourgeoise, dans l’Espagne des années 1930, a toujours proposé de fausses options bourgeoises, qui déniaient au prolétariat la possibilité et l’existence d’une alternative révolutionnaire :

En 1931, elle proposait le choix entre la monarchie et la république. En 1931, il a proposé le choix entre la monarchie et la république. En 1934, il a proposé le choix entre la droite et la gauche. En 1936, il a imposé le choix entre le fascisme et l’antifascisme.

L’acceptation par le prolétariat de l’idéologie antifasciste signifiait la défense de la démocratie capitaliste, le renoncement à s’affirmer comme classe révolutionnaire.

Le choix bourgeois entre fascisme et antifascisme n’était pas seulement faux, il signifiait aussi la défaite de l’alternative révolutionnaire et anticapitaliste.

Seules quelques minorités, à peine influentes, ont osé dénoncer l’antifascisme comme une idéologie bourgeoise et contre-révolutionnaire.

Thèse numéro 6

Les collectivisations ne pouvaient avoir de développement futur que si l’État capitaliste était détruit. En fait, les collectivisations ont fini par servir les besoins impérieux d’une économie de guerre. Les situations ont évolué de façon très variée, rapide et instable, depuis l’expropriation révolutionnaire des usines de la bourgeoisie en juillet 1936 jusqu’à la militarisation de l’industrie et du travail, prédominante en 1938.Il était et il est toujours impossible de séparer la révolution politique de la révolution sociale et économique. Les révolutions, comme l’ont conclu les Amis de Durruti, sont toujours TOTALITAIRES, au double sens du terme : totales et autoritaires. Il n’y a rien de plus autoritaire qu’une révolution : exproprier une usine de ses propriétaires, ou un grand domaine de son propriétaire, ou occuper une caserne, une église ou une grande demeure sera toujours une imposition autoritaire. Et cela ne pourra se faire que lorsque les organes répressifs de la bourgeoisie, armée et police, auront été vaincus par une armée révolutionnaire qui imposera AUTORITAIREMENT la nouvelle légalité révolutionnaire. L’anarcho-syndicalisme et le POUM, par incapacité théorique pour le premier et faiblesse numérique, verbalisme, suivisme et manque d’audace pour le second, n’ont jamais posé la question du pouvoir, qu’ils ont abandonné aux mains des politiciens professionnels de la bourgeoisie républicaine et des socialistes : Azaña, Giral, Prieto, Largo Caballero, Companys, Tarradellas, Negrín..., ou qu’ils ont partagé avec eux, lorsque leur participation était nécessaire pour fermer la voie à une alternative révolutionnaire.

Dans le domaine économique, le mythe historiographique englobé dans le concept générique de «COLLECTIVISATION» a connu (en Catalogne) quatre étapes :

1. - La saisie ouvrière (juillet-septembre 1936).

2. - L’adaptation des saisies au Décret de Collectivisations (octobre à décembre 1936).

3. - La lutte de la Generalitat pour diriger l’économie et contrôler les collectivisations, face à la tentative de socialisation de l’économie, promue par le secteur radical du militantisme cénétiste (janvier à mai 1937).

L’interventionnisme progressif et la centralisation étatique (du gouvernement central) imposent une économie de guerre et la MILITARISATION du travail (de juin 1937 à janvier 1939).

Les comités révolutionnaires deviennent rapidement des comités antifascistes, des comités syndicaux de gestion dans les entreprises, ou entrent en hibernation prolongée (comme les comités confédéraux de défense) ou sont transformés en organismes d’État.

L’ambiguïté et l’ambivalence des patrouilles de contrôle, des collectivisations, des milices, des comités de défense, bref de la «Révolution du 19 juillet», est la conséquence directe de l’ambiguïté et de l’ambivalence même des organisations d’extrême gauche du Front populaire (CNT et POUM). Ambiguïté car le CCMA est le fruit de la victoire insurrectionnelle PROLÉTARIENNE du 19 juillet, mais aussi de l’échec politique du 21 juillet, LORSQUE LA COLLABORATION DE CLASSE EST ACCEPTÉE.

