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théorie politique

Alexandre Chliapnikov, chef ouvrier bolchevik, victime des crimes staliniens

Publié le 1 Août 2022 par Pantopolis pour l'introduction in Histoire, histoire politique

photo de Chliapnikov, date inconnue

photo de Chliapnikov, date inconnue

Nous donnons ici, en fichier pdf, l'excellent travail de traduction, accompli par Jean-Pierre Laffitte, à partir du livre fondamental de l'universitaire américaine Barbara Allen paru en 2015.

Il est suivi de textes et d'une bibliographie en français.

Pantopolis

fichier pdf de la traduction en français du livre de Barbara Allen

Remarques préliminaires de Pantopolis

La biographie du bolchevik Alexandre Chliapnikov est mal connue comme l’est maintenant la révolution russe rapidement détruite, surtout après l’écrasement des marins insurgés de Kronstadt, par la dictature léniniste et surtout par le stalinisme, mythifiée par les courants trotskystes et plongée dans l’« oubli » de sa portée révolutionnaire depuis « la chute du communisme », déformée par la bourgeoisie internationale de tous les pays, y inclus celle du sanglant oligarque Vladimir Poutine qui s’en veut le dernier fossoyeur et rêve de reconstituer par le fer et par le feu l’empire tsariste de « toutes les Russies » d’avant 1917.

Chliapnikov fut l’un des rares chefs bolcheviks d’extraction ouvrière, un « intellectuel ouvrier » ayant travaillé en France, en Allemagne et aux USA, pouvant non seulement écrire de clairs articles politiques sur la vie ouvrière mais s’exprimer en plusieurs langues, en particulier le français. Président du syndicat des métallos nommé très brièvement ministre du travail de novembre à décembre 1917, Chliapnikov fut partisan d’une coalition gouvernementale bolcheviks-mencheviks de gauche et SR de gauche. Engagé dans le combat militaire contre les « blancs » sur le front du Caucase et de la Caspienne, Chliapnikov se révèle dès 1919 un opposant aux méthodes dictatoriales de Lénine, Trotsky, Zinoviev et Staline.

En 1920-1921 – avec Alexandra Kollontaï – il est l’un des principaux leaders de l’Opposition ouvrière. Il prône l’établissement d’une véritable « démocratie ouvrière » par un accroissement du pouvoir des syndicats (dont il veut faire les gestionnaires de la production) face à la dictature du Parti unique. Il se heurte violemment à Lénine lors du Xe Congrès du PC, en mars 1921, au moment de Kronstadt, et particulièrement au projet de « militarisation du travail » de Trotski. Il ironise sur férocement sur les propos de Lénine qui déplore la disparition de la classe ouvrière pendant la guerre civile : « Eh bien, camarade Lénine, je vous félicite d'exercer le pouvoir au nom d'une classe qui n'existe pas ! ». Il n’hésite pas à qualifier le « gouvernement ouvrier », autoproclamé, d’«anti-classe ouvrière», autrement dit d’ennemi du prolétariat russe...

Malgré ces déclarations incendiaires contre le pouvoir bolchevik, l’Opposition ouvrière n’hésita pas à soutenir la sanglante répression des ouvriers et des marins de Kronstadt… et Chliapnikov fut réélu au Comité central d’un parti qui venait d’interdire les fractions en son sein.

L’Opposition ouvrière, malgré son soutien par quelques sections communistes de gauche dissidentes (comme le KAPD qui publia en allemand la brochure de Kollontaï), s’éteignit rapidement.

Chliapnikov resta un opposant, mais un opposant prudent jusqu’en 1926, à la différence de Gabriel Miasnikov et de son Groupe ouvrier qui rompit avec le Parti bolchevik et connut la prison avant le triomphe de Staline.  

Après un exil involontaire en France, en 1924, Chliapnikov rentra en 1925  en Russie et manifeste des velléités d’appartenir à l’Opposition unifiée de Trotksy, Radek, Kamenev et Zinoviev. Mis totalement à l’écart, il se retira peu à peu de la lutte politique active et rédigea des mémoires, où le nom de Staline apparaît à peine.

Comme ancien bolchevik de gauche, Chliapnikov était condamné d’avance. Il est exclu du parti en 1933, qualifié de « dégénéré », et exilé en Carélie, puis arrêté en 1935 et emprisonné à l'« isolateur politique » de Verkhneouralsk (où séjourna le communiste croate Ante Ciliga, auteur de : Au pays du grand mensonge), enfin exécuté  secrètement le 2 septembre 1937, son corps étant vite incinéré pour faire disparaître toute trace de ce crime stalinien.

