INTRODUCTION
Avant que la revue Controverses (émanation du site Controverses (https://www.leftcommunism.org/) ne publie sous peu son propre compte-rendu (motivé) de la conférence internationaliste d'Arezzo (Italie), nous donnons notre traduction en français d'un article de Revolutionary Perspectives, numéro 24, consacré surtout à la "Semaine d’action de Prague contre la guerre" (mai 2024) et accessoirement à celle d'Arezzo (juin 2024).
Soulignant que cette conférence fut une catastrophe organisationnelle, due autant à la légèreté qu'à la confusion de ses organisateurs, l'article souligne fort bien l'enjeu actuel de telles conférences : "les révolutionnaires doivent trouver des moyens de travailler ensemble, même en dehors des périodes de militantisme de classe généralisé, particulièrement aujourd’hui".
Force est de constater, selon la CWO et bien d'autres groupes, qu'une bonne partie des participants, de tendance libertaire surtout, ont laissé tout débat sérieux s'enliser dans un immédiatisme sans issue : "D’un point de vue politique, le véritable clivage qui est apparu était entre les activistes qui cherchaient des solutions immédiates pour arrêter la guerre, et ceux qui étaient orientés vers la lutte des classes, qui avaient une perspective à plus long terme et comprenaient que les guerres, en tant que produit du système capitaliste, ne pouvaient être arrêtées que par la lutte de masse des travailleurs".
Les réels internationalistes, selon la CWO, durent donc, lors de la semaine de Prague (et "sur le pouce"!) organiser leur propre congrès, un congrès dans le congrès.
Si le bilan de ce Congrès de la confusion semble maigre, des liens entre groupes et individus réellement internationalistes se sont noués. Mais c'est dans une situation où la guerre mondiale menace : "Nous ne savons pas de combien de temps nous disposons, mais nous savons qu’il vaut mieux que les révolutionnaires travaillent ensemble avant qu’une guerre généralisée n’éclate, plutôt que de commencer le processus après. En d’autres termes, étant donné la gravité de la situation mondiale, nous soutenons qu’il est impératif que les révolutionnaires essayent de travailler ensemble".
Quel révolutionnaire convaincu et réellement internationaliste ne soutiendrait un tel appel à la raison, celui de former une réelle communauté de travail?
MAIS, l'ultra-sectarisme dans bien des groupes autoproclamés "internationalistes", souvent leur propension à se plonger avec délices dans les manœuvres les plus grotesques et les plus grossières, leur joie malsaine à entamer des guerres picrocholines, en usant si nécessaire de l'air de la calomnie, ne rend guère optimiste sur la perspective de regrouper les maigres forces internationalistes.
La CWO, dont on ne sait si elle exprime réellement la position de la TCI, en particulier celle de Battaglia Comunista, semble prête à emprunter des raccourcis de type trotskyste pour "construire le parti" DES MAINTENANT...
On peut ainsi lire cette stupéfiante incitation à... "commencer dès maintenant à créer l’organisation politique dont la classe ouvrière aura besoin à l’avenir".
Une telle incitation à "construire le parti" dès maintenant, soulignons-le, n'a jamais la tasse de thé ni de la gauche communiste germano-hollandaise (KAPD) ni surtout de la gauche communiste italienne dans les années 30, regroupée autour de Prometeo et de Bilan.
Pour cette gauche communiste, la formation du parti communiste internationaliste à venir était (et sera toujours) un lent (et ingrat) processus organique, dépendant du rapport réel de forces entre bourgeoisie et prolétariat, et rejetant nécessairement tous les piètres artifices de type gauchiste-trotskyste.
PB, Pantopolis, 27 aout 2024.