Thèse numéro 7

Mai 37 fut la défaite armée du prolétariat révolutionnaire le plus avancé dont la contre-révolution avait besoin pour passer à la contre-offensive. Les causes du mois de mai résident dans l’augmentation du coût de la vie, la pénurie de subsistance, la résistance à la dissolution des patrouilles de contrôle et à la militarisation des milices, et la lutte constante des travailleurs des entreprises collectivisées pour conserver le contrôle de la production face à l’interventionnisme croissant de la Generalitat, encouragé par l’application des décrets de s’Agaró. Ce n’est pas pour rien que les journées de mai ont commencé dans une entreprise collectivisée, la Telefónica, en raison de l’opposition armée des travailleurs cénétistes de base à son occupation par les forces répressives de la Generalitat.

L’extension rapide de la lutte à toute la ville de Barcelone est l’œuvre des comités de défense et des comités de quartier, reliés par téléphone, qui agissent en marge des comités supérieurs de la CNT, en les débordant.

D’un côté de la barricade se trouvent les forces de l’ordre, les staliniens du PSUC, de l’ERC, de l’Estat Català (« État catalan ») et les milices catalanistes pyrénéennes, tous théoriquement au service du gouvernement de la Generalitat. De l’autre côté de la barricade se trouvent les ouvriers cénétistes et le POUM. Seuls les anarchistes de l’« Agrupación de Los Amigos de Durruti » et les trotskistes de la Section bolchevik-léniniste tentent de donner des objectifs révolutionnaires à la lutte sur les barricades.

Mais le militantisme de la CNT n’a pas pu et n’a pas su agir contre les slogans collabos lancés par les dirigeants et les comités supérieurs de la CNT. Les postes de radio qui transmettaient les discours conciliants de García Oliver et de Federica Montseny ont même été la cible de tirs, mais leurs slogans ont fini par être suivis. Les Amis de Durruti qualifient l’activité de ces dirigeants et des comités supérieurs d’« énorme trahison».

Après mai 1937, les tentatives d’expulsion des Amis de Durruti par les comités supérieurs de la CNT bureaucratisée échouent, car elle n’est ratifiée par aucune assemblée syndicale. Cependant, il n’y avait pas de scission capable de clarifier les positions conflictuelles et irréconciliables au sein de la CNT.

Thèse numéro 8

L’institutionnalisation de la CNT a eu des conséquences importantes et inévitables sur la nature même de l’organisation et de l’idéologie de la CNT.

L’entrée des militants les plus éminents dans les différents niveaux de l’administration de l’État, des conseils municipaux aux ministères du gouvernement de la République, en passant par les départements de la Generalitat ou de nouvelles institutions «révolutionnaires», plus ou moins autonomes, comme le CCMA, le CC de Abastos et le Conseil de l’Économie, a créé de nouvelles fonctions et de nouveaux besoins, qui devaient être couverts par un nombre limité de militants capables d’assumer de telles fonctions de responsabilité.

La nomination de ces militants à des postes de responsabilité, ainsi que leurs conseils et leur contrôle, étaient assurés par des comités supérieurs, qui généraient à leur tour d’autres postes de responsabilité internes à l’Organisation.

Les comités supérieurs étaient composés du CR, de la Fédération locale des syndicats, du PC, du CR de la FAI, de la Fédération locale du GGAA de Barcelone, du FIJL, de la Jeunesse libertaire de Catalogne, des conseillers et conseillères, ainsi que du CN et des ministres quand ils le pouvaient, et occasionnellement des délégués des colonnes confédérales, et de certaines personnalités prestigieuses.