P. B.

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Nous donnons pour leur éclairage particulier la biographie de Chliapnikov publiée dans Bataille socialiste, puis sur le site wikirouge. On doit aussi mentionner la biographie de Jean-Jacques Marie, Cahiers du Mouvement ouvrier n° 52, 4e trimestre 2011, Elle est téléchargeable : https://www.marxists.org/francais/cmo/n52/cmo_052.pdf.

On trouvera un recueil de textes en français d’Alexandre Chliapninov, in Michel Olivier (éd.), La gauche bolchevik et le pouvoir ouvrier 1919-1927, imprimerie spéciale, Paris, oct. 2009.

Pantopolis, premier août 2022.

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Alexandre Gavrilovitch Chliapnikov est né le 30 août 1885 à Mourom troisième de quatre enfants d'une famille d'orthodoxes « vieux-croyants »[1]. Son enfance est difficile, son père se noie alors qu'il n'a que deux ans laissant sa famille dans la pauvreté. Entrant à l'école primaire à l'âge de 8 ans il en ressort trois ans plus tard. De cette scolarité il ne gardera pas un bon souvenir : « L'école n'était pas une mère pour moi, et ce ne sont pas les professeurs qui m'ont éduqué (...) même durant ces années la vie m'a appris qu'il n'y avait pas de justice dans ce monde »[2]. Il commence à travailler comme ouvrier à l'âge de 13 ans à l'usine métallurgique Semiannikov de Mourom dont il sera licencié trois ans plus tard pour avoir été gréviste.

Vie militante

Il rejoint le POSDR en 1901. Dès 1903, il milite avec les bolchéviks à Moscou. Il participera à un meeting à la suite du dimanche rouge (1905) où il sera arrêté et envoyé à la prison de Vladimir[2]. Libéré en 1907, il part en exil en Europe. Il travaille comme tourneur et milite dans le mouvement ouvrier français.

 

Au début du conflit mondial, Chliapnikov assure liaison et financement des activités en Russie. Il est envoyé en 1915 par le Parti auprès des pays scandinaves, puis l'année suivante, aux États-Unis pour récolter des fonds. Homme de confiance de Lénine, il contribue à rallier A. Kollontaï au bolchevisme.

L'année 1917

Retourné clandestinement en Russie, Chliapnikov dirige le Bureau russe du Comité Central avec Molotov et Zaloutski.

Dans les premiers jours de février 1917, il croit d'abord à une simple émeute de la faim et perçoit pas tout de suite la situation révolutionnaire. Il s’oppose à l’armement des ouvriers réclamé par les dirigeants de Vyborg (comme Kaïourov).

Il participe à la réunion constitutive du Soviet de Pétrograd le 27 janvier, travaille au retour en Russie des émigrés, et même avant le retour de Lénine et la victoire des Thèses d'Avril, il s'oppose à la majorité des vieux-bolcheviks (derrière Kamenev et Staline) qui est conciliatrice avec le gouvernement provisoire de la bourgeoisie libérale. Il notera dans ses mémoires qu’à son retour en Russie, Lénine était « plus à gauche que notre gauche ».

Président du syndicats des métallos en juillet 1917, il gagne ce dernier au bolchévisme. Toutefois, il ne joue aucun rôle en Octobre.

Au pouvoir

Peu après, il est nommé commissaire du peuple chargé du travail du 8 novembre 1917 au 1er décembre 1918. Selon certains, sa gestion se révèle arbitraire, il fait fermer plusieurs usines et menace de licenciement sans indemnité les ouvriers qui protestent[3].

Chliapnikov plaide pour une coalition gouvernementale avec les mencheviks et le SR de gauche.

Ouvertement oppositionnel au sein du Parti à partir de 1919, il est toutefois nommé au Comité militaire du front sud puis commandant du front Caspienne-Caucase pendant la guerre civile.

L'Opposition ouvrière

Chliapnikov participe en 1920 à la création de l'Opposition ouvrière, courant d’opposition, avec notamment Medvedev (syndicat des métallos), Kisselev (Président du syndicat des Mineurs) et Kollontaï. Il prône l'affermissement de la démocratie en Russie par un accroissement du pouvoir des syndicats (à qui il propose de confier la gestion de la production) face au Parti et se heurte sur ce point à Lénine au Xe Congrès en mars 1921, et particulièrement au projet de « militarisation du travail » de Trotski.

