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théorie politique

Paul Kirchhoff, internationaliste calomnié par le trotskysme mexicain

Publié le 10 Février 2015 par Philippe Bourrinet

KIRCHHOFF WENTRUP (Paul), dit EIFFEL, fils de Mina Wentrup et de Richard Kirchhoff, architecte, né à Hörste (Halle, Westphalie) le 17 août 1900, mort à Mexico le 12 septembre 1972.

Il vécut dans sa première enfance avec sa mère, socialiste, qui était amie de Sonia Liebknecht, l’épouse de Karl. Il fit sa scolarité à Berlin de 1907 à 1919. Il eut une éducation humaniste classique, étudiant le français, le grec, le latin et l’hébreu. Il participa certainement aux combats de janvier 1919 contre les corps francs. De 1919 à 1926, il mena des études de théologie, puis de philosophie, économie et ethnologie aux universités de Berlin, Freiburg et Leipzig, cette dernière étant le phare de l’ethnologie allemande. C’est là qu’officiait Fritz Krause (1881-1963), pionnier de l’anthropologie économique.

Depuis 1920, en parallèle, il s’engagea dans une activité communiste de gauche, qu’il ne porta jamais au grand jour, les étudiants d’université étant majoritairement acquis au nationalisme extrémiste. Il fut membre de l’AAU de Freiburg, étant responsable de la boîte postale du mouvement unioniste local mais aussi de la diffusion de Die Aktion de Franz Pfemfert. Il a probablement participé à Leipzig aux activités de l’AAU et du KAPD, sans que l’on sache jusqu’à quand et s’il retourna (même une brève période) au KPD.

Ses voyages de recherches et d’études dans le monde lui permirent de nomadiser et de donner une couverture à ses activités politiques. En 1928, il part étudier aux USA où, travaillant sous la direction d’Edward Sapir, il demeura jusqu’en 1930, étudiant en particulier la langue navajo. En 1931, il retourna en Allemagne pour soutenir sa thèse sur l’organisation parentale des tribus forestières de l’Amérique du Sud. En 1932, il se rendit en Grande-Bretagne pour faire une étude sur les travailleurs indigènes des mines de cuivre rhodésiennes. Le Foreign Office informé de son passé communiste, lui refusa toute entrée dans sa colonie africaine. Il en fut de même, malgré le soutien de Bronisław Malinowski, lorsqu’il voulut se rendre dans les îles Samoa, sous mandat néo-zélandais de la SDN. Il retourna en Allemagne, mais ce fut aussitôt pour gagner en 1933 l’Irlande pour effectuer une étude sur la propriété privée. En 1934, il devint le collaborateur de Paul Rivet au Musée de l’homme. En 1935-36, il obtint de pouvoir séjourner comme chercheur rattaché à l’université de Colombia, et put entreprendre une étude sur l’organisation sociale des guarijos (Wayuu) du Venezuela et de Colombie.

Dans cette période troublée, il s’engagea dans l’«Opposition de gauche internationale», pour finalement rompre avec elle. De 1931 à 1934, il avait été membre des IKD en exil, ainsi que du Département latino-américain de l’Opposition de gauche internationale. Dans les IKD en exil, il retrouva Arthur Goldstein (Stahl), ancien dirigeant du KAPD et membre des Rote Kämpfer. En septembre 1934, il fut l’un des 4 membres (sur 7) de la direction des IKD en exil à refuser l’entrisme dans la social-démocratie. Avec Arthur Goldstein (1887-1943) et Erwin Ackerknecht (Bauer) (1906-1988), il qualifia cette politique de «capitulation idéologique complète devant la IIe Internationale». Ayant rompu avec Trotsky, il devint jusqu’au début de 1937 membre du Bureau politique de la Revolutionary Workers League de Oehler.

Chassé des U.S.A., il dut se réfugier au Mexique. En contact avec la RWL qu’il représentait auprès de la Liga comunista trotskyste, minoritaire, il défendit les positions de la Gauche italienne à l’intérieur de cette organisation. À propos de l’Espagne, il présenta une motion qui proclamait la faillite de la RWL : «Les événements d’Espagne ont mis chaque organisation à l’épreuve; nous devons avouer que nous n’avons pas supporté cette épreuve; ceci dit, notre premier devoir est d’étudier les origines de notre faillite.»

La motion Eiffel s’inscrivait dans un complet processus de rupture idéologique : «La guerre en Espagne a commencé comme une guerre civile, mais elle fut rapidement transformée en guerre impérialiste. Toute la stratégie de la bourgeoisie mondiale et espagnole consista à réaliser cette transformation sans changer les apparences et en laissant croire aux ouvriers qu’ils combattent pour leur intérêt de classe. Notre organisation a entretenu cette illusion et soutenu la bourgeoisie espagnole et mondiale en disant : ‘La classe ouvrière espagnole doit marcher avec le Front populaire contre Franco, mais doit se préparer à retourner demain ses fusils contre Caballero’.» (L’Internationale, n° 33, 18 déc. 1937, «La RWL et ses positions politiques»).