Revolutionary perspectives
"Des initiatives internationalistes contre la guerre et le capitalisme"
Depuis des décennies, le système capitaliste mondial est en crise. La fin du boom de l’après-guerre a conduit à toutes sortes d’expédients dans les pays capitalistes les plus riches, comme nous l’avons souligné dans notre série sur les « Fondements économiques du capitalisme » (dont la dernière contribution se trouve dans le numéro 24, été-automne 2024). La restructuration du capital – qui a entraîné la décimation de la classe ouvrière industrielle dans les États « avancés » de l’Occident et l’effondrement de l’ancien bloc soviétique (qui n’était pas un « socialisme réellement existant », comme l’appelait Staline) – et la mondialisation ont conduit à la résurgence de la Chine, qui est désormais bien plus qu’un exportateur de biens de consommation bon marché. Nous sommes arrivés à une situation d’intensification générale de la concurrence impérialiste. Les dettes nationales n’ont jamais été aussi importantes en dehors des périodes de guerre. Le capitalisme est à court de tactiques pour prolonger son existence. La guerre en Ukraine se poursuit, les massacres en Palestine se poursuivent, les guerres continuent au Soudan, au Mali, au Yémen, au Congo et dans de nombreuses autres parties du monde. Pendant ce temps, le pillage de la nature à des fins de profit et de sécurisation des chaînes d’approvisionnement impérialistes engendre des phénomènes météorologiques de plus en plus étranges, ainsi que des catastrophes telles : incendies de forêt, inondations et glissements de terrain qui détruisent des milliers de vies. Peut-être la « fin de l’histoire », mais certainement pas un monde de paix et de prospérité. Alors que des individus comme Elon Musk ou Jeff Bezos revendiquent des richesses supérieures à celles de certains pays, la classe ouvrière mondiale, celle dont la force de travail est à l’origine de toute la richesse du capitalisme, se voit attribuer une part de plus en plus petite du gâteau. Nous pourrions nous étendre sur l’état désastreux des services de santé dans les pays les plus riches du monde, l’omniprésence des banques alimentaires, les personnes vivant dans des tentes dans les rues, les centres-villes délabrés jouxtant les terrains de jeux des riches... Le fossé entre les riches et les esclaves salariés du capitalisme est un gouffre béant. Aucune réforme ne peut y remédier fondamentalement.
Que pouvons-nous faire dans une telle situation ?
Notre perspective est que le capitalisme mondial est tellement enlisé dans la crise que la seule issue pour lui est la guerre : une guerre pour dévaloriser le capital, comme lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. La guerre entre la Russie et l’Ukraine est le signal que le capital est entré dans cette nouvelle et dangereuse période préliminaire, une période où il ne s’agit pas seulement de jouer du sabre et de réaligner sérieusement les forces en présence. Telle est la situation dans le monde entier. Elle ne peut que s’aggraver et, pour l’instant, il n’y a guère de signes de riposte de la part de la classe ouvrière. Nous ne sommes pas en mesure de modifier la situation mondiale et nous ne pouvons pas avoir beaucoup d’impact sur la conscience de la classe ouvrière dans son ensemble, mais nous pouvons avoir un effet sur ce que les militants communistes «font ».
Nous sommes absolument convaincus que le capitalisme mondial mène l’humanité au désastre. La guerre et la destruction de l’environnement, conséquences de la société capitaliste, font peser sur notre classe une série de malheurs. Cependant, la classe ouvrière dans son ensemble a été lente à réagir.
Dans cette situation, les révolutionnaires doivent trouver des moyens de travailler ensemble, même en dehors des périodes de militantisme de classe généralisé, particulièrement aujourd’hui. Une leçon fondamentale de l’histoire de notre classe est que les révolutionnaires qui attendent que les événements les propulsent agissent trop tard. L’échec de [Rosa] Luxemburg à rompre avec le SPD et à former un groupe clairement révolutionnaire en opposition à celui-ci, l’échec de la gauche révolutionnaire en Grande-Bretagne à rompre clairement avec la collaboration de classe du British Socialist Party (BSP) et à se regrouper autour d’une alternative révolutionnaire, même l’exemple de la gauche de Zimmerwald qui s’est réunie à partir de 1915, bien après le début de la guerre, ne sont pas des exemples à imiter. Nous ne savons pas de combien de temps nous disposons, mais nous savons qu’il vaut mieux que les révolutionnaires travaillent ensemble avant qu’une guerre généralisée n’éclate, plutôt que de commencer le processus après. En d’autres termes, étant donné la gravité de la situation mondiale, nous soutenons qu’il est impératif que les révolutionnaires essayent de travailler ensemble. C’est dans cet esprit que nous saluons les initiatives prises contre l’avenir que le capitalisme nous prépare à tous.