Les fonctions de direction et de pouvoir exercées par ces comités supérieurs, composés d’une minorité très restreinte d’éléments capables de les exercer, ont créé une série d’intérêts, de méthodes et d’objectifs différents de ceux de la base militante confédérale. D’où, d’une part, une démobilisation et un désenchantement généralisés des adhérents et des militants de base, confrontés à la faim et à la répression, absolument impuissants de la part des comités supérieurs. D’où l’émergence d’une opposition révolutionnaire, incarnée notamment par les Amis de Durruti, la Jeunesse libertaire de Catalogne, quelques groupes anarchistes de la Fédération locale du GGAA de Barcelone, et surtout par les comités de quartier et de défense des quartiers de Barcelone.

Le caractère exceptionnel de la situation historique, ainsi que l’urgence des décisions à prendre, ont empêché un fonctionnement horizontal et en assemblée de la CNT catalane. Le Comité des Comités dirige l’Organisation du 23 juillet 1936 à juin 1937.La Commission politique consultative (CAP) de juin 1937 à mars 1938. Entre-temps, en juillet 1937, la FAI a été transformée en un parti antifasciste comme les autres, capable de fournir et de former les bureaucrates nécessaires pour assumer des postes de responsabilité et de commandement. Enfin, dans un contexte de dissolution et d’effondrement des fronts, l’élite et le Comité exécutif auto-élu du Mouvement libertaire de Catalogne dirigent de manière dictatoriale et hiérarchique l’Organisation d’avril à octobre 1938, sans autre horizon que la militarisation du travail et de la société, ainsi que de l’Organisation elle-même.

L’institutionnalisation de la CNT et l’adoption de l’idéologie de l’unité antifasciste ont transformé les comités supérieurs en pires ennemis de l’opposition révolutionnaire (minoritaire) de la CNT, qui a failli provoquer une scission, laquelle n’a finalement pas eu lieu en raison de l’élimination physique, de l’emprisonnement ou de la clandestinité auxquels cette opposition a été soumise par la répression étatique et stalinienne. Répression qui avait un caractère SÉLECTIF, puisqu’elle était dirigée contre la minorité révolutionnaire, tout en essayant d’assurer l’intégration des comités supérieurs dans l’appareil d’État républicain.

Il ne faut pas parler d’une TRAHISON DES COMITÉS SUPÉRIEURS, ce qui n’explique rien, mais d’un affrontement de CLASSE entre des comités supérieurs qui étaient l’ÉTAT, et une minorité révolutionnaire réprimée et persécutée. Ce n’était pas une trahison, c’était une lutte de classe entre dirigeants et dirigés, entre gouvernants ou prétendants gouvernants et gouvernés, entre bureaucrates et travailleurs.

Thèse numéro 9

La militarisation des milices antifascistes, ainsi que le décret de collectivisation et la dissolution des comités locaux ont marqué le début et le déroulement de la contre-révolution bourgeoise et de sa reconquête de l’appareil d’État, qui n’avait pas été détruit.

La militarisation des milices, au front, ne signifiait pas seulement la perte de la direction ouvrière de la guerre et la perte de tout objectif révolutionnaire, mais entraînait aussi la militarisation de l’arrière, c’est-à-dire de l’ordre public.

Et cette militarisation de l’arrière a transformé tous les rapports de force sociaux et politiques, car la violence et le pouvoir ne font qu’un. La militarisation de l’ordre public implique également un processus de démobilisation sociale, politique et révolutionnaire croissante des travailleurs.

Dans l’opposition à la militarisation des milices populaires (décrétée en octobre 1936), se distingue le quatrième groupe Gelsa de la Colonne Durruti qui, après avoir surmonté une tentative d’affrontement armé avec d’autres forces de la Colonne, partisanes de la militarisation, décide d’abandonner le front (en février 1937) et de retourner à Barcelone, en emportant ses armes. Ces 800 miliciens, avec d’autres militants cénétistes radicaux, engagés dans la lutte existante pour la socialisation dans les entreprises, fondèrent en mars 1937 l’Agrupación de Los Amigos de Durruti, qui atteignit quatre à cinq mille adhérents et constitua, en Catalogne, une alternative révolutionnaire aux comités supérieurs (collaborationnistes) de la CNT-FAI.