Après l’écrasement de l’insurrection de mai 1937, Kirchhoff, sa première épouse allemande (ethnologue) et trois ou quatre militants mexicains qui venaient de rompre avec la Lega comunista formèrent le Groupe des Travailleurs marxistes [Grupo de Trabajadores marxistas (GTM)], qui publia comme «manifeste» un tract imprimé dénonçant «le massacre de Barcelone». Ce manifeste, incontestablement internationaliste, dénonçait l’aide du gouvernement Cardenas, qui dissimulée sous un «faux ouvriérisme» avait contribué au massacre «de nos frères d’Espagne».

Les ouvriers mexicains devaient lutter «pour un parti classiste indépendant», contre le Front populaire, pour la dictature du prolétariat. Seules «la lutte contre la démagogie du gouvernement, l’alliance avec les paysans et la lutte pour la révolution prolétarienne au Mexique sous le drapeau d’un nouveau parti communiste» seraient «la garantie de notre triomphe et la meilleure aide à nos frères d’Espagne».

En réplique, le numéro d’août 1937 de IVa Internacional n’hésita pas à traiter de fascistes les internationalistes mexicains : «... les individus cités, ou plutôt le provocateur Kirchhoff, appellent à ne pas soutenir les travailleurs espagnols sous le prétexte qu’exiger plus d’armes et de munitions pour les milices antifascistes, c’est... soutenir la bourgeoisie et l’impérialisme. Pour ces gens qui se couvrent eux-mêmes du masque d’ultragauchistes, le summum du marxisme consiste... dans l’abandon des tranchées, par les ouvriers qui combattent au front. De cette manière l’Allemand et ses instruments Garza et Daniel Ayala se démasquent eux-mêmes comme agents du fascisme, que ce soit consciemment ou inconsciemment, peu importe, étant donné les conséquences.»

En septembre 1938, Eiffel, sa première femme Johanna Faulhaber (1911-2000), dite Juanita, et le petit groupe de Mexicains publièrent à Mexico le premier numéro de la revue Comunismo, qui compta jusqu’en 1940 trois numéros. En 1938 et 1939, parallèlement à ces activités souterraines dans la gauche communiste internationale, il anima chez lui pour des étudiants du Departamento de Antropología, des discussions basées sur la lecture des textes de Marx et Engels, en particulier L’Origine de la famille, de la propriété et de l’État et du Capital, cherchant une méthodologie applicable à toute recherche en anthropologie.

Pendant la guerre, Eiffel semble avoir abandonné toute activité politique pour se consacrer entièrement à l’ethnologie jusqu’à la fin de sa vie. Depuis 1938, date à laquelle il confonda l’Ecole nationale d’anthropologie et d’histoire, il se dédia à l’enseignement de l’ethnologie. Déchu de la nationalité allemande par le régime nazi, il obtint la nationalisté mexicaine en 1941

À partir de 1952 il fut chercheur en titre auprès de la section d’anthropologie de l’Institut de recherches historiques de l’Université nationale autonome de Mexico. Sa contribution la plus célèbre a été l’«invention» du concept de Méso-Amérique, par la publication en 1943 d’un essai intitulé Mesoamérica, sus límites geográficos, composición étnica y caracteres culturales [Méso-Amérique, limites géographiques, composition ethnique et caractères culturels].

Il est remarquable que, malgré toute la transparence de son activité internationaliste, Paul Kirchhoff continue à être calomnié par le trotskysme officiel mexicain qui le qualifie aujourd’hui encore d’«agent du guépéou».

Sources : Houghton Library, Harvard College Library (cotes 2205-2210), six lettres de Paul Kirchhoff à Trotsky : Brentford, 15 janvier 1932; [Dublin], 1er, 10 et 24 mai 1933; 1er juin 1933. – «La masacre de Barcelona: una lección para los trabajadores de Mexico», Mexico, DF, mayo de 1937 [Archives Chazé]. – L‘Internationale n° 34 et 39, Communisme, Bruxelles, n° 4 et Bilan, Bruxelles, n° 43, 1937. – Henri Lehmann, «Nécrologie de Paul Kirchhoff», Journal de la Société des Américanistes, tome 60, 1971, p. 275-279. – Carlos García Mora, «Paul Kirchhoff, el instigador», Antropología y marxismo, México, Ed. Taller Abierto, mai 1979, n° 1, p. 7-10. – Barbro Dalhgran (éd.), Meso-America. Homanaje al Doctor Paul Kirchhoff, Instituto Nacional de Antropología e Historia, Mexico, 1979. – Michel Dreyfus et Pierre Broué (éd.), Trotski, Œuvres, vol. 4 et 6, EDI, Paris, 1979. – Gérald Gaillard, Dictionnaire des ethnologues et des anthropologues, Armand Colin, Paris, 1997. – CEIP, Leon Trotsky, Mexico, «Falleció Octavio Fernández Vilchis», Boletín nº 4 sept. 2003 : http://www.ceipleontrotsky.org/Octavio-Fernandez-recuerda (dernière visite janvier 2015). – María Villanueva, «Johanna Faulhaber Kammann (1911-2000)», Anales de Antropología, vol. 34, n° 1, Mexico, 2000.

Œuvre : articles politiques sous le pseudonyme d’Eiffel. – Pour l’œuvre académique, se reporter à la bibliographie donnée par Henri Lehmann, supra. – Textes d’anthropologie marxiste dans un recueil de conférences : Antropología y marxismo, op. cit., 1979.

Philippe Bourrinet, janvier 2015.

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