De notre point de vue, compte tenu de la gravité de la situation mondiale, nous sommes prêts à écouter toutes les propositions d’internationalistes cohérents qui n’érigent pas de barrières artificielles contre la participation de tous. Nous ne parlons pas aujourd’hui d’un regroupement politique global. Nous devons nous concentrer sur les questions d’actualité, et non débattre de nos divergences sur la manière dont la contre-révolution a mis fin aux espoirs de nos ancêtres la dernière fois. Bien sûr, ce serait plus facile s’il existait déjà un mouvement de base issu de la classe, s’opposant à toutes les horreurs que le capitalisme nous inflige, mais pour l’instant, en l’absence d’un tel mouvement, nous pensons que ceux qui acceptent cette perspective doivent se parler, et pas seulement participer à des coups d’éclat, pour discuter sérieusement des perspectives et de la possibilité de travailler ensemble - même si tout ce que nous pouvons faire pour l’instant est de faire de la propagande auprès de la classe ouvrière et d’espérer qu’une partie de nos propos trouve une audience. C’est pourquoi l’Internationalist Communist Tendency (ICT)[1] a envoyé des délégations (composées de camarades du CWO) à la « Semaine d’action de Prague contre la guerre »[2] en mai et à la conférence des internationalistes d’Arezzo[3] en juin (des camarades de Battaglia Comunista et du Groupe révolutionnaire internationaliste[4] y ont participé).
Nous disposerons, bientôt, de plus de détails sur la conférence d’Arezzo[5]; elle vient de se terminer au moment où Revolutionary Perspectives est sous presse. Nous nous concentrerons davantage sur la semaine d’action et la conférence qui ont été organisées à Prague.
D’un point de vue organisationnel, ce fut un désastre. Les participants peuvent ne pas être d’accord sur les responsabilités, mais le fait est que certains événements n’ont pas eu lieu du tout, que d’autres ont été peu fréquentés, que l’on avait promis des logements aux participants mais qu’ils n’en ont pas eu et que, finalement, le vendredi, le lieu du congrès s’est désisté. En l’absence de toute communication de la part des organisateurs, une cinquantaine de participants se sont réunis et ont organisé leur propre congrès. Les discussions se sont poursuivies pendant de nombreuses heures et, bien que les organisateurs initiaux aient fini par trouver un autre lieu, le congrès auto-organisé avait déjà prévu de se tenir le lendemain. Le samedi, deux événements distincts ont donc eu lieu : le congrès officiel et le congrès auto-organisé (bien que certains participants aient visité les deux au cours de la journée).
D’un point de vue politique, le véritable clivage qui est apparu était entre les activistes qui cherchaient des solutions immédiates pour arrêter la guerre, et ceux qui étaient orientés vers la lutte des classes, qui avaient une perspective à plus long terme et comprenaient que les guerres, en tant que produit du système capitaliste, ne pouvaient être arrêtées que par la lutte de masse des travailleurs.
Cependant, tout cela n’a pas été une perte de temps. Au cours de la semaine, de nombreuses conversations intéressantes se sont déroulées (en particulier dans les petits groupes, dans les pubs, les cafés, etc.). Des expériences ont été partagées et des liens ont été établis entre organisations et individus de nombreux pays différents. Par-dessus tout, il était réconfortant de voir des internationalistes de diverses tendances unir leurs forces pour improviser leur propre congrès. Nous avons tous essayé de tirer le meilleur parti d’une mauvaise situation et cela nous a rapprochés. En ce sens, nous sommes heureux d’y être allés.
