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théorie politique

Capitalisme, guerres et épidémies (partie I : marchandise, commerce et confinement)

Publié le 25 Mars 2020 par PB/Pantopolis

Capitalisme, guerres et épidémies

Xi Jin Ping, 10 février 2020 : «C’est une guerre que nous devons mener tous ensemble ».

Macron, 16 mars 2020 : « Nous sommes en guerre ».

Trump, 18 mars 2020 : « Je suis un président en temps de guerre ».

Merkel, 18 mars 2020 : « C'est sérieux. Prenez également la chose au sérieux. Depuis la Réunification allemande, en fait depuis la Seconde guerre mondiale, il n'y a eu aucun défi lancé à notre pays qui ne dépende autant de notre solidarité commune».

Berlusconi, ex-premier ministre italien, 20 mars 2020 : « Nous sommes en guerre. Restons proches de ceux qui gouvernent »

 

Pas plus que les sociétés de classe avant lui, fondées sur les échanges et le commerce, le capitalisme – en dépit de ses formidables avancées technologiques et médicales – ne peut arrêter la propagation des épidémies, qu’il a d’ailleurs favorisées en détruisant l’environnement naturel, en recherchant un profit-plaisir immédiat (comme celui de la drogue), en laissant inexorablement s’effondrer à coup de « coupes budgétaires » tout le système sanitaire, pour autant qu’il soit une réalité pour les deux tiers de l’humanité, en faisant du logement des cages à poules – comme les batteries de poules pondeuses –  où sont entassés dans la pire promiscuité des milliards d’êtres humains, élevés, dressés, nourris, soumis idéologiquement à «la puissance et la gloire» de la machine de guerre médiatique du Capital.

La guerre est depuis des temps immémoriaux un facteur multiplicateur, favorisant la propagation de l’épidémie.  Celle-ci, en retour, engendre des guerres contre le «bouc émissaire» intérieur condamné à être éradiqué, comme les rats et les puces au temps de la peste et du typhus. Pire, les épidémies peuvent être utilisées comme arme de guerre contre « l’ennemi intérieur » ou « extérieur ».

 

  1. Marchandise, commerce et confinement

Les pandémies, ce que l’on appelait les «pestes» sous l’Ancien Régine, ont toujours existé, se propageant à la vitesse de l’éclair dans les grands centres urbains des anciens empires. C’est ainsi que l’épidémie dite « peste d’Antonin » conjonction de différentes maladies (typhus exanthématique, variole, etc.) – atteignit l’Italie puis la Gaule et tua des millions d’habitants entre 165 et 180 après J.-C. À Rome même, en 167, la mortalité quotidienne fut parfois 3.000 personnes. La guerre était bien à l’origine de cette «peste». Lorsque l’armée romaine revint victorieuse de Syrie après la prise de Séleucie (165), le Sénat fit au général Lucius Aurelius Verus et à l’empereur Marc Aurèle un triomphe auquel assista une foule considérable. Ce gigantesque rassemblement fut le facteur déclencheur de l’épidémie.

Le cas de la VRAIE peste (sous ses deux formes : bubonique et pulmonaire) illustre la réalité politique, économique, sociale et idéologique d’une pandémie dans les sociétés commerciales développées.

Dans le cas de la peste pulmonaire, l’incubation est très brève et la grande faucheuse fait son office en deux ou quatre jours. La première pandémie connue par son ampleur, qui venait d’Éthiopie, dite peste de Justinien (du nom de l’empereur byzantin), dévasta les bords de la Méditerranée de 541 à 767, se propageant grâce au cabotage côtier et fluvial, sans entrer trop à l’intérieur des terres. On mourait en quelques heures, les malades de la peste ayant auparavant contaminé leurs proches par leur toux et leurs éternuements. Le confinement de familles entières signait leur arrêt de mort. De cette épidémie date l’expression «Dieu vous bénisse» car, s’il arrivait que quelqu’un éternuât, souvent il rendait l’âme…

Une autre «peste» moins connue, la «peste jaune» ravagea au vie et viie siècle l’Irlande et l’Angleterre. Peut-être importée de Gaule, elle ravagea l’Irlande. Les chroniqueurs de l’époque parlent de la moitié des habitants. Or cette île, grand centre chrétien (et intellectuel), abritait l’élite des continentaux chassés par les invasions barbares et le complet déclin de l'Empire romain[1]. Cette «peste» n’était autre que la variole.