À cette occasion, il n'hésite pas à railler Lénine qui vient de déplorer la quasi-disparition de la classe ouvrière pendant la guerre civile : « Eh bien, camarade Lénine, je vous félicite d'exercer le pouvoir au nom d'une classe qui n'existe pas ! ». Lors de ce Congrès encore, Chliapnikov qualifie le gouvernement de « anti-classe ouvrière ».

Lénine condamne les thèses de l'Opposition ouvrière comme « déviation syndicaliste » et demande l'exclusion de Chliapnikov, qui est refusée par le parti. Mais toutes les tendances oppositionnelles subissent une forte pression à l'unité (le congrès se déroule pendant la révolte de Kronstadt et même l'Opposition ouvrière participe à sa répression), et le Xe Congrès décide l'interdiction des fractions. Désavoué, Chliapnikov est pourtant réélu au Comité central, où il continue à défendre ses idées.

Il subit une nouvelle brimade en étant reconnu « absolument inapte à assumer dans l’immédiat des responsabilités » par une commission médicale après un examen imposé. En février 1922, Chliapnikov signe la déclaration des 22[4] par laquelle l’Opposition Ouvrière fait appel auprès de l’Internationale des sanctions prises contre elle. Il prononce un discours ironique et mordant devant le XIe Congrès du PCR (mars 1922) où il déclare le Parti aussi démoralisé qu’en 1907, dénonce la NEP comme anti-ouvrière (« un gouvernement qui coûte moins cher aux paysans »). Il y cite Frounzé qui « a promis de me convaincre avec une mitrailleuse »

Retrait et répression

L’Opposition Ouvrière, démoralisée se dissout. Chliapnikov poursuit ses critiques  (notamment sur les questions économiques, au Comité central en 1923, ou dans sa Lettre de Bakou en 1924), mais sans prendre part aux querelles du pouvoir. Chliapnikov reste à l’écart de l’opposition trotskyste (de son propre chef ou car jugé compromettant par cette dernière selon les sources). Son appartement est plusieurs fois perquisitionné. Kollontaï est envoyée en Norvège, c’est l’époque des affectations diplomatiques des opposants. Lui-même est éloigné à Paris en 1924 comme représentant commercial auprès de l’ambassade, il y fréquente des militants comme Dunois et Monatte.

Il rentre en 1925, et appartient peu de temps à l'Opposition unifiée de TrotskiRadekZinoviev et Kamenev. Il cède aux pressions et rentre finalement dans le rang en 1926, en même temps que Kroupskaïa. La Guépéou utilise alors notamment contre lui une lettre de Medvedev à ses camarades de Bakou datée de 1924, censée prouver que l’Opposition ouvrière ne s’était pas dissoute.

Alors en retrait de la politique, il est Président du conseil d’administration de Metal-import (Металлоимпорт) jusqu’en 1929, et se consacre à la rédaction de ses Mémoires. Le pouvoir lui reproche bientôt de ne pas mettre assez en valeur dans ces Mémoires le rôle de Staline en 1917 (objectivement très limité voire négatif).

Il est exclu de nouveau en 1933 comme « dégénéré », exilé en Carélie, arrêté en 1935 et emprisonné à l'« isolateur politique » de Verkhneouralsk[5], puis exécuté le 2 septembre 1937 (la date ne serait pas certaine, certaines sources ayant évoqué une mort plus tardive par épuisement à l’isolateur de Vierkhneouralsk).

Il sera réhabilité  à titre posthume par le régime en deux fois (pour les charges criminelles en 1963, pour la réintégration dans le parti en 1988).

Ses écrits

1914

Les ouvriers russes et la guerre (lettre à Pieter Troelstra)

1915

Lettre à Hjalmar Branting

1916

Lettre à Fredrik Ström

1917

Decree on Social Insurance

 

Décret sur le contrôle ouvrier

1920

A la veille de 1917, (fac-similé des 3 premiers chapitres)

 

L’organisation de l’économie et les tâches des syndicats

 

On the relations between the Russian Communist Party, the soviets, and production unions

1921

Thèses de l'Opposition Ouvrière

 

Plate-forme de l’Opposition ouvrière

 

Les derniers jours de Lepetit et de Vergeat

 

Les syndicats russes, (fac-similé)

 

Extrait d’intervention au Xe Congrès

1922

Appel des 22 aux membres de la conférence de l'Internationale Communiste

1924

Autobiographie

Autres sources

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