Il convient de poursuivre les discussions avec tous ces groupes avant de pouvoir aborder la question d’un travail en commun. Nous ne savons pas où ces conversations mèneront – peut-être même qu’elles ne mèneront à rien dans certains cas. Mais nous pensons que ces discussions sont essentielles. La situation géopolitique s’aggrave et les fauteurs de guerre du capitalisme changent la donne. Les drapeaux nationaux flottent partout. L’enjeu est trop important pour ne pas essayer de parler à d’autres personnes qui partagent certaines de nos perspectives, mais pas toutes. Nous ne savons pas combien de temps il nous reste avant que le capitalisme ne s’embarque irrévocablement dans une guerre mondiale, mais quel que soit ce délai, les discussions entre internationalistes doivent sérieusement commencer.
Nous publions deux textes issus de ce processus : le premier est l’appel que nous avons lancé avant la «semaine d’action» aux internationalistes qui y ont participé. Le second, fruit de cette participation, représente les réponses à certaines questions concernant notre position sur le « défaitisme révolutionnaire» qui nous ont été posées par le collectif Péntek esti kísértetjárás (« La hantise du samedi soir ») en Hongrie[6].
Le capitalisme nous conduit vers une catastrophe de plus en plus grande, et seule l’action de masse de la classe ouvrière sera en mesure de sauver l’humanité – pas simplement en plaidant pour la « paix », mais en fin de compte par la création par la grande masse de la classe ouvrière de ses propres organes politiques : des organes au sein desquels la progéniture politique de la scène politique d’avant-guerre sera organisée au mieux en un parti politique parlant clairement (ou « organe » si nous voulons être mesquins), avec un programme clair à présenter à la classe ouvrière. La TCI n’est pas ce parti, même si nous espérons être l’un des éléments qui le composeront. Nous demandons instamment à tous ceux qui voient la catastrophe qui vient et qui conviennent que la classe ouvrière est la seule force capable de l’empêcher, d’ouvrir un dialogue avec nous, afin d’essayer d’apporter cette perspective révolutionnaire à la classe ouvrière. Nous ne pouvons pas nous permettre de penser qu’il y aura du temps plus tard. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser filer les occasions de dialoguer maintenant. Nous pensons que la complaisance face à ce que le capitalisme est en train de déchaîner sur le monde est une énorme erreur. Nous pensons que la sous-estimation de la férocité des attaques à venir nous mène au désastre. Nous demandons instamment à tous les révolutionnaires d’examiner sérieusement la dynamique de la situation actuelle et la direction que nous prenons, et de commencer dès maintenant à créer l’organisation politique dont la classe ouvrière aura besoin à l’avenir.
Communist Workers Organisation (CWO)
Mardi 13 août 2024
Revolutionary Perspectives (CWO).
[1] Tendance communiste internationaliste : https://www.leftcom.org/fr/about-us.
[2] https://www.leftcom.org/en/articles/2024-05-01/to-the-internationalists-attending-the-prague-week-of-action
[3] https://www.leftcom.org/en/articles/2024-06-13/revolutionary-defeatism-today-some-questions-answered
[4] Note de l’éditeur-traducteur Pantopolis : le groupe adhérant en France à la TCI.
[5] Note de Pantopolis : voir surtout le site de Controverses (https://www.leftcommunism.org/) pour la publication des textes sur la conférence d’Arezzo (Italie), ainsi que la revue Controverses n° 8 à paraître.
[6] https://reszeghajo.hu/korunk-anarchista-kommunista-dokumentumaibol/pentek-esti-kisertetjaras-kiadvany-internacionalista-irasok-a-2022-es-ukrajnai-haborurol/. Note de Pantopolis : il s’agit d’un groupe hongrois anarcho-communiste composé de « communistes non bolcheviques et d’anarchistes combattant les classes ».