On ne soulignera jamais assez que les épidémies les plus mortelles ont surgi à la faveur du décollage du capital commercial et de l’explosion des échanges marchands à la fin du Moyen Âge. C’est par les routes de la soie et des épices – auxquelles la Chine capitaliste (dite «communiste») du dictateur Xi Jinping veut donner cette fois une dimension planétaire – que la peste passe de l’Asie centrale à Caffa (Theodosia, qui signifie « don de Dieu » !) en Crimée, où étaient installées des colonies de marchands italiens.

Comme de coutume, la pandémie de peste va emprunter les chemins de la marchandise, du commerce et de la guerre. En 1347, les Mongols – qui faisaient payer tribut aux principautés russes et razziaient des populations slaves, revendues aux Osmanlis comme esclaves – vinrent assiéger le comptoir génois de Caffa. Lorsque la peste se propagea parmi eux, avant de se retirer, leurs généraux ordonnèrent de catapulter dans la ville les cadavres de pestiférés. Les Gênois se rembarquèrent en toute hâte, mais ils emportaient avec eux le terrible bacille (Yersinia pestis). Leurs bateaux atteignirent la Sicile, puis l’Italie (Gênes, Florence et Venise). De là, l’infection gagna tout le bassin de la Méditerranée, puis remonta vers le nord, jusqu’à Paris, Londres et les Flandres, se propageant jusqu’en Irlande, Pologne, Baltique et Scandinavie. S’il fallut trois ans pour que la peste passe de la Crimée à la Norvège, c’est en termes de semaines qu’il faut aujourd’hui compter à l’époque de la mondialisation du capital… et du coronavirus.

La pandémie de peste fit près de 30 millions de morts, entre 1348 et 1350, soit un quart ou un tiers de la population. Les innombrables processions et prières collectives qui se déroulèrent en Europe ne firent qu’alimenter le mal. Les confréries de flagellants, en Occident, se réunissaient en masse sur les places publiques pour se fouetter les uns les autres (à la manière des chiites d’Iran et d’Irak), chantant « Mère source d’amour/laisse-moi savourer la violence de la douleur/Fais que je pleure avec toi/Enfonce les plaies du crucifié ». Le mal de la peste n’en devint que plus grand. On peut se moquer des superstitions moyenâgeuses, mais que dire de ses actuels remugles, où le grotesque le dispute à l’impuissance. On peut lire sur le site web de l’église sainte Rita de Paris cette prière au temps du coronavirus distillée comme un élixir par l’Église catholique. Que l’on remplace Notre Père par Allah, Jéhovah, les dieux polythéistes de l’hindouisme et du bouddhisme, etc., ce seront toujours les mêmes moulins à prières :

Notre Père,

Nous demandons avec confiance
que le coronavirus de Wuhan
ne fasse plus de mal et que
l’épidémie soit maîtrisée rapidement,
que vous rendiez la santé
aux personnes touchées
et la paix aux endroits où elle s’est propagée.

Accueillez les personnes
décédées de cette maladie,
réconfortez leurs familles.
Aidez et protégez le personnel
de santé qui la combat,
et inspirez et bénissez ceux
qui travaillent pour la contrôler[2].

Mais signe des temps du coronavirus, les églises, les temples, les mosquées, les synagogues sont désespérément vides, et les pèlerinages de La Mecque à Qom, et Lourdes sont même interdits par les autorités. Il est vrai que celui de Qom dura jusqu’au 28 février, alors que la pandémie commençait à ravager l’Iran. Le sanctuaire de Fatima, qui a connu le chiffre jamais vu de 6,3 millions de pèlerins en 2019, est vide aujourd’hui. Il n’y a plus que les évangélistes ultras – souvent conspirationnistes, créationnistes et anti-intellectuels – qui s’enhardissent à proclamer la « liberté » de réunion religieuse, en dépit du danger de multiplication des foyers de contagion (comme à Mulhouse, en Alsace). Des évangélistes américains, fortement soutenus par la chaine ultraconservatrice Fox News, défient les règles sanitaires de base : « Nous avons le mandat de Dieu pour nous réunir ». Au Brésil, dont le tiers de la population est évangélique, tout comme son président Bolsonaro, la fermeture des temples ne peut être qu’une entrave au business religieux : « Les pasteurs sont d’abord des chefs d’entreprise, animés par une logique entrepreneuriale», pour qui l’absence de leurs ouailles est une catastrophe, lorsque celles-ci ne fréquentent plus les méga-temples et ne paient plus leurs contributions[3].

