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théorie politique

Fin de partie à Mayotte ?

Publié le 23 Décembre 2024 par Pantopolis

Canal du Mozambique en 2022.

Canal du Mozambique en 2022.

Fin de partie à Mayotte ?

De la tornade policière Wuambushu (avril 2023),  à la destruction de Mayotte par le cyclone Chido (14 décembre 2024)

 

Emmanuel Macron, chef de l’État hexagonal, adore depuis son élection en 2017 puis sa réélection en 2022, tenir la pose du matamore va-t-en-guerre. Face au profond mécontentement social de la population kanake de Nouvelle-Calédonie, le « petit marquis poudré », habitué à mater les « manants » (gilets jaunes en 2018-2019), envoya sa troupe pour réprimer les « salauds de pauvres »[1] de l’île (11 jeunes kanaks tombèrent sous les balles des gendarmes).

Le petit marquis, près de voir son trône élyséen renversé par la vertu des élections, continua la même politique brutale de répression, au sein de l’archipel volcanique de Mayotte, à 8.700 km de Paris. Mayotte – « protectorat français » (depuis 1841) – a été détachée de l’archipel des Comores, malgré de vaines condamnations de l’Assemblée des Nations unies. Aussi, en 2011, Mayotte devint sans coup férir le 101e « département de la République ». Un même groupe ethnique a été scindé en deux par le jeu des confrontations impérialistes (voir infra). Mayotte est la source de tensions permanentes entre les Comores (Anjouan) et la France puisqu'elle a créé un appel d'air pour les Comoriens, qui recherchent un niveau de survie moins intolérable. Des liens familiaux anciens ont été brisés par une artificielle frontière dite « républicaine ».  Les mêmes familles ont été décrétées du jour au lendemain juridiquement « clandestines », la moitié des gens de Mayotte devenant par la vertu de la loi bourgeoise de simples hors-la-loi.

Mayotte a acquis le triste « privilège » d’être le département le plus pauvre de France[2]. Son autre « privilège » est d’être un terrain de chasse permanent contre « l’immigration illégale ». Cette chasse à courre pratiquée par les sbires de l’État capitaliste a  pris la forme de l’opération Wuambushu (« reprise en main », en mahorais). Initiée le 22 avril 2023 par Gérard Darmanin, « petit-fils d’immigré », cette opération est une violente chasse à l’homme; elle s’apparente aux classiques expéditions coloniales du passé. Les canonnières ont été remplacées par les blindés et les hélicoptères de la gendarmerie.

Soutenue par les droites républicaine et macroniste et leur allié naturel le Rassemblement national, l’opération de « décasage »[3], visait à détruire 10 % de l’habitat en tôle et à expulser manu militari les populations comoriennes de l’île, dépourvues de vrais « papiers made in France » et traitées en « délinquantes »[4].

Pour cette opération coup de massue républicaine, l’État français avait mobilisé des moyens policiers et militaires impressionnants, dont des unités spéciales antiterroristes…

À la dévastation politique et sociale causée par l’État policier des droits de l’homme, s’est finalement ajoutée la dévastation causée par le cyclone Chiro le 14 décembre 2024. De façon très suspecte, les autorités françaises donnent un bilan inférieur à 40 morts, alors qu’un silence de mort plane dans les collines de Grande-Terre et que le chiffre des victimes est beaucoup plus élevé au Mozambique, de l’autre côté du canal du même nom[5].

« Ça ressemble à Hiroshima », affirme choquée une mère de famille originaire d’Anjouan (Comores), alors que la rumeur enfle de dizaines de milliers de disparus. Surnommée « l’île aux parfums », au-dessus de Mayotte flotte désormais « un parfum de mort sur les pentes décharnées»[6]. Débarqué de son hélicoptère de la gendarmerie, l’inamovible « président Macron » répond aux supplications des victimes qui ont tout perdu – « on a soif », « on veut de l’eau, de la nourriture et de l’électricité » – par ses habituelles provocations verbales :  « qu’on puisse reconduire de façon plus efficace vers leur pays d’origine  (les migrants) » – en français « sans filtre » affectionné par le petit marquis, on doit traduire par : ‘plus d’expulsions’, ‘plus de gendarmes’  et plus de « destructions des bidonvilles », en grossissant l’armée de sans-abris…

Et ultime provocation à l’égard de ces gueux des tropiques : « … vous êtes contents d’être en France ! Si c’était pas la France, vous seriez 10.000 fois plus dans la merde ! Il n’est pas un endroit de l’océan Indien où on aide autant les gens. On ne peut vouloir être un département français et dire que ça ne marche pas »[7].

