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théorie politique

Quelques éléments de conclusion au livre La gauche communiste italienne, 2017

Publié le 17 Septembre 2024 par Ph. B. Pantopolis

Introduction (pantopolis) : le sectarisme est l'un des pires ennemis de l'internationalisme communiste authentique

Quelques éléments de conclusion au livre un siècle de Gauche communiste "italienne" 1915-2015, Moto proprio, 2017.

Paris, 17 septembre 2024.

 

Quelques éléments de «conclusion

 

Retour à l’intégrisme «léniniste» ou à la gauche communiste allemande?

La période de Mai 68 et de l’Automne chaud italien firent ressurgir les grandes espérances d’une «lutte finale» anéanties pendant plus de 40 années par la réaction fasciste et stalinienne, puis la seconde guerre mondiale. Les grèves sauvages antisyndicales, les organismes spontanés et autonomes (du moins au début) qui naissaient un peu partout pour disparaître après celles-ci posaient la question des organes politiques, les conseils ouvriers, bien oubliés depuis 1917-1919. Et il n’est pas surprenant qu’un peu partout dans le monde, ressurgissait le spectre de la gauche communiste allemande et hollandaise, qui les premières après 1905 avaient préconisé les «grèves de masse» révolutionnaires.

Les événements de 1969 en Italie semblaient pleinement vérifier l’analyse de Rosa Luxemburg sur 1905 en Russie, où elle imaginait ce que pourrait être un mouvement de classe dans un pays comme l’Allemagne. Si l’on remplace le mot Allemagne par celui d’Italie, la théoricienne militante anticipait la situation de l’Italie en 1969 : «Si des grèves de masse se produisent en Allemagne, ce ne seront sûrement pas les travailleurs les mieux organisés […] mais les ouvriers les moins bien organisés ou même inorganisés […] qui déploieront la plus grande capacité d’action»[1].

Toute cette période vit sortir de l’oubli les textes fondamentaux du communisme des conseils représenté par Pannekoek[2], Gorter[3] et le KAPD[4] allemand. Celui-ci était né de l’affrontement des tendances radicales du prolétariat allemand avec les appareils syndicaux social-démocrates, puis contre la politique kominternienne de «conquête» des syndicats et du Parlement.

La redécouverte du KAPD en France et en Italie donna lieu, dans le milieu de la Gauche communiste italienne, officielle et dissidente, à deux réactions critiques, finalement complémentaires. La première reprochait au KAPD d’avoir été «trop prolétarien» dans une phase historique de «domination réelle du capital», où «le prolétariat doit… immédiatement se supprimer». Le grand tort du KAPD, ce fut de «céder» au piège du «politique», celui de «la mystification du prolétariat-classe dominante». Dans la phase historique ouverte depuis la «révolution allemande», «le prolétariat ne peut plus avoir un rôle historique fondamental car il est intégré dans le capital». La révolution communiste serait finalement une autonégation du prolétariat devenu «une vaste classe révolutionnaire universelle», englobant toute la population du monde[5]. Finalement, et là Jacques Camatte rejoignait Bordiga dans son attente de la parousie communiste, sans aucun «parti formel», se lèverait un beau matin la révolution : «anonyme» et «universelle», car le MPC (mode de production capitaliste) ne peut connaître «non la décadence mais un écroulement»[6].

L’autre attitude, utilisée par les disciples de Bordiga, s’est contentée de trainer dans la boue le KAPD, considéré comme le «pire ennemi» d’un bolchevisme sacralisé, dont les «programmistes» se prétendent les meilleurs derviches tourneurs. Dans un texte remarquable, sur les «deux crises du PCI»[7], Lucien Laugier démontait tout un mécanisme idéologique, propre au «programmisme», qui n’hésite pas à «recourir à l’amalgame et à la manipulation des textes pour dénaturer le ‘kapédisme’», où l’enjeu est «moins (de défendre) Lénine comme moment historique de la révolution que le léninisme en tant qu’idéologie», alors que devient patent «l’écroulement historique de l’idéologie léniniste».

Aussi «le PCI procède à l’exécution capitale à titre posthume (du KAPD)»[8], en affirmant que même sur le plan de l’abstentionnisme, «la gauche marxiste et le KAPD… se ‘rencontrent’ comme sur le champ de bataille deux armées opposées»[9].

Le KAPD est mis d’entrée hors la Loi du «parti» unique et «totalitaire», même si la cause semble juste : «Parce que le KAPD était étranger au marxisme sur des questions essentielles, nous refusons toutes ses critiques de l’I.C., même et surtout lorsqu’elles paraissent vraies. Ce serait détruire toute la tradition de la Gauche marxiste d’admettre que l’on peut déduire une tactique juste de principes faux»[10].