De la violence révolutionnaire des comités, contre la bourgeoisie, les prêtres et les fascistes, on est passé à la violence répressive des forces bourgeoises de l’ordre capitaliste contre les minorités révolutionnaires. Cette répression de l’opposition révolutionnaire (et des autres minorités révolutionnaires) était parallèle et homologue à l’intégration des comités supérieurs dans l’appareil d’État (qu’ils soient au gouvernement ou non).Il ne s’agissait pas d’une trahison de la base par les dirigeants, mais des deux volets nécessaires d’un même processus contre-révolutionnaire SÉLECTIF : persécution des révolutionnaires et institutionnalisation des comités supérieurs.

L’ordre public antifasciste était fondé sur l’unité antifasciste de toutes les organisations dans le seul but de gagner la guerre. Cette victoire militaire a impliqué et approfondi la militarisation des milices, des forces de l’ordre, du travail, des relations sociales et de la politique. La guerre a dévoré la révolution.

Thèse numéro 10

La résistance au désarmement des comités de quartier en décembre 1936 a conduit à leur hibernation par la Fédération locale des syndicats ; mais lorsque, le 4 mars 1937, un décret unifie les troupes d’assaut et les gardes civils sous le commandement du gouvernement de la Generalitat, les syndicats répondent à cette menace en revenant financer, armer et réactiver les comités de défense de quartier. L’offensive des staliniens, des républicains, des nationalistes catalans et de la Generalitat s’était solidifiée et semblait ne pouvoir être stoppée. La faim populaire avait exprimé son mécontentement lors des manifestations de femmes du 14 avril sur différents marchés de Barcelone. Du 12 au 24 avril 1937, la Fédération locale des groupes anarchistes, la JJLL (Fédération ibérique des jeunesses libertaires) et les comités de défense de quartier se préparent à une insurrection capable d’affronter l’avancée progressive et répressive de la contre-révolution. À la mi-avril, Herrera et Escorza négocient avec Companys un nouveau gouvernement et une sortie de la crise gouvernementale. Les premières inculpations pour «cimetières clandestins» sont ouvertes, accusant et emprisonnant les membres des comités des journées révolutionnaires de juillet. Le 27 avril 1937, les autorités de Bellver, soutenues par le gouvernement de la Generalitat et enhardies par l’invasion croissante des carabiniers en Cerdagne, organisent une embuscade pour assassiner Antonio Martín, déclenchant une offensive répressive contre les anarchistes de cette région. Les comités supérieurs estiment qu’il suffit de «montrer les dents» au PSUC, à l’ERC et à la Generalitat pour qu’ils arrêtent leur offensive répressive. Les comités de défense des quartiers de Barcelone débordent les comités supérieurs et déclenchent, le 3 mai, une insurrection révolutionnaire qui échappe à leur contrôle.

À partir de juin 1937, date de la dissolution des patrouilles de contrôle, les différentes localités et quartiers sont reconquis par les forces d’assaut et la Garde civile, qui exercent une répression brutale contre les cénétistes et surtout contre les ex-patrouilleurs et les militants les plus en vue. Dans de nombreux endroits, l’organisation cénétiste disparaît, comme en Cerdagne et dans les Terres de l’Èbre.

Cette répression de l’anarcho-syndicalisme s’est accompagnée d’une attitude passive des comités supérieurs, qui ont opté pour une défense individuelle et juridique des prisonniers, au lieu d’une défense collective et politique. Les milliers de prisonniers anarcho-syndicalistes exigent un engagement et une solidarité accrus de la part des comités supérieurs, qui ne parviennent qu’à obtenir de la CR de la CNT et de la CR de la FAI qu’elles acceptent d’éditer une presse clandestine qui fait campagne en faveur des prisonniers.

Le 9 juin 1937, Campos et Xena entament une discussion filandreuse sur le maintien ou non du «Comité des Comités», créé le 23 juillet 1936 comme instrument directif et centralisateur de la CNT-FAI, capable de prendre des décisions urgentes et importantes sans consulter la base militante.

