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théorie politique

Italie : L’utilisation sociale de l’épidémie

Publié le 7 Avril 2020 par Il programma comunista/pantopolis

Il programma comunista, Milan, mars-avril 2020

 

L’utilisation sociale de l’épidémie

 

Dans une série d’articles publiés par notre presse dans les années 1950[1], parallèlement à une longue étude sur le  «Cours du capitalisme», nous avons démontré (classiques du communisme en main), que les «prétendues catastrophes naturelles de la décadence sociale moderne» (inondations, instabilité hydrogéologique, bétonnage des terres, rupture de barrages, naufrage de paquebots, etc.) se produisaient dans les années de reconstruction d’après-guerre et de boom économique débridé : après les immenses destructions entrainées par le second massacre impérialiste mondial (et grâce à lui!), la machine de production capitaliste redémarrait à plein régime – à un rythme inconnu auparavant. Et même alors – et encore plus aujourd’hui –, on voyait défiler sous nos yeux les résultats d’une hyperproduction débridée qui a duré au moins trois décennies et qui, à partir du milieu des années 70, a buté sur la crise systémique dans laquelle nous sommes toujours plongés.

Des exemples ? Dévastation accélérée de l’environnement, hypertrophie des mégalopoles et dépeuplement des campagnes, frelatage des aliments et pollution de l’eau et de l’air, déforestation et désertification galopantes, conditions de vie et de travail de plus en plus difficiles et dramatiques, croissance exponentielle de la pauvreté, maladies «professionnelles» dues à l’exposition à l’amiante et à d’autres substances toxiques, élevage intensif avec la menace de ses effets. Des déséquilibres économico-sociaux abyssaux entre les pays (le développement inégal que nous connaissons bien, nous communistes), ainsi que, bien sûr, des conflits effrayants et destructeurs dans des régions entières de la planète... À quoi nous pouvons ajouter – l’affaire est claire pour tous en ces jours et semaines écoulés (nous écrivons à la mi-mars) – une soumission de plus en plus évidente de la recherche scientifique aux lois du profit, le pouvoir écrasant des sociétés pharmaceutiques, la «toxicomanie» généralisée, le démantèlement progressif des établissements de santé, etc.

Au-delà de l’explication médico-sanitaire, qui n’est pas de notre compétence, c’est précisément tout cela qui a mijoté le bouillon de culture de la énième épidémie qui sévit dans le monde aujourd’hui (mais combien y en a-t-il eu d’autres ces dernières décennies ? Vache folle, grippe aviaire, Ebola, Sars, Mers, Zika, Chikungunya, dengue...). Bref : le coronavirus ou Covid-19 est fils du capitalisme, le rejeton d’une société divisée en classes et complètement, globalement, assujettie à la loi du profit. Et voici que se taisent les esprits candides ou les drogués de l’idéologie dominante pour qui cela demeure «le meilleur des mondes possibles». La société du capital est la société des catastrophes, des urgences, de la peur, et surtout elle est incapable de faire face aux crises qu’elle nourrit et répand elle-même – autant sur le plan économique que sur le terrain sanitaire, ou dans la vie quotidienne.

Mais arrêtons-nous un moment : il y a d’autres aspects à souligner. Nous voulons insister sur l’utilisation sociale (politique, idéologique, militaire) de l’épidémie. Même si, de différentes manières et à différents moments, la classe dirigeante de chaque pays a saisi cette occasion pour élaborer et mettre en pratique des mesures d’état de siège, qui vont bien au-delà de la contingence du virus et préfigurent des scénarios, bien connus d’elle par l’expérience, tant de guerre de classes que de la guerre inter-impérialiste – c’est-à-dire des mesures de terrorisme d’État, tant idéologiques que militaires, de contrôle du territoire. Outre l’utilisation déformée (et à la limite de la manipulation) des données, statistiques et  évaluations souvent contradictoires sur la morbidité et la mortalité, ainsi que les querelles permanentes entre «experts», politiciens, techniciens, intellectuels, à travers tous les moyens de communication se font entendre des appels répétés à la «responsabilité collective», à «l’unité nationale», au «sens de l’État» de chaque citoyen, à l’exercice d’un contrôle sur les «autres», ouvrant la porte à la pratique de la dénonciation, aujourd’hui à l’égard de ceux qui ne respectent pas pleinement les décisions qui viennent d’en haut, demain à l’égard de tous ceux qui ne s’identifient pas pleinement à l’État et ont même l’intention de le combattre; et cet appel va de pair avec une politique rondement menée d’atomisation et de confinement des individus, avec le développement de la suspicion et de la psychose collective.