Aussi, le programmisme ne peut-il que cultiver «l’esprit polémique» où «la passion dogmatique tient lieu d’argument», où «la vertu de l’incantation est le seul lien posé entre le passé et l’avenir».

Au titre des incantations, on n’en citera que quelques-unes (la liste est infinie), toutes empreintes d’une éclatante mauvaise foi :

– le KAPD aurait été une secte de pédagogues, en soulignant le rôle de la conscience de classe : «…Pannekoek prétend que le sort du prolétariat et, plus généralement, de la société, est déterminé par le degré d’éducation et de la conscience des problèmes sociaux des masses. ‘Éduquez-vous et votre sort changera !’, disent-ils»[11].

 – Pannekoek, critique du matérialisme vulgaire chez Lénine et du capitalisme d’État soviétique[12], serait «l’expression la plus achevée du matérialisme bourgeoi[13].

– le KAPD et Pannekoek auraient été des réformistes autogestionnaires du capital, des clones du gramscisme, pour avoir affirmé que «les conseils ouvriers sont la forme d’organisation propre à la période de transition pendant laquelle la classe ouvrière lutte pour le pouvoir, anéantit le système capitaliste et organise la production sociale»[14].

En fait, dans leurs basses œuvres d’«exécution» du «kapédisme», les «programmistes» sont contraints de «lâcher le morceau». Ce qu’ils nomment «lutte révolutionnaire» est un phénomène miraculeux jamais engendré par la propre conscience du prolétariat. La révolution est, selon Bordiga, un processus inconscient et purement physiologique : «La conscience de classe vient à la fin et, de façon générale, après la victoire décisive». Finalement, pour reprendre la formule de Bernstein, le mouvement serait tout et le but conscient rien[15] : «Depuis des dizaines d’années, on nous reproche de vouloir une révolution d’inconscients… cela ne nous gêne pas du tout que les coups soient portés à fond par des hommes non encore conscients de l’issue de la lutte»[16].

La «révolution», selon les partisans de Bordiga, se réduirait à un processus blanquiste, celui d’une petite élite appelée à diriger par la seule FORCE les masses livrées à leurs instincts : «La gauche marxiste italienne a affirmé de façon lapidaire que ni les partis ni les révolutions ne se font; on les dirige»[17].

Le processus révolutionnaire se résume en quatre mots : «Parti et État, terreur centralisée et dictature»[18]. Parler de la conquête de la liberté pour la classe exploitée revient à faire naufrage dans les «eaux puantes du démocratisme» : «Il n’existera jamais une ‘liberté de la classe ouvrière’, mais seulement la domination politique du prolétariat qui lui permettra de disparaître plus tard comme classe grâce à la destruction du capitalisme»[19]. Et comme la domination du prolétariat ne peut s’exercer qu’à travers son «parti» terroriste, on devine que cette «domination» n’est que celle du pur arbitraire du «Parti-État», dont le totalitarisme est considéré par Bordiga comme une vertu cardinale[20].

 

 

 

L’absence d’un réel bilan de la Révolution russe. Le danger du négationnisme néo-stalinien

Il y a presque vingt ans paraissait en français, puis en italien et dans bien d’autres langues, à des centaines de milliers d’exemplaires un ouvrage coordonné par un ancien maoïste, un temps disciple de la terreur stalinienne, Stéphane Courtois[21], s’appuyant en fait sur le travail de Nicolas Werth, qu’il chercha à détourner dans un sens «ultradroite»[22]. Que le but de Courtois fut de tuer toute idée de «communisme», entendu comme fil de la révolution sociale depuis 1848 et la Commune, était clairement affirmé : «Le travail de deuil de l’idée de révolution telle qu’elle fut envisagée aux xixe et xxe siècles est loin d’être achevé». Bien entendu, le «maître d’œuvre», ‘marxiste-léniniste’ défroqué, ne montra aucun intérêt à aborder deux questions gênantes : le «régime communiste» russe n’était-il pas rien d’autre que du capitalisme d’État à la sauce léniniste[23]; ses anciens maîtres «communistes» n’étaient pas en train de construire la seconde économie capitaliste du monde, par un habile dosage de stalinisme et de libéralisme[24] ?