Quelques jours plus tard, le 14 juin, la Commission politique consultative (CAP) est formellement constituée, ce qui n’est rien d’autre qu’une résurrection et une mise à jour du Comité des Comités qui avait vu le jour en juillet 1936. Les motivations sont identiques, la nécessité d’un organe exécutif pour prendre rapidement les décisions les plus importantes et les plus urgentes. Mais une nouvelle raison s’y ajoute : les comités de défense ne doivent PAS prendre le dessus sur les comités supérieurs, comme cela s’était produit en mai. Afin d’approvisionner, de contrôler et d’empêcher un nouveau débordement des comités de défense, le Comité de liaison, subordonné à la CAP, est mis en place.

Thèse numéro 11 (thèse ultime)

En juillet 1936, la question essentielle n’est pas celle de la prise du pouvoir (par une minorité de dirigeants anarchistes), mais celle de la coordination, de l’avancée et de l’approfondissement de la destruction de l’État par les comités. Les comités révolutionnaires de quartier (et certains comités locaux) n’ont pas fait ou manqué de faire la révolution : ils ont été la révolution sociale.

Alors que les comités supérieurs faisaient de la CNT une organisation antifasciste comme les autres, vouée au rétablissement et au renforcement de l’appareil d’État républicain, les comités révolutionnaires se chargeaient de détruire l’État et de le remplacer dans toutes ses fonctions.

Le rôle de la CNT, en tant que syndicat, aurait peut-être dû être réduit temporairement à la gestion de l’économie, mais en se subordonnant et en se dissolvant dans la nouvelle organisation issue des comités de quartier, locaux, d’usine, de ravitaillement, de défense et autres. L’incorporation massive des travailleurs, dont beaucoup étaient jusqu’alors absents du monde prolétarien organisé, a introduit une nouvelle réalité. Et la réalité que la révolution a créée est différente de celle qui existait avant le 19 juillet. Les anciennes organisations et les anciens partis politiques étaient, dans la pratique, en dehors de la nouvelle réalité sociale qui avait été établie. L’organisme révolutionnaire des comités révolutionnaires, généralisé à tous les niveaux, aurait dû représenter l’ensemble du prolétariat révolutionnaire, sans les divisions absurdes des acronymes, qui avaient un sens avant l’insurrection de juillet, mais pas après.

La CNT-FAI aurait dû être le ferment du nouvel organisme révolutionnaire, coordinateur des comités, disparaissant dans le processus même de la fermentation révolutionnaire (en même temps que les autres organisations et partis étaient dissous).

Après l’insurrection victorieuse des travailleurs et la défaite de l’armée, et avec le cantonnement des forces de l’ordre, la destruction de l’État a cessé d’être une utopie futuriste abstraite.

La destruction de l’État par les comités révolutionnaires était une tâche très concrète et réelle, dans laquelle ces comités reprenaient toutes les tâches et fonctions que l’État exerçait avant juillet 1936.

Les Amis de Durruti en conclurent qu’il manquait une avant-garde (et non un substitut) prête à défendre cette autonomie prolétarienne, capable de coordonner, d’étendre et de renforcer ces comités révolutionnaires : Les Amis de Durruti l’appelèrent Junte révolutionnaire, mais ils ne savaient pas comment et ne pouvaient pas la mettre en pratique, bien que dans l’affiche qu’ils distribuèrent fin avril 1937 à Barcelone, ils proposaient résolument le remplacement de la Generalitat par cette Junte révolutionnaire.

Ces onze thèses se basent sur les livres suivants d’Agustín Guillamón : 

- Los Comités de Defensa de la CNT en Barcelona, Descontrol, 5e édition, mars 2018,

- Los amigos de Durruti: historia y antología de textos, Descontrol, Barcelone, 2e édition, 2021

- Durruti sin mitos ni laberinto y otras estampas, Fundación Aurora Intermitente y Sueños de Sabotaje, Madrid, 2022.

- CNT Vs AIT 1936-1939. Los comités superiores cenetistas contra la oposición revolucionaria interna e internacional, Descontrol, 2022.

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