À l’époque du Bas Moyen Age, les multitudes ignorantes et en complet délire, qui voyaient s’accumuler des montagnes de cadavres, vite jetés dans des fosses communes, ne se réunissaient plus dans les églises, comme le constate l’introduction au recueil de nouvelles de Boccace, le Décaméron. Leur ignorance, souvent confortée par les discours enflammés du bas clergé, contribuait à alimenter toutes sortes de détestations : il s’agissait de trouver des boucs émissaires, de diaboliser les minorités religieuses et nationales. Durant quatre années (1348-1352), des foules déchainées s’en prennent aux juifs. Les juifs de Bâle sont confinés, puis brûlés dans une grange. Ceux de Strasbourg et du Midi sont massacrés sans pitié. Les synagogues brûlent malgré les fulminations du pape avignonnais Clément vi contre de tels actes insensés[4]. Ni les lépreux, ni les « hérétiques » (Vaudois et autres), ni les « vagabonds » (les migrants de l’époque), ni les femmes jugées comme sorcières, tous condamnés comme « semeurs de peste » ne furent épargnées. Les pestiférés sont «confinés» dans des granges et finalement brûlés. Tous et toutes sont massacrés comme suppôts du « diable »[5].

Quand ce n’était pas l’explosion de la haine ou du délire fanatique, c’était, en particulier en « terre d’islam » l’apologie du martyre, riche en promesse de « paradis », exigeant du croyant la résignation à son sort, et donc à l’ordre social, celui de sociétés marchandes soumises déjà à la marchandise : « La peste a valeur de martyre pour les musulmans et miséricorde est accordée à ceux qui en meurent. Pour les infidèles, elle n’est que calamité… [Il faut] se tourner vers Dieu en lui demandant la guérison, la résignation, et en lui rendant grâce»[6].

Au temps du Covid-19, où se vomissent les antiques haines médiévales contre « l’étranger », « l’autre », le « forain », mijote dans les chaudrons du capitalisme national le bouillon de la haine, une haine soigneusement cultivée par les partis ultranationalistes de toute obédience. On assiste à un développement des sentiments xénophobes en Europe contre tout ce qui ressemble à un Chinois. L’atmosphère de racisme dans l’Amérique de Donald Trump, qui baptise le coronavirus : «virus chinois», pourrait vite devenir pestilentielle. Viktor Orban tonne contre les migrants testés positifs qu’il menace d’expulser. Les rebelles au confinement pourraient faire huit années de prison[7]. Dans des pays comme la Chine (mais dans bien d’autres, dits « démocratiques », comme l’Australie de Scott Morrison)[8] tous les migrants ou rapatriés soupçonnés d’être porteurs de la « nouvelle peste », opposants politiques ou sociaux pourront se retrouver dans des camps de concentration, où le coronavirus frappera avec bien plus de force que dans les maisons de retraite européennes[9]. Le capitalisme au temps du coronavirus annonce à grandes sonneries de trompette médiatique que les mesures de confinement transformeront les glorieuses patries du Capital (de la Chine aux USA) en prisons intérieures pour chaque bloc d’immeuble, en lieux de détention ou en camps de concentration, si nécessaire. Le capitalisme au temps du coronavirus ne promet plus des « lendemains qui chantent » – avec l’effondrement économique annoncé – mais bien un retour au bon vieux darwinisme social de la bourgeoisie du XIXe siècle, celui de la sélection des «plus aptes» à assurer la survie du système et de ses chiens de garde.

 

[1] Jacqueline Brossollet, “Epidémies”, in Encylopedia universalis.

[2] https://www.sainte-rita.net/espace-priere/autres-prieres/priere-pour-lutter-contre-le-coronavirus.

[3] Le Monde, vendredi 3 avril 2020, p. 4.

[4] Cf. Dominique Lecourt (éd.), Dictionnaire de la pensée médicale, PUF, 2004 (article : « Peste »).

[5] Jules Baissac Histoire de la diablerie chrétienne. I. Le Diable, la personne du Diable, le personnel du Diable, 1882. Existe maintenant en e-book (BNF).

[6] Jean-Noël Biraben, « La peste noire en terre d’islam », L’Histoire n° 11, avril 1979.

[7] « Le premier ministre nationaliste hongrois Viktor Orban a lié immigration et pandémie », Le Monde, 25 mars 2020, p. 10.

[8] « Coronavirus : évacués de Chine, les Australiens mis en quarantaine dans un centre de rétention pour migrants », Le Monde, 4 février 2020.
[9] Nicolas Cheviron, «Si le coronavirus atteint les camps du Xinjiang, beaucoup de Ouïghours vont mourir», Mediapart, 9 mars 2020.

 

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