Face à cette tentative idéologique de dissimuler la totale adéquation de ce «communisme» avec le capitalisme d’État, les deux courants de la sinistra comunista italiana (le PCInt «Battaglia Comunista» et toutes les tendances bordiguistes) se sont contentés de contorsions-dénégations à propos des faits incontestables donnés par l’historien Nicolas Werth, ceux d’une féroce répression contre la classe ouvrière, laquelle perdit très tôt le pouvoir, avec l’intégration par la force des conseils dans l’État[25]. C’est cette réalité anti-ouvrière que nous avions mise en exergue en 1999, dans un article (toujours consultable) :

«Très tôt le ‘nouveau’ régime pratique une féroce répression anti-ouvrière, au cœur même du prolétariat. En mars 1919 la Tcheka prend d’assaut les usines Poutilovsymbole de la Révolution et des conseils ouvriers. 900 ouvriers sont arrêtés et 200 exécutés. Le même mois, à Astrakhan, la répression de la grève des ouvriers se traduisit par l’exécution d’au moins 2.000 travailleurs. Le 12 février 1920, la Pravda écrivait (signe de «libéralisation» après la terreur?) : ‘La meilleure place pour un gréviste, ce moustique jaune et nuisible, c’est le camp de concentration!» [26]. 

Et que dire des appels répétés non à une répression bien ciblée de la contre-révolution, mais à un génocide terroriste, et cela dès l’été 1918. Dans la Pravda du 31 août, on peut lire : «[Travailleurs, c’est l’heure d’anéantir la bourgoisie, si nous ne voulons pas être anéantis par elle]. Les villes doivent être implacablement nettoyées de toute la putréfaction bourgeoise. Tous ces messieurs doivent être fichés et tous ceux qui représentent un danger pour la cause révolutionnaire [seront] exterminésÀ partir de maintenant, l’hymne de la classe ouvrière sera un chant de haine et de vengeance»[27].

Que dire aussi de cette proclamation de Zinoviev, en septembre 1918, sinon qu’elle n’a pas besoin de commentaire superflu : «Pour défaire nos ennemis, nous devons avoir notre propre terreur [humanisme] socialiste. Nous devons entraîner à nos côtés (disons) 90 des 100 millions d’habitants de la Russie [vivant sous le pouvoir] soviétique. Quant aux autres, nous n’avons rien à leur dire. Ils doivent être anéantis»[28].

Force est de constater que tous ces faits historiques incontestables et leur interprétation dans le sens de la reprise du pouvoir par un prolétariat qui en avait été exclu très tôt dès mars 1918, ont été soumis à la dénégation. Tout comme ont été soumises à la dénégation les vives critiques faites par les révolutionnaires bolcheviks les plus lucides, s’inquiétant de la gangrène propagée par la Tchéka, selon le rédacteur de la Pravda Mihail Ol’minskij (1863-1933), «(une organisation) truffée de criminels et de sadiques… d’éléments dégénérés du lumpenproletariat»[29].

Des deux courants, se revendiquant de la sinistra comunista italiana, seul le courant «daméniste» se revendiquait explicitement de la revue Bilan, aussi bien sur la question de la violence de classe que par le rejet de la répression de Kronstadt, position réaffirmée en 1945 par Battaglia Comunista.

Nous rappellerons donc de nouveau (cf. supra) les articles de Bilan, écrits par Ottorino Perrone, où ce dernier soulignait que «ce n’est pas par la force et la violence qu’on impose le socialisme au prolétariat» et qu’«il valait mieux perdre Kronstadt que de le garder au point de vue géographique». Tout «parti de classe» authentique ne pouvait «rester au pouvoir en infligeant une défaite aux principes prolétariens». Et Bilan ajoutait : «Dictature du parti ne peut devenir... imposition à la classe ouvrière des solutions arrêtées par le parti, ne peut surtout pas signifier que le parti puisse s’appuyer sur les organes répressifs de l’État pour éteindre toute voix discordante en se basant sur l’axiome que toute critique, toute position provenant d’autres courants ouvriers est par cela même contre-révolutionnaire... »[30].

Or, dans un article de 1998, le courant du PCInt «Battaglia Comunista» se livre à des dénégations, qui pourraient passer pour une apologie des Kronstadt d’hier et de demain. On peut lire par exemple à propos de la répression anti-ouvrière de 1919 qu’il s’agit uniquement «d’ouvriers embrigadés par les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires… pour faire passer des mots d’ordre contre-révolutionnaires», que de toute façon «la classe ouvrière est révolutionnaire ou n’est rien». Non seulement est exalté (timidement) le livre de Trotsky Terrorisme et communisme (1920), mais le lecteur apprend que les conseils ouvriers sont un simple «détail» du mouvement prolétarien, le «Parti» étant tout, car il ne saurait y avoir plusieurs partis prolétariens, mais rien que le parti unique : «... s’il est vrai que le Parti sans les soviets est comme suspendu dans le vide, il est non moins vrai que les soviets sans le parti sont des organismes aveugles destinés à se transformer en tragique caricature du parlementarisme bourgeois»[31]. Une position difficilement tenable, car le courant daméniste précise aujourd’hui dans sa presse que : «Nous sommes pour le parti, mais nous ne sommes pas le parti, ni son unique embryon»[32].