Pauvre individu, pauvre «collectivité», tant célébrés comme nec plus ultra et garant de la démocratie et sans cesse piétinés, ballottés et tournés en dérision ! Ici, la dictature démocratique prend des contours de plus en plus nets et – avec elle – l’évidente mais encore embryonnaire formation à la gestion de futurs conflits, qui exigent un ciment patriotique sans brèche.

Prolétaires, prenez garde ! C’est aussi une façon de préparer la guerre à venir, lorsque l’État exhortera «tous les citoyens», «unis dans le même baiser du drapeau», à «se rassembler autour de leurs propres troupes», engagées pour «défendre la Patrie contre l’ennemi».

Et ce n’est pas tout ! Tout d’abord, comme mentionné plus haut, partout (Italie, Allemagne, Grande-Bretagne, États-Unis) le système de santé continuera à se dérégler et les mesures de «confinement du virus» semblent plutôt destinées à éviter un effondrement retentissant. Mais cela est dû précisément aux coupes incessantes dans les aides sociales (celles qui ont fait la fierté de tous les pays sortant des massacres de la Seconde guerre mondiale) effectuées depuis au moins deux décennies, non pas en raison de la méchanceté de tel ou tel gouvernement ou dirigeant, mais pour le besoin de capital, face à une crise qui, avec des hauts et des bas, dure depuis le milieu des années 1970, d’éliminer autant que possible les dépenses improductives.

En second lieu, il convient de rappeler que la prétendue «récession» était en cours, tant en Italie qu’en Allemagne et dans d’autres pays, bien avant le déclenchement même de l’épidémie.  Nous l’avons déjà maintes fois rappelé dans notre presse : le capital saute maintenant sur l’occasion pour rendre le virus responsable des mesures inévitables, présentes et à venir, pour «sauver l’économie nationale», avec pour corollaire le chômage, les licenciements, l’intensification de la productivité, la suspension et la répression des conflits – sans avoir à remonter la vitre pour nier qu’il s’agit d’un mode de production obsolète et assassin ! En première ligne, même dans cet état d’urgence, les prolétaires seront donc les premiers à payer l’addition, pour ce qui est des graves conséquences de l’épidémie sur les conditions de vie et de travail (et il sera intéressant de voir si et quand les statistiques sur les morts au travail et par le travail recommenceront à circuler !)

Un signe encourageant et révélateur pour nous a été – après les soulèvements dans des prisons surpeuplées et dans des conditions sanitaires pour le moins mauvaises (au cours desquels, apparemment, au moins une douzaine de prisonniers en Italie se sont suicidés, saisis par le désir soudain et irrésistible de ... faire une overdose) – l’entrée en lutte spontanée, dans toute l’Italie, se traduisant par des grèves aussi soudaines qu’inattendues pour les chiens de garde des syndicats du régime, des ouvriers et des travailleurs des usines et des entrepôts, ainsi que des chauffeurs-livreurs, des livreurs à vélo, pour protester contre l’absence de mesures de protection minimale sur le lieu de travail. Ultime démonstration, d’une part, que ce n’est que si les prolétaires se mettent en mouvement qu’ils deviennent visibles et, d’autre part, que c’est précisément lorsqu’ils se mettent en mouvement sans le contrôle des bonzes que l’État est amené à faire des concessions, quelles qu’elles soient. En ces jours et circonstances, les travailleurs et les travailleuses ont ressenti et montré leur potentiel de force et il nous incombera, à nous communistes, de veiller à ce que cette expérience ne soit pas perdue, détruite ou oubliée dans les rangs du prolétariat. Quant à la véritable cohérence et surtout au respect de ces mesures, nous nous permettons de nourrir beaucoup de doutes : on verra, on verra... Bref, de la prison-prison à la prison salariale, en dépit de la faiblesse de la réponse, la «viande de boucherie» a fait entendre sa voix.

Même cette épidémie, comme celles qui les précédentes et celles à venir, passera. Il est surtout important que quelques fissures aient ébréché le mur d’acier qui dissimule à la vue la vraie nature, destructrice et meurtrière, d’un mode de production obsolète et désastreux pour l’espèce humaine.

 

Il Programma comunista, mars-avril 2020 (https://www.internationalcommunistparty.org/index.php/it/357-il-programma-comunista-2020/n-02-marzo-aprile-2020/2693-l-uso-sociale-dell-epidemia). Traduction de l’italien : PB.

 

[1] Nous renvoyons ici à la vaste bibliographie donnée sur le thème «Capitalisme et environnement», publiée  dans notre journal, n° 1 de janvier-février 2020.

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