Autant de crachats épais du « président Macron » et de ses « amis » de la droite « républicaine » et lepéniste contre de misérables sans abri…

Cette politique se poursuit avec n’importe quel gouvernement, désigné par Macron, de Barnier jusqu’à Bayrou. Les premiers ministres changent presque chaque trimestre, mais le « premier flic de France » reste bien d’extrême droite. Le Vendéen Bruno Retailleau est fier d’être « le fils spirituel » (sic) de Philippe de Villiers et donc le porte-parole de la droite catholique la plus réactionnaire. Ayant pour seul programme celui de « rétablir l’ordre », le policier désigné par Macron et Bayrou, par son seul nom, est un crachat supplémentaire contre la moitié de la population de Mayotte considérée ad vitam aeternam comme indésirable : «  Suppression de l’aide médicale d’État (AME), du droit du sol, des subventions aux associations venant en aide aux migrants, instauration de la double peine, limitation des visas et du regroupement familial… »[8].

Devenu un impérialisme croupion aux abois, par ses pertes successives en forme de jeu de dominos en Afrique (du Mali au Tchad), le capital français est prêt à tout pour conserver le moindre de ses anciens points d’ancrage, face aux appétits gloutons des autres impérialismes (USA et Inde, Russie et Chine, mais aussi Turquie).

Les enjeux du canal du Mozambique[9]

Placée dans une région centrale de l’océan Indien et au Nord du Canal du Mozambique, l’archipel de Mayotte est un enjeu majeur pour le capitalisme français, un poste avancé de sa (fragile) domination dans la région. Permettant de faire valoir ses « droits » dans le Canal du Mozambique et varitable axe stratégique avec Djibouti et le département de la Réunion, Mayotte, depuis la moitié du XIXe siècle, assure à la France une position de « puissance de l’océan Indien » face aux autres impérialismes – dont le plus visible (et le plus tenace) est maintenant l’hyper-capitalisme d’État chinois – et aux États limitrophes (Mozambique et Madagascar, Tanzanie…). Aussi l’État français doit maintenir à tout prix par son appareil militaire une forme de stabilité. Stabilité très précaire, alors que la population de Mayotte fait face depuis longtemps à une situation critique sur le plan socio-économique, fortement aggravée par la classe possédante elle-même.

Dans la préparation à une troisième guerre mondiale, le Canal du Mozambique joue un rôle stratégique : 30 % des exportations mondiales de pétrole y transitent. Des gisements importants de gaz (3,7 milliards de m3 de gaz naturel)  ont attiré les convoitises de la France et du groupe Total, déjà impliqué dans des projets d’exploitation au Mozambique (en points de suspension pour cause de guérilla islamiste…). Ce sont des désastres écologiques programmés, car le Canal du Mozambique concentre 35 % des récifs coralliens de l’océan Indien – soit 4 % des récifs coralliens de la planète, et 5 % des forêts de mangrove du globe. Toutes ces dernières survivances de la biodiversité risquent de disparaître rapidement avec la chasse aux dernières réserves fossiles.

Du fait de sa position clé dans le Canal du Mozambique, Mayotte est un poste avancé de la France. La Légion étrangère est présente sur l’île mais doit surtout compter sur les Forces Armées de la Zone Océan Indien (FAZSOI), composées de 1.700 hommes installés à la Réunion. L’objectif est surtout  de contrôler les îles stratégiques comme Madagascar, les Seychelles et Maurice, ainsi que le trafic intense de bateaux de commerce (y compris de produits illicites), de pêche (militarisés) et même de flibusterie…

Entre les bases de Dzaoudzi (Petite-Terre à Mayotte) et du Port de la Pointe des Galets (Réunion), la France a construit un axe géostratégique (avec Djibouti) sur une bonne partie de l’océan Indien. Cette position prend une importance toute particulière dans le cadre des tensions géopolitiques actuelles qui opposent les USA (et l’Inde) à la Chine, où Madagascar et le Canal jouent un rôle déterminant dans la pénétration irréversible de l’Empire du milieu sur le continent africain. Ambitionnant de servir  de base arrière pour les intérêts occidentaux dans l’Indo-Pacifique, la France mégalomaniaque de Macron a vite subi une complète humiliation : non seulement elle n’a pu vendre 12 sous-marins à l’Australie, mais elle a été écartée fermement de l’alliance Aukus par les États-Unis et le Royaume Uni[10].