Le PCInt «Battaglia Comunista», de par ses origines (celles de 1943-45) a voulu concilier le léninisme et le «luxembourgisme», alors qu’il condamnait Kronstadt et les prétendues «luttes de libération nationale», d’un côté, et préconisait, de l’autre, la formation de conseils ouvriers, seuls instruments de la prise du pouvoir.

En cela, le PCInt «daméniste» se trouve réellement «comme suspendu dans le vide», en voulant concilier l’inconciliable. Comme le soulignait déjà Paul Mattick (en 1935), « … la position de Luxemburg est incompatible avec le bolchevisme léniniste et, par conséquent, quiconque se réclame de Lénine ne saurait en même temps invoquer Rosa Luxemburg à l’appui de ses thèses»[33].

Que, par contre, les derniers des Mohicans du courant bordiguiste continuent à répéter les mêmes mantras de «terreur rouge», «dictature du Parti» et «Kronstadt», ne surprendra guère que les naïfs. Les bordiguistes, sauf à se saborder, n’affirmeront jamais autre chose que la nécessité absolue de la terreur des «sans-culottes» prolétariens : «rouge» quand il s’agit du «Parti prolétarien» «totalitaire», et «radicale paysanne» quand il s’agit de la terreur khmère rouge (cf. supra). Le courant bordiguiste n’a nulle besoin d’hypocrites dénégations, il assume et assumera – s’il le peut un jour – sans état d’âme la violence terroriste contre le prolétariat qui oserait se dresser contre son «parti» autoproclamé. Violence, terreur et dictature sont les mamelles du destin promis au prolétariat :

«Le stalinisme, avec son cortège de massacres et de répressions bestiales, était le continuateur du bolchevisme, mais aussi la démonstration que le caractère ‘autoritaire’ et ‘anti-démocratique’ du marxisme débouche inévitablement sur une dictature contre la classe ouvrière et le ‘peuple’ en général. Cette thèse éculée reste un argument courant des anarchistes contre les marxistes; elle est en outre répandue avec toute la puissance des organes de propagande bourgeoise (voir le fameux ‘Livre noir du communisme’ diffusé à des centaines de milliers d’exemplaires de par le monde)»[34].

Il est inévitable et souhaitable que le 100e anniversaire d’Octobre 1917 pose la question de la «violence de classe» face à tous les États reposant sur l’exploitation et la terreur des opprimés. Répondant à la terreur de la classe dominante – qu’elle soit «communiste», «socialiste», «libérale-démocrate» ou religieuse (djihadiste sunnite, gardienne de la révolution islamique chiite, etc.), cette violence sera inévitable, dans l’hypothèse d’un surgissement d’un tsunami prolétarien mondial au xxie siècle. Cette riposte à l’insupportable traduirait d’abord un instinct de survie d’un prolétariat désarmé face aux classes dominantes qui sont impitoyablement radicales si à leur force brute rien d’autre n’est opposé que la passivité. Se posera inévitablement la question majeure : à la terreur de l’État, les damnés de la Terre opposeront-ils nécessairement une contre-terreur radicale, en laissant un parti unique agir en leur propre nom et se substituer à leur propre volonté, celle de construire à travers leurs organes de masse (les conseils, quelle qu’en soit l’étiquette ancienne ou nouvelle) une société de liberté sans exploitation de l’homme par l’homme.

Dans ce «bilan» de la Révolution russe, le dénégationnisme de groupes se rattachant à la Gauche communiste sera vain : aucune économie d’une discussion sur le sens de cette révolution n’est possible, alors que l’honnêteté de l’historien révolutionnaire implique d’examiner sans tabous ni préjugés les étapes et les instruments du passage de la révolution à la contre-révolution.

Plus dangereux nous semble, depuis quelques années la montée en puissance d’un négationnisme néostalinien. Certaines maisons d’édition se sont fait une spécialité de nier les crimes du capitalisme d’État de Lénine à Staline, et tout particulièrement ceux du Petit Père des peuples[35]. Depuis une décennie, se succèdent publication après publication des «études scientifiques» tentant à montrer que la mémoire du grand chef de la guerre patriotique Joseph Staline est la victime de «honteuses» falsifications de Khrouchtchev à Gorbatchev. Ce dernier, en particulier, pour avoir laissé entrouvertes les archives les plus secrètes du pouvoir, auxquels ont eu accès d’authentiques historiens, est la cible de ces néo-staliniens.

Pour ceux-ci, les massacres staliniens de masse ne seraient que le « passé d’une illusion», construite sur des montagnes d’archives «falsifiées». La méthode de ce «négationnisme» stalinien est maintenant bien rôdée : le premier commandement est de nier l’authenticité de tous les documents prouvant la monstruosité des crimes du «socialisme dans un seul pays» depuis 1925 ; le deuxième, si cela ne suffit pas, est de s’exercer un jeu sans fin de l’hypercriticisme pour semer en permanence le doute insinuant; le troisième est de faire du doute, solidement étayé par des campagnes éditoriales, un élément de preuve «définitive» de la falsification des documents les plus authentiques.

On peut, à titre d’exemple, citer la page de garde d’un ouvrage du professeur américain Grover Furr, sur Katyn. Cette espèce de «frère jumeau» du «professeur» Faurisson, qui semble donner toutes garanties d’honorabilité[36], s’évertue, à propos du massacre de Katyn, ordonné par Béria, Mikoyan et Staline, à contredire la vérité historique : «Après 1989-1991, le gouvernement soviétique de Mikhail Gorbatchev proclame que Staline a affectivement fait exécuter les Polonais. En 1992, le président russe Boris Eltsine remet aux Polonais des documents du fameux ‘dossier fermé n° 1’ comme preuve de la culpabilité soviétique à Katyn. Depuis 1995, de nombreux historiens russes ont affirmé que ces documents étaient des faux, destinés à dénigrer le Parti communiste soviétique et Staline en général. Tandis que les anticommunistes (et les trotskistes) les acceptaient comme ‘preuve’ irréfutable». Et bien entendu, comme dans tout négationnisme : «ce livre se veut une présentation objective, scientifique et un compte rendu des éléments de preuve concernant ce sujet important au plan historique et politique»[37].

Le but est on ne peut plus clair. Tout ce qui démonte et démontre la terreur d’un État instaurant le capitalisme d’État dans la boue du Goulag et le sang de millions d’ouvriers et de paysans russes[38] se transforme – dans le monde ré-enchanté du néostalinisme – en «falsification anticommuniste». Initiée par le Rapport secret de Khrouchtchev de 1956[39], cette «falsification» aurait été mise en place dès la fin des années 80. Pour ces Merlin enchanteurs du stalinisme, il s’agit de «démontrer» que la «falsification» été parachevée par d’autres «traîtres» Gorbatchev et Eltsine, coresponsables en fait de la chute du «glorieux Empire soviétique», de la «Grande Russie»[40].

De façon plus subtile, un philosophe «communiste», président de la société hégélienne internationale et professeur d’université, Domenico Losurdo, s’est lancé dans cette bataille du négationnisme stalinien. Dans un livre récent, il prétend réhabiliter Staline, Grand Patriote socialiste et homme d’État, dont la personnalité doit être soigneusement distinguée du régime qui porte son nom. Le point de départ est la «constatation» (pour qui ?) que l’image de Staline était plutôt «positive» dans le monde au moment de sa mort en mars 1953. C’est la diffusion du rapport Khrouchtchev qui aurait précipité «le dieu aux enfers» (sic). Ce rapport est d’ailleurs l’une des principales cibles de Domenico Losurdo. Selon lui, il s’agirait d’un document répondant à la seule lutte interne à la direction du PCUS. En fin de compte, la plupart des assertions portant sur Staline seraient pure invention[41].

Pour le centième anniversaire d’Octobre 1917, vont certainement couler à flots autant les mensonges néo-staliniens, pour défendre le «patriotisme socialiste» que ceux d’une «démocratie libérale» en crise. Les uns martèleront qu’il faut revenir au «modèle stalinien», les autres que toute révolution des damnés de la Terre ne peut mener qu’au totalitarisme. Dans les deux cas, les deux camps, totalement solidaires, ne livreront jamais le vrai secret du «pays du grand mensonge» : le capitalisme d’État où l’homme est considéré comme le «capital le plus précieux», un capital vite détruit pour la plus «grande gloire» de la «patrie socialiste».

 

 

 
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