Le seul rôle qui puisse être concédé à la « France des libertés », c’est un rôle de simple police contre toute forme d’« immigration clandestine » et tout trafic illicite de drogues. Comme on peut le voir en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte, la « République » dispose de moyens éprouvés de répression, policiers et militaires, pour continuer à contrôler d’une main de fer ses derniers confettis coloniaux.

 *

*    *

Que ce soit en Nouvelle-Calédonie ou à Mayotte, et même dans les départements d’outre-mer (Guyane, Martinique, Guadeloupe), les classes laborieuses, toujours humiliées, réprimées et soumises à la vindicte policière, n’ont rien à attendre de la « République », qu’elle soit de droite et/ou de gauche. Une réponse sur un terrain de classe contre l’État capitaliste, soutenue par les travailleurs de la métropole, demeure la seule solution possible. Mais le complet silence social, comme celui de l’après-cyclone, règne toujours. Pour combien de temps encore, alors que la guerre menace partout sur tous les continents ?

Pour les prolétaires, les gueux et tous les damnés de la terre, il est temps d’émerger d’un trop long sommeil.

Pantopolis, 23 décembre 2024.

 

[1] « Salauds de pauvres ! » est l’invective célèbre lancée par le personnage de Grangil (incarné par l’acteur français Jean Gabin) dans le film de Claude Autant-Lara La Traversée de Paris (1956) adapté d’une nouvelle de Marcel Aymé. Cette réplique, qui évoque l’atmosphère pétainiste sous l’occupation, est depuis longtemps prise au pied de la lettre par des fractions significatives des « couches moyennes » : dans leurs torchons médiatiques (galaxie Bolloré) ou sur leurs « réseaux sociaux », il est affirmé que les chômeurs sont sans emploi car « ils n’en veulent pas », et que les minima sociaux les incitent à « flemmarder », que les aides accordées aux familles leur enlèvent le sens de « la dignité du travail » (sic), etc. Cf. Hubert Huertas : « Pourquoi les Français adhèrent au «Salauds de pauvres», Mediapart21 sept. 2014.

[2]  37 p. 100 de la population active est au chômage, 40 p. 100  des Mahorais vivent avec moins de 160 euros par mois, ne disposent que d’un seul hôpital (pour une population de 400.000 habitants). Faute de connexions à un véritable réseau d’eau potable, le « département de la république »  (depuis 2011) est menacé par des épidémies récurrentes de choléra.

[3] C’est le nom donné par les habitants de l’île comorienne aux expéditions menées par des groupes mahorais xénophobes et violents contre les habitants des bangas (maisons traditionnelles). Le dimanche, en général, ces « collectifs » envahissent les zones peuplées par des personnes originaires des autres îles de l’Archipel au cri de « Nawa lawé ! » (« Qu’ils partent ! », en shimaoré) et de « la France aux Français » ! (L’Humanité, 14 juin 2016).

[4] France 24, 21 avril 2023.

[5] Le Monde, 21 décembre 2024 : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/12/21/cyclone-chido-au-mozambique-au-moins-76-morts_6458663_3213.html

[6] Le Point, vendredi 20 décembre 2024.

[7] Le Monde, 22 & 23 décembre 2024 : « Sur place, Macron cible l’immigration clandestine ».

[8] L’Humanité, 23 septembre 2024, « Décivilisation », « Français de papier »... avec Bruno Retailleau, la rhétorique d’extrême droite entre au gouvernement ».

[9] Cf. Tristan Coloma & Quentin René François Ygorra, « Le canal du Mozambique : un espace de compétition crisogène », Notes de l’Ifri, Ifri, Centre Afrique subsaharienne, juin 2022.

[10] Cf. article du Monde : www.lemonde.fr/international/article/2023/03/14/alliance-aukus-la-france-a-mis-du-temps-a-digerer-l-affront_6165419_